Le PJD part avec une longueur d'avance, il dirige le gouvernement et domine le tissu associatif. Les futures communales seront un test de popularité pour Hamid Chabat et Driss Lachgar. Selon les premières estimations, les élections pourraient se tenir au mois de septembre. Dans quelques jours, l'actuelle session parlementaire prend fin. Mais pour l'heure, aucun texte portant sur les prochaines élections communales n'a encore vu le jour. Le seul projet de loi que le gouvernement a pu préparer est relatif aux principes de découpage des collectivités territoriales. Et encore, ce texte ne donne en vérité que quelques principes généraux sur la démarche, sans plus. Quant à la trentaine de textes, dont la fameuse loi organique de la régionalisation avancée, il faudra encore attendre. Autant dire que les élections locales ne sont donc pas pour demain. Pourquoi tout ce retard et à qui profite-t-il ? Alors que certaines formations de l'opposition, le RNI notamment, font pression sur le gouvernement pour fixer une date pour les prochaines élections, la majorité, elle, ne semble pas pressée. Pire encore, les partis qui la constituent se rejettent la responsabilité du blocage. L'Istiqlal tient, dans un premier temps, le ministère de l'intérieur pour responsable de ce retard. Faux, rétorque le ministre Mohamed Laenser qui assure que son département est prêt pour entamer le processus électoral. Selon M. Laenser, 90% des textes électoraux sont ficelés et il lui suffirait de trois mois tout au plus pour organiser le scrutin. Dans un second temps, le même Parti de l'Istiqlal prête au chef du gouvernement lui-même l'intention de repousser ces élections jusqu'en 2014, «pour mettre en place les conditions d'une mobilisation nationale nécessaire pour la réussite du chantier». Réponse du berger à la bergère : le PJD reproche à son principal partenaire, l'Istiqlal, d'entraver la préparation des élections et de chercher à les retarder le plus possible afin que le gouvernement n'ait pas assez de temps de passer à autre chose avant la fin de son mandat. Certains de ses ténors, dont le député de Tanger, Abdellatif Berrouhou, se demandent, en ce sens, comment expliquer le refus des responsables de l'Istiqlal de prendre part aux réunions de la majorité consacrées au débat de la régionalisation et de la décentralisation, porte d'entrée pour les élections. Réunions qui, rappelons-le, devaient démarrer début décembre. Cela alors que, avance-t-on auprès du groupe parlementaire du PJD, l'avant-projet de loi organique de la régionalisation serait déjà prêt depuis septembre de l'année dernière. A ce niveau déjà, une première chose est sûre : le blocage n'est probablement pas dû à un retard des textes. D'où la question : qui profite une telle situation ? A n'en pas douter, il profite d'abord au PJD qui est en train d'étendre sa toile. Il ne se passe plus un mois, en effet, sans que le parti n'annonce la création, un peu partout dans le pays, de nouvelles antennes locales. Mais il n'est pas le seul. L'Istiqlal et, dans une moindre mesure l'USFP, ont profité eux aussi de ce retard qui leur a permis de tenir leurs congrès loin des pressions électorales et surtout des calculs électoralistes de leurs élites locales. Mais, en poussant l'analyse un peu plus loin, c'est principalement au PJD, bien qu'il affirme le contraire, que profite cet atermoiement. Et ce, pour de multiples raisons. Le politologue Tarik Tlaty en avance une. «En réalité, le PJD contrôle une grande partie du tissu associatif et a donc intérêt à attendre à ce que les budgets ministériels se débloquent, principalement celui du ministère chargé de la solidarité que chapeaute Bassima Hakkaoui, pour que les subventions accordées aux associations soient également débloquées afin qu'elles puissent travailler». Bien sûr, le facteur temps pourrait jouer également en faveur de l'opposition. A condition, explique ce professeur de sciences politiques, que «celle-ci arrive à se structurer et s'organiser en un bloc homogène, seul moyen pour elle pour pouvoir faire face à la déferlante du PJD». Or, cela fait une année que rien n'a été initié en ce sens. Certains partis, le RNI notamment, estiment même que l'opposition n'a pas à se préoccuper de son homogénéité. C'est l'apanage de la majorité gouvernante. Ministères clés, pouvoir et argent, le PJD part favori Toutefois, au delà de ces calculs politiciens et des petites guerres souterraines entre partis, il est à souligner que sur le plan de la cohérence institutionnelle, on ne peut pas continuer à fonctionner encore plus longtemps avec un Parlement régi par deux Constitutions et des assemblées locales dépassées par les évènements, s'accordent à dire plusieurs analystes. D'autant que les élections permettraient de sortir du marasme actuel et, éventuellement, d'éviter