Cour constitutionnelle, régionalisation, fonctionnement de l'Exécutif, rôle de la justice, pouvoirs de l'opposition…, elles sont nécessaires pour établir le nouveau fonctionnement des institutions. Pour le moment, le gouvernement n'en a proposé qu'une seule. Celui de A. El Fassi en a fait adopter quatre. L'après-Constitution vient à peine de démarrer pour le gouvernement. C'est sur lui que repose tout le travail d'interprétation et de concrétisation de son contenu. Ainsi, en présentant, le 15 mars devant le Parlement, le projet de loi organique relative aux nominations de hauts fonctionnaires, il vient d'entamer un long processus législatif qui doit prendre fin avant le terme de son mandat. En effet, «le gouvernement est tenu par la Constitution de préparer et présenter au Parlement près de 24 lois organiques avant la fin de son mandat. C'est d'ailleurs une première dans l'histoire du Maroc», affirme Mohamed Hanine, président de la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme. Par quelle loi faut-il commencer ? Pour ce député RNI (opposition), également professeur de droit à l'université Mohammed V, «c'est au gouvernement de définir lesquels parmi ces textes sont les plus urgents. Car les priorités varient comme varient les attentes de la société. Les textes jugés prioritaires pour les entreprises ne le sont pas, par exemple, pour le milieu associatif. Globalement, il s'agit de textes structurants. Ils interprètent la Constitution, ils sont donc tous importants». Certains revêtent néanmoins un caractère urgent. Le constitutionnaliste Abderrahmane Baniyahya estime en ce sens que le texte le plus attendu est sans doute celui relatif à l'organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle. «C'est cette loi qui va définir réellement les relations entre les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire», affirme le juriste et président du groupe parlementaire du PAM (opposition), Abdellatif Ouahbi. Le conseiller du ministre chargé des relations avec le Parlement et la société civile, Abdelmalek Lakehayli, est lui aussi de cet avis, puisque, «le conseil constitutionnel (NDLR : qui continue de statuer sur la constitutionnalité des lois en attendant l'installation de la Cour prévue dans les articles 129 à 134 de la Constitution) se trouve souvent dans l'incapacité de se prononcer sur les textes qui lui sont soumis et se déclare donc incompétent». Le deuxième texte, également urgent, est celui de la régionalisation. La loi organique relative aux régions et collectivités territoriales tire son caractère pressant du fait de la nécessité de son adoption avant d'entamer le prochain processus électoral qui démarre, dans quelques mois, avec les élections communales. Au delà de son caractère technique c'est un texte de la plus haute importance puisqu'il apporte une refonte du fonctionnement de l'Etat et un partage des pouvoirs entre le pouvoir central et les régions. L'identité nationale, une priorité pour le PJD Ces deux textes appellent eux-mêmes à l'adoption au plus vite d'un troisième : celui relatif à la structure et au mode de fonctionnement du gouvernement. «C'est un texte qui est appelé à délimiter les frontières entre le politique et l'administratif dans l'action des membres du gouvernement», explique Abderrahmane Baniyahya. Pour ce constitutionnaliste, quand on parle de bonne gouvernance (et l'actuel gouvernement en fait son credo) il faut d'abord commencer par définir les compétences des ministres et des membres de leurs cabinets, fixer celles des grands départements ministériels. Ce texte devrait également statuer sur le sort des Hauts commissariats, qui étaient à la base des départements ministériels, ainsi que la délégation gouvernementale des droits de l'homme, pour ne citer que ceux-là. De même, «la Constitution du 1er juillet 2011 apporte une nouvelle notion, celle du gouvernement d'expédition des affaires courantes chargé de gérer la phase post-élections. On ne sait pas encore quelles sont ses attributions ni l'étendue de son champ d'action. Un tel texte, s'il était promulgué avant, nous aurait épargné la polémique qui a accompagné la nomination et l'entrée en service de l'actuel gouvernement», note Mohamed Hanine, le président de la commission de la justice. Pour le parti au