Les produits proviennent essentiellement de Chine, d'Inde, de Turquie et d'Egypte. Un coupon de 3 mètres se vend entre 30 et 50 DHÂ ! Sur les 20 unités industrielles en activité, il y a quelques années, il n'en reste plus que quatre. Si le tissu d'ameublement a été fortement pénalisé par la concurrence des petits ateliers informels, c'est aujourd'hui la filière du tissu d'habillement qui souffre, mise à genoux par les importations. A Derb Soltane et Hay Mohammadi dans la capitale économique, les kissariates sont inondées de tissus en provenance de Turquie, d'Egypte et de pays asiatiques comme la Chine, l'Inde ou encore le Pakistan. Une visite dans ces quartiers permet de mesurer l'ampleur de «l'invasion» : les coupons marocains se font rares. Selon les professionnels, aussi bien que le ministère de l'industrie, cette concurrence existe certes depuis plusieurs années, mais les importations ont connu une hausse sensible à partir de l'année 2010. Depuis, les fabricants locaux accusent le coup. «Durant ces deux dernières années, le tissu industriel s'est fortement rétréci. Aujourd'hui, nous pouvons compter seulement quatre fabricants (Bericolor, Jaditex, Setitex et le groupe Kabbaj) de tissus d'habillement chaîne et trame qui tentent de tenir la tête hors de l'eau», explique un membre du conseil d'administration de l'Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (Amith). Que représentent ces importations de tissus d'habillement et qui les effectue ? Comme c'est souvent le cas, les professionnels ont du mal à évaluer le volume exact des entrées, mais ils considèrent qu'elles représentent 20% du marché local des tissus et produits finis estimé, selon une étude réalisée en 2010 par l'Amith, à 40 milliards de DH, soit grosso modo 8 milliards de DH. Mais ce chiffre est en principe dépassé du fait que les importations se sont entretemps intensifiées. L'on sait en revanche que les importations portent en général sur des tissus de moyen et bas de gamme utilisés pour la confection de tenues traditionnelles, djellabas, entre autres, de robes ou encore de pyjamas. Selon les industriels rencontrés, les produits sont importés par à-coups par des commerçants, des transporteurs et des transitaires attirés par ce filon juteux. Les arrivages se font, racontent des commerçants de Derb Soltane, une à deux fois par mois, ce qui a permis de constituer des stocks importants de tissus en coton, polyester et viscose. En hiver, les importations portent sur des tissus en lainage pour les djellabas. En été, la demande bascule sur les tissus en coton. Même les industriels deviennent importateurs ! Dans le secteur, on signale qu'un grand nombre d'industriels se sont aussi reconvertis, au cours de l'année 2011, en importateurs de tissus de haute et moyenne gamme pour continuer à «vivre». Ce qui explique, selon un membre de l'Amith, la hausse des importations de tissus de près de 10% au cours de ces premiers mois de 2012 par rapport à l'année 2011. Selon la même source, ces importations sont effectuées normalement et conformément à la réglementation douanière. Par contre, les importateurs ponctuels usent, quant à eux, de la sous-facturation. Ce qui justifie le niveau de prix de vente de leurs tissus sur le marché local. En effet, aujourd'hui on peut acheter un coupon de trois mètres pour une djellaba ou un caftan entre 30 et 50 DH, en fonction de la qualité et aussi, explique un commerçant, de l'origine. Il précise que les tissus en provenance de Turquie et d'Egypte sont vendus entre 40 et 50 DH, alors que pour ceux qui proviennent des pays asiatiques, le prix ne dépasse pas 30 DH. «Ces importateurs cassent le marché avec de tels prix qui sont inférieurs au coût de la matière première utilisée par les industries locales, qui varie de 50 à 60 DH», dénonce un industriel de la place. Et d'ajouter que pour les produits fabriqués localement les prix varient en fonction de la qualité et du grammage du tissu. Le coupon de trois mètres de moyenne gamme est par exemple proposé entre 200 et 800 DH. Pour le haut de gamme, les étiquettes vont de 2 000 à 6 000 DH le coupon. Les produits haut de gamme importés, quant à eux, voient leur prix atteindre parfois les 15 000 DH. Mais il s'agit bien entendu d'une niche constituée essentiellement de tissus en soie et en dentelle. Les commerçants ont constitué d'importants stocks durant ces deux dernières années Fortement pénalisés par cette concurrence, les industriels ont, via l'Amith, saisi, en 2010 déjà, le ministère du commerce, de l'industrie et des nouvelles technologies ainsi que l'Administration des douanes pour les sensibiliser à la dégradation de la situation dans une branche qui a enregistré plusieurs fermetures d'unités, plus d'une dizaine d'après leurs estimations. Les entreprises qui sont encore en activité se sont résolues à se spécialiser dans des petites niches et ont été contraintes de mettre en attente leurs programmes d'investissement, le temps que l'environnement de leur activité soit mieux organisé. A en croire un membre du conseil d'administration de l'Amith, l'Administration des douanes a mis en place plusieurs mesures, notamment un prix plancher et a renforcé le dispositif de contrôle des normes, notamment l'étiquetage. En effet, l'administration a fixé un prix plancher de 60 à 80 DH le kilo, variant en fonction de la qualité et du grammage du tissu. Ce qui, en principe, devrait décourager les importations sauvages. Même si la bataille contre la sous-facturation des importations est loin d'être gagnée, il semble qu'une amélioration de la situation du marché est en train de se faire sentir. Selon l'Amith, les importations de tissu qui avaient augmenté à un rythme assez soutenu durant les trois premiers mois de l'année ont commencé à se tasser depuis le mois d'avril. Cependant, les importateurs, qui ont pu constituer d'énormes stocks de tissus durant ces deux dernières années, continuent à approvisionner les kissariates et autres marchés des différentes villes du pays. L'abondance actuelle de l'offre, face à une demande appelée à augmenter dans les deux prochains mois avec l'arrivée des MRE, selon un commerçant de Hay Mohammadi, donne ainsi l'impression que le marché est toujours ouvert aux quatre vents. Mais si la vigilance des services de la douane ne faiblit pas, la production locale pourrait améliorer sa compétitivité prix qui reste un facteur déterminant dans un marché comme le Maroc, caractérisé par un pouvoir d'achat moyen limité. Restera cependant à travailler sur la qualité pour marquer davantage la différence.