l'éclatement de la majorité. Elles auront aussi l'avantage de clarifier la carte en dévoilant le poids réel de chaque parti du moment que c'est l'ancien principal parti de l'opposition, le PJD, qui en supervise l'organisation à travers le gouvernement qu'il dirige. Le PJD qui revendique une cote de popularité dépassant les 80% et qui est sorti largement vainqueur de trois élections partielles est-il pour autant déjà donné gagnant des élections locales ? Et quels sont les autres partis favoris ? La réponse n'est pas aussi évidente qu'elle le paraît. Il faut d'abord prendre en compte certains facteurs : le seuil électoral, le mode de scrutin, le découpage. Théoriquement un seuil élevé favorise les grands partis, de même que le scrutin de liste et le découpage qui privilégie les grandes circonscriptions. Autrement dit, dans les grandes circonscriptions et là où il y a scrutin de liste, c'est probablement le PJD qui triomphera. Il l'a déjà montré lors des dernières communales de juin 2009. Dans les petites circonscriptions, en revanche, c'est plutôt la personne du candidat qui s'impose. Peu importe le parti, c'est l'individu qui prime. Et ceux parmi les partis politiques qui sauront convaincre les notables de se présenter sous leurs bannières auront le dernier mot. Ce n'est pas tout. Le PJD, depuis qu'il est au pouvoir, a intensifié le quadrillage du territoire avec la création de nouvelles antennes locales, particulièrement dans les zones rurales. Cela tout en veillant à renouveler ses responsables locaux. Durant ces dernières semaines, il a procédé à une restructuration de toutes ses instances et un changement de visages au niveau local. Restructuration, changement des élites au niveau local et une forte présence du tissu associatif qui lui est affidé, pour les analystes ce sont là des ingrédients qui favoriseront certainement une large victoire des islamistes. En ce sens, certaines associations qui gravitent autour du PJD et de sa matrice, le Mouvement unicité et réforme (MUR), tentent déjà d'exploiter le mauvaises conditions climatiques et géographiques dans certaines régions du pays (froid, neige, enclavement…), pour mener une campagne électorale avant l'heure sous couvert de «caravanes d'aides aux populations affectées». La manœuvre ne semble pas échapper aux services de l'Intérieur qui ont avorté plusieurs de ces tentatives. Par ailleurs, et la sociologie politique le confirme, le comportement de l'électeur marocain est encore fortement conditionné par le pouvoir et l'argent. Le PJD dispose des deux, il contrôle les ministères clés : la Solidarité et le développement social, l'Equipement, les Affaires générales, le ministère chargé avec la société civile. Le citoyen vote pour celui qui contrôle les départements ministériels clés. Le PJD en est conscient. Selon Abdallah Bouanou, président du groupe parlementaire, qui intervenait dans une réunion du groupe PJD, l'année 2013 sera celle des réalisations par excellence, «les Marocains vont s'en réjouir». Il promet pas moins de 200 actions gouvernementales qui toucheront directement les citoyens. Et qui auront «une forte répercussion sur leur vécu». Voilà un atout de taille. Sera-t-il inscrit au nom de la majorité ou détourné par les ministres PJD ? Il faut attendre pour le savoir. PAM, Istiqlal, une course pour la deuxième place Entre-temps l'Istiqlal, ne se laisse pas faire. A peine élu à la tête du parti, Hamid Chabat s'était déjà fixé un objectif : se classer premier aux prochaines communales. Les analystes politiques en conviennent, «l'Istiqlal a toujours été une constante dans ce changement continuel qu'a connu la scène politique marocaine», affirme Tarik Tlaty. Son électorat est stable. On vote par discipline. Il dispose d'une base solide et son score électoral, s'il ne s'améliore pas, reste constant mais ne peut en aucun cas régresser. Aussi, l'Istiqlal peut-il très bien arriver en deuxième position derrière le PJD. L'accession de Hamid Chabat aux commandes du parti, le changement des élites au niveau des instances dirigeantes peuvent insuffler un nouvel élan à ce parti qui a su exploiter à fond la campagne de la course au secrétariat général pour redorer son image et se montrer sous le visage d'un parti aussi démocratique et respectueux de la volonté de ses militants de base que le PJD. Le comportement du secrétaire général, depuis son élection, et sa confrontation avec le PJD, donnent de l'Istiqlal l'image d'un parti fort et surtout incontournable. Dans cette future lutte pour le podium, le PAM, vainqueur des élections de 2009, n'est pas en reste. Il a réussi dernièrement un coup d'éclat en réunissant au Maroc, autour de la même table de négociations, pas moins de 28 factions palestiniennes. Le PJD a essayé de contrer ce coup en envoyant une vingtaine de