Une fois résident général, lyautey dira du maroc : "Empire historique et indépendant, jaloux à l'extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude", contrairement à l'Algérie où la France n'a rencontré qu' "une véritable poussière, pas d'Etat constitué, nulle organisation sociale sur laquelle nous puissions nous appuyer". Personnage complexe, qui dans le feu de l'action accommodera ses idées selon les nécessités du moment. Celui qui œuvrera à la politique de la tache d'huile à partir d'Aïn Sefra, et monta tout un stratagème pour annexer Béchar, avec succès, rebaptisé Colomb (du nom d'un général français mort dans ces confins) et qui fit incursion dans Aïn Beni Madhar -de Dahra, plateau- (qu'on prononce aujourd'hui Mathar), sans succès cette fois-ci, qu'il voulait rebaptiser Berguent (du nom d'un soldat français), est celui qui se montrera jaloux des configurations territoriales du Maroc une fois Résident général et qui dira du Maroc : «Empire historique et indépendant, jaloux à l'extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude», contrairement à l'Algérie où la France n'a rencontré qu'«une véritable poussière, pas d'Etat constitué, nulle organisation sociale sur laquelle nous puissions nous appuyer». Celui qui avait un jugement tranché sur le Makhzen, archaïque à son goût et qui disait sans ambages que «c'est chez les adversaires du Makhzen que se trouvent tous les éléments favorables à l'ordre, à la sécurité, à l'accession de notre influence, et au contraire les autorités chérifiennes et les tribus makhzéniennes y syndicalisent tout ce que nous avons à combattre», sera le meilleur serviteur de cet ordre tant honni, une fois proconsul. Le premier Résident général de la France se présentera comme étant le «premier serviteur de Sidna». Celui qui partageait la vulgate coloniale sur l'islam, religion fanatique pour gens superstitieux, xénophobes et fatalistes, sera celui qui composera avec les zaouïas et les «honorables» oulémas, et caressera le rêve d'un califat au Maroc, à la place du califat aboli par Mustapha Kemal en 1924. Lyautey finira lui-même par avoir sa propre «zaouïa», une coterie d'inconditionnels. Produit de l'Algérie française, c'est au Maroc que Lyautey comptait laisser son empreinte. «Le Maroc, bien plus que l'Algérie, est devenu le pays de nos idées et par vous ces idées vivront», lui dira un admirateur d'Alger. N'est-ce pas là un testament outre-tombe pour les épris de la «grandeur» de la France qui traversera les temps et les vicissitudes de l'Histoire ? Lyautey fera avec tout l'arsenal archaïque du Maroc, au nom du respect de la qua'ida. Entendez la tradition. Comment un tel esprit pétri dans l'ordre, la discipline et la rationalité pouvait-il plier à la tradition et à la superstition ? Comment pouvait-il s'accommoder de deux ordres antinomiques ? Etonnant, mais compréhensible : Lyautey était au service de la France, de certains Français, et accessoirement de quelques Marocains, indispensables intermédiaires à l'ordre du Protectorat, mais il n'était pas au service du Maroc… Il définissait sa mission par cette double phrase qui en dit long : «Régent pour les indigènes et gérant pour les colons»…Il s'enorgueillit de gérer le Maroc comme une entreprise. Pour l'histoire, il ne sera pas le seul à user de ce vocable. Des Marocains bien nés, sous l'indépendance, useront de la même expression et de la même conception. La paternité du «Maroc utile» lui revient. Le grand spécialiste Daniel Rivet de la période du Protectorat émettra ce jugement on ne peut plus clair : «La Résidence ne se donne ni la technique ni les moyens de sa politique affichée de modernisation du Maroc pour les Marocains avec des Marocains». C'est le vice rédhibitoire de l'œuvre de Lyautey, mais était-il l'unique vice ? Un des concepteurs de l'ordre colonial, repris par Rivet, dira de manière cynique, mais combien vraie : «Un des éléments primordiaux du maintien de l'ordre au Maroc, c'est le manque de cohésion qui caractérise le peuple marocain. C'est sur cet élément d'ordre psychologique que le Makhzen (sic) avait bâti son autorité. Allons-nous le détruire aujourd'hui de nos propres mains et nous priver ainsi d'un moyen de gouvernement qui a fait ses preuves et qui n'a pas été moins profitable au Protectorat qu'à l'ancien Makhzen». Il faut tenir les Marocains par leurs travers, disait le capitaine Le Glay. Belle conception de la mission dite «civilisatrice». Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd, mon capitaine ! Vous ferez des adeptes. Qu'est-ce l'œuvre de Lyautey in fine ? C'est, selon la formule laconique, l'électricité plus le Moyen-âge, ou le Moyen-âge plus l'électricité. Lyautey est la fierté de la France. Il reposera aux Invalides, après qu'on lui aurait refusé de reposer dans son «mausolée» qui donnait sur la nécropole de Chellah. Il nous a légué, nous autres «salopards», une belle œuvre, mais inachevée… Savez-vous ce que veut dire «salopard» ? «C'est, selon Le Robert, un nom injurieux par lequel les soldats français désignaient les Marocains aux ordres d'Abdelkrim». Tout est à faire, ou à refaire, pour que le legs de Lyautey soit au service des Marocains, et non de quelques Marocains ou de la «métropole»… Maréchal, nous voilà…pour changer de cap, un siècle après.