gouvernement, les priorités sont autres. Ainsi, Lahbib Choubani, ministre chargé des relations avec le Parlement et la société civile, estime, par exemple, que la loi organique relative à l'identité est, de loin, l'une des plus urgentes. Le PJD a mis l'accent aussi bien dans son programme électoral que dans la déclaration gouvernementale présentée devant le Parlement sur ce volet relatif à l'identité marocaine et les moyens de la raffermir. Le débat de la loi organique du conseil national des langues et de la culture marocaine (article 5) devrait servir de prétexte pour aborder cette question. Le département de Choubani tient également à voir adopter le texte encadrant l'exercice de l'initiative législative citoyenne et la présentation des pétitions adressées aux autorités par la société civile. Mais «sa programmation dépendra du plan législatif du gouvernement en entier». Car, et c'est une première, aussi bien le ministère chargé des relations avec le Parlement que les autres membres du gouvernement devraient finaliser sous peu un plan d'action législatif étalé sur toute la durée du mandat de l'Exécutif. «Le ministère vient d'adresser une demande à tous les départements ministériels les invitant à lui remettre leur programme législatif pour cinq ans à venir et une liste de projets de loi à préparer pour l'année en cours», affirme Abdelmalek Lakehayli, conseiller aux affaires parlementaires du ministre Lahbib Choubani. La mesure concerne aussi bien les projets de loi organiques que les textes ordinaires. Commissions d'enquêtes, grèves… en attente d'un modus operandi Le Parlement, lui aussi, attend son lot de lois organiques pour accomplir au mieux sa mission de législation et du contrôle du gouvernement. Les députés, particulièrement ceux de l'opposition, espèrent, en ce sens, voir adopter le texte relatif aux prérogatives et à l'exercice de l'opposition. Et plus particulièrement le volet lié au traitement réservé aux propositions de lois présentées par ses membres. Il en va de même pour les commissions d'enquête parlementaires dont la Constitution, le mode de fonctionnement et l'étendue des pouvoirs devraient être définis par une autre loi organique. Sans ces deux textes, l'opposition parlementaire, à laquelle la Constitution réserve tout un article (article 10), se retrouve dans l'incapacité de jouer pleinement le rôle qui lui est dévolu par la loi fondamentale. Cela sans oublier, pour boucler la boucle, la Justice promue désormais au rang de véritable contre-pouvoir, mais dont l'élargissement des compétences est également, tributaire d'une autre loi organique. C'est donc un enchevêtrement de textes dont dépend le fonctionnement normal des institutions clés telles que le Parlement, le gouvernement ou encore le pouvoir judiciaire. A cela s'ajoutent deux textes tout aussi importants : la loi organique relative au droit de grève attendue depuis… la Constitution de 1962 (voir page 14). Un texte dont l'urgence n'est plus à mettre en doute en ces jours même où le gouvernement fait face à une série de grèves dans différents secteurs (Collectivités locales, Justice, Santé…). L'autre texte étant celui définissant les modalités et les délais de la mise en œuvre de l'officialisation de la langue amazighe. Projet de loi très attendu par le milieu associatif. Bref, tout semble prioritaire et urgent alors qu'en cette fin du mois de mars, trois mois se sont déjà écoulés depuis le début du mandat de l'actuel gouvernement. Le débat de la Loi de finances, entamé en commission mardi 20 mars, devrait mobiliser les parlementaires pendant plusieurs semaines. Tout de suite après, ce sera autour de la loi organique sur la régionalisation d'accaparer l'attention des élus. S'enclenchera ensuite un long processus électoral qui démarrera avec les élections communales pour ne prendre fin que peu avant l'ouverture de la session parlementaire d'octobre prochain. Dès l'ouverture de la session d'automne du Parlement entièrement renouvelé, avec l'entrée en fonction de la Chambre des conseillers réformée, les élus se mettront dans l'expectative du projet de Budget de 2013. Si le temps fait défaut, des sessions extraordinaires Une année très chargée, donc. Se pose alors une question : le gouvernement et le Parlement auront-ils assez de temps