députés à Gaza, mais l'incident dans l'avion d'Egypt Air a fini par gâcher l'événement. Les députés PJD de retour de Gaza ont failli provoquer un atterrissage d'urgence à cause d'une scène d'un film programmé pendant le vol qui n'était pas de leur goût. Seul hic, le PAM a complètement changé d'orientation : nouvelle direction, renouvellement des instances, … Bref, le parti ne compte plus sur les notables pour conquérir les sièges, mais sur les étudiants, les jeunes, les professions libérales (médecins, ingénieurs, avocats, …), pour assoir une solide base de popularité. Sur le court terme, cette stratégie peut lui coûter quelques sièges au titre des prochaines élections, mais à plus long terme son discours peut gagner en crédibilité et en notoriété. Quant au MP, il peut très bien garder une place parmi les quatre ou cinq formations du peloton de tête. Le fait que son secrétaire général, Mohand Laenser, dirige le département de l'intérieur est un avantage conséquent. L'Intérieur a toujours exercé un pouvoir de fascination sur les élites locales, c'est aussi et avant tout l'autorité de tutelle pour les conseils élus. Rien, ou presque, ne peut se décider dans une commune, province, préfecture ou région sans son aval. Le MP pourrait bénéficier du retour de centaines sinon de milliers de notables qui l'avaient quitté pour le PAM à la veille des élections de juin 2009. Bien sûr, il peut toujours compter sur les inconditionnels partisans dans les zones rurales, les régions du Moyen-Atlas où il dispose d'une forte implantation et dans certaines villes. La question est de savoir, toutefois, si le parti pourra reconquérir sa place d'avant l'apparition du PAM. Une chose est sûre : tel qu'il se présente aujourd'hui, il n'est pas de taille à concurrencer le PJD, l'Istiqlal et le PAM. Le RNI, lui, pourrait très bien se voir parmi le bloc des premiers, «mais à condition de revoir sa copie, côté organisation et rayonnement», explique le politologue Tarik Tlaty. La récente initiative de s'allier à un syndicat, l'UGDTM, pourrait lui permettre une présence sur le terrain. Mais le RNI, tout comme l'UC d'ailleurs, souffre encore du fait qu'il ne se soit pas encore parfaitement adapté à son statut de parti d'opposition. Huit mois pour un scrutin A l'image de l'Istiqlal, la nouvelle direction de l'USFP tentera de traduire dans la réalité ses promesses d'avant le 16e congrès. Driss Lachgar, le nouveau premier secrétaire, a promis de couvrir pas moins de 70% des circonscriptions électorales. Le parti s'est également engagé à une plus grande ouverture sur son entourage. Le rapprochement entre son bras syndical, la FDT, et la centrale de Noubir Amaoui, la CDT, pourrait améliorer quelque peu ses résultats. Concernant le PPS, l'expérience des notables qu'il a tentée lors des dernières législatives de novembre 2011, ne lui a pas réussi. Le parti n'est même plus sûr, après l'annulation du mandat de l'un de ses députés, de retrouver son groupe parlementaire à la prochaine rentrée. Il peut toutefois compter sur un coup de pouce du PJD pour glaner quelques sièges. Certains analystes politiques estiment que c'est le moins que puissent escompter les anciens communistes de leur appui inconditionnel et indéfectible au PJD dans son bras de fer avec l'Istiqlal. Voilà pour les positions des uns et des autres. Mais qu'en est-il de la préparation proprement dite des élections ? Le projet de loi organique de la régionalisation étant presque prêt, son examen au Parlement ne prendra guère plus de quatre mois, estime un député de la majorité. Cela alors que les concertations entre gouvernement et partis politiques, qui précèdent le dépôt du projet au Parlement, ne dureront pas plus d'un mois. L'Intérieur s'est dit prêt à tenir les élections dans un délai de trois mois. En somme, un mois de concertations et quatre mois pour l'adoption du texte de loi ainsi que les autres textes requis. Si l'on ajoute les trois mois nécessaires pour la préparation matérielle, cela nous fait huit mois. Si tout va bien, les élections devraient avoir lieu vers fin septembre. Et si, estime ce parlementaire de la majorité, l'on démarrait avec les Chambres professionnelles, qui ne demandent pas un effort du ministère de l'intérieur, et en parallèle les représentants des salariés et les membres des commissions paritaires pour la fonction publique, ce sera quelques semaines de gagnées. De même, la logique, et surtout les impératifs de la bonne gouvernance, veulent que les élections communales et régionales aient lieu le même jour au cours du même scrutin. Cela pour faire l'économie du temps, de l'effort et de l'argent. Ce faisant, les élections de la deuxième Chambre pourraient avoir lieu début octobre et le Parlement sera ouvert, avec une deuxième Chambre enfin légalement constituée, le même mois.