Nous vivons une époque tiède. Les soi-disant pourfendeurs de la langue de bois en ont inventé une nouvelle, celle du consensus. Nous vivons une époque tiède. Les soi-disant pourfendeurs de la langue de bois en ont inventé une nouvelle, celle du consensus. Ainsi les mots «négociation», «convergences», «compromis», «expertise», «communication», «hygiène», «prévention», et quelques autres, sont-ils a priori considérés comme «positifs» tandis qu' «excès», «luxe», «risque», «sanction», «autorité», «décision», etc. sont bien entendu «négatifs». D'escamotage des conflits en dessaisissement du sujet et infantilisation des citoyens, de règne des experts – qui n'en sont pas moins militants-en dictature du compromis, l'ordre moral s'installe au nom d'une prétendue «harmonie». Une bonne partie de la presse se fourvoie. Elle entretient l'illusion de se redresser en se dépolitisant, alors qu'elle se banalise en bannissant toute pensée. Les intellectuels ne disent plus rien. Le pire opium des intellectuels consistait naguère à imaginer détenir le secret du monde pur. Ce qu'on n'exige heureusement plus de l'intellectuel, on continue de le demander à l'expert. Il n'est que de voir, dans l'édition, la monstrueuse inflation des «essais», par rapport au roman, qui est la voie royale de la connaissance. «Ce qui vient au monde pour rien troubler ne mérite ni égards ni patience», soutenait le poète René Char, à juste raison. Si les experts, dans leur majorité, nous agacent, c'est parce qu'ils veillent avant tout à ne pas déranger l'ordonnancement des choses, puis à semer leur laïus de bons sentiments et à prêter des vertus à des politiques suspectes. Cela revient à un appel à l'immobilisme.