pour préparer, proposer au débat et à l'adoption toutes ces lois organiques dont dépend la concrétisation du contenu de la nouvelle Constitution ? Le président de la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme, Mohamed Hanine, estime que, «préparer 24 lois organiques en un peu plus de quatre ans ne relève pas de l'impossible. Il suffit juste qu'il y ait une volonté de la part du gouvernement pour le faire, quitte à tenir des sessions extraordinaires du Parlement quand le temps fait défaut». D'ailleurs, la première loi organique que le gouvernement a présentée, celle relative aux nominations aux hauts postes, l'a été pendant une session extraordinaire. Le gouvernement Abbas El Fassi a fait autant quand il a fallu promulguer les textes nécessaires à l'organisation des dernières élections législatives, la loi organique de la première Chambre et celle des partis politiques notamment. En définitive, observe le professeur de droit constitutionnel, Abderrahmane Baniyahya, «il faut que les différentes lois organiques soient promulguées rapidement. Il faut que l'on passe de cette période de transition que traversent plusieurs institutions et organismes à la normalisation politique et institutionnelle». Seulement, comme le fait bien noter Abdelmalek Lakehayli, «on ne peut décider du jour au lendemain de promulguer une loi organique. Il faut du temps pour cela. La préparation, le débat, l'adoption et la promulgation d'une loi organique peuvent prendre plusieurs mois à un an, voire deux ans». A titre d'exemple, la loi sur les nominations aux hauts postes, préparée par le gouvernement Benkirane a été adoptée en conseil du gouvernement, puis en conseil des ministres le 7 février, elle a été présentée au Parlement le 15 mars et devrait être adoptée avant le début de la prochaine session ordinaire du printemps qui démarre le 13 avril, soit un parcours de près de trois mois. Dans tous les cas, même après leur promulgation, ces lois organiques ne seront effectives qu'une fois leurs décrets d'application publiés. Démocratie participative comme approche Cela d'autant qu'il faut engager un débat à la portée nationale, dans bien des cas, avant l'adoption de ces textes. Car, comme le soulignent les observateurs, il est question de donner corps aux dispositions constitutionnelles, ce qui revient à mettre en place un prolongement de la loi fondamentale. Un processus qui engage tout le monde. Le constitutionnaliste A. Baniyahya est ferme sur ce point : «Sans un véritable débat national sur ces lois on risque de les vider et par la même occasion vider la Constitution de son sens». On parle de même ici et là de mise en œuvre et de concrétisation démocratique de la Constitution. Or, explique ce professeur de droit constitutionnel, «si par démocratique on entend procéder à un vote et que la majorité l'emporte, nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge. La vraie question est : est-ce qu'on va interpréter le texte de la Constitution d'une manière moderne, progressiste et libérale de façon restrictive et conformiste ?». Le président du groupe parlementaire du PAM verse dans le même sens. «Procéder de manière démocratique, explique-t-il, exige d'associer la partie opposée au débat, donner aux minorités le droit de proposer leur point de vue et s'engager à le prendre en compte». Sur ce volet, l'Exécutif se montre rassurant. Abdelilah Benkirane a fait référence à plusieurs reprises à la démocratie participative comme approche dans l'action de son gouvernement. «Oui, il y aura débat public, insiste A. Lakehayli. Nous œuvrons en ce sens, il y aura une démocratie participative et je ne parle pas seulement d'associer les parlementaires de la majorité et de l'opposition, mais également la société civile et les citoyens en général. D'ailleurs c'est une exigence de la nouvelle Constitution. La preuve en est l'institution de l'initiative législative citoyenne et la présentation des pétitions». A ce stade, difficile de prendre un tel aveu pour argent comptant, sachant que le gouvernement a choisi une session extraordinaire pour présenter sa première loi organique au débat parlementaire. Ce qui, de surcroît, est fait dans la foulée des débats sur la Loi de finances. Une façon, semble-t-il, de vouloir tordre le bras aux députés.