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Istiqlal : Au moins 5 partis pour avoir une majorité confortable
Publié dans La Vie éco le 11 - 11 - 2011

L'Istiqlal tient à la Koutla. Ensemble dans le gouvernement ou ensemble dans l'opposition. L'année 2012 sera d'abord politique : le gouvernement devra gérer un calendrier électoral chargé et lancer la régionalisation.
La Koutla vient d'annoncer une plateforme commune. Elle revit à l'occasion des élections…
Toufiq Hejira : La Koutla existe depuis 20 ans. Nous sommes inscrits dans la pérennité, mais elle a connu, et c'est normal, des périodes de haute saison et de basse saison. Nous avons fait les élections ensemble, nous sommes allés ensemble dans l'opposition comme dans la majorité. J'imagine et c'est ce qu'on va encore faire, du moins de la part du Parti de l'Istiqlal.
La Koutla a fait un travail remarquable que personne ne peut nier. Nous continuons dans la même logique de partis nationalistes et nous gardons les mêmes valeurs. Nous avons certes fait évoluer les concepts et les idées, mais les valeurs, le socle, les fondements et les racines sont restés les mêmes.
Adnan Benchakroun : Il faut dire que l'on a annoncé la mort de la Koutla des dizaines de fois, et cette mort n'a jamais eu lieu. Permettez-moi de rappeler cette phrase de Allal El Fassi qui résume la position de l'Istiqlal sur la question : «La Koutla est comme un mariage catholique». C'est-à-dire que nous serons ensemble soit dans l'opposition ou dans la majorité, jusqu'à ce que les choses se décident autrement.
Cela veut dire quoi ? Que les choses se décident?autrement ?
A.B.: Si dans cinq ou dix ans le paysage politique marocain évolue vers plus de maturité, si nous avons assez de recul démocratique pour aboutir à une clarification nécessaire du champ politique, la Koutla pourrait peut-être cesser d'exister. Mais aujourd'hui nous n'en sommes pas encore arrivés à ce stade.
Et comment réagissez-vous par rapport à ce qui se passe dans la gauche entre l'USFP, le PPS, vos deux partenaires de la Koutla et le FFD ?
T.H.: Tout d'abord, il faut noter une chose, ce qui se passe entre les trois partis n'est pas une alliance. Ce n'est qu'une rencontre dans la série de celles organisées par la gauche. Auparavant, ils étaient plus de trois, aujourd'hui ils ne sont que trois. Ils ont décidé de se réunir de nouveau autour d'une table ronde pour une activité, je dirais académique. Mais, ils ne sont pas dans une alliance, ils n'ont pas parlé d'une plate-forme commune.
Que pensez-vous de ceux qui disent que l'USFP finira par rejoindre le G8?
T.H.: Je mettrais ceci dans la case de la rumeur ou de l'intox. L'USFP est un parti de grands nationalistes, de figures de proue de l'histoire et du présent du Maroc. Je fais entièrement confiance aux fondements et aux valeurs de l'USFP. Je suis sûr qu'il prendra la bonne décision en fin de compte.
Après les élections, si vous, l'USFP et le PPS vous n'avez pas la majorité numérique pour former un gouvernement, est-ce que vous vous allierez par exemple avec le PAM ou le PJD ?
T.H.: S'il y a une instance qui doit prendre cette décision, c'est le Parlement du parti [NDLR. Le Conseil national qui compte 800 membres]. Mais on peut faire quand même un peu de gymnastique intellectuelle et évoquer toutes les possibilités qui s'offriront à nous. Schématiquement, si on garde le socle ou les racines, que sont les valeurs du parti et qui seront constantes, toutes les possibilités, et ça fait partie du jeu politique, sont envisageables. Il ne faut pas oublier à ce titre que quand le Premier ministre est nommé, il tient des rencontres avec toutes les formations politiques du Maroc. Cela fait partie des valeurs démocratiques. Donc, tout sera possible, mais sur la base du programme, c'est-à-dire le plan d'action et non pas du référentiel idéologique des partis. Ce sera sur la base du plan d'action 2012-2016. S'il y a une correspondance autour de 60%, 70%, voire 80%, avec le plan d'action du parti concerné je ne vois pas d'objection à ce que l'on s'allie avec le PJD ou le PAM.
Vous avez d'un côté un Chabat qui est membre du comité exécutif de l'Istiqlal et qui tire sur le PAM à longueur d'année, et d'un autre côté vous venez dire que tout est possible en fonction d'un programme commun….
A.B.: Il faut d'abord préciser que nous partons du postulat où l'Istiqlal gagne les élections, que le Roi nomme un de ses membres comme chef de gouvernement. Il est à noter ensuite que nous ne sommes pas devant des élections normales. On ne peut pas non plus ignorer ce qui se passe autour de nous et dans le monde. Donc, l'offre politique doit être intelligente et doit répondre à une perception immédiate de ces facteurs. Par conséquent, l'Istiqlal va s'inscrire dans cette démarche en disant que, outre le programme, l'architecture et les alliances de cette majorité doivent se construire en intégrant aussi bien la qualité des personnes que les participants à cette majorité.
Faut-il retenir de vos déclarations qu'il n'y a pas de tabou en matière d'alliances ?
T.H.: Une alliance politique existe déjà et c'est la Koutla. Nous ne l'avons pas changée depuis 20 ans et le parti de l'Istiqlal ne compte pas la changer demain. Mais, comme nous l'avons fait durant les deux derniers gouvernements, il pourrait y avoir une certaine ouverture sur d'autres composantes politiques.

Est-ce qu'il y a des lignes rouges?
A.B.:Tout dépendra des circonstances et des acteurs politiques. Si vous pensez au PAM, je vous rappelle qu'il était au début dans le gouvernement. Si c'est le RNI, il ne peut pas gouverner tout seul et même avec la Koutla il n'aura pas la majorité. Par ailleurs, nous sommes dans une pré-campagne électorale depuis quelques semaines, il suffit de regarder le comportement des acteurs politiques pour deviner où vont leurs penchants. Ces acteurs vont se comporter de telle façon qu'intentionnellement, certaines lignes rouges vont se créer. Et le comportement électoral des uns et des autres déterminera l'espace dans lequel va évoluer la Koutla.
Que répondez-vous aux gens qui pensent que la place naturelle de la Koutla c'est aux côtés du PJD ?
T.H.: Cela rentre dans le cadre de l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression. Cela ne veut pas dire que c'est impossible du moment que les racines de la Koutla, c'est-à-dire ses valeurs, restent invariables. Pour mieux illustrer la situation, prenons l'exemple d'un arbre avec ses trois composantes: les racines, le tronc et le feuillage. Les racines ne vont pas changer, ce sont les fondements : les institutions, le nationalisme, la lutte pour la démocratie… Le tronc est formé par les trois partis, l'Istiqlal, l'USFP et le PPS. Le feuillage, lui, il change avec les saisons.
Avec le PJD, nous adoptons une position qui est, à mon sens, claire. Soyons cohérents, aujourd'hui, nous reprochons aux uns et aux autres de se mettre dans des alliances où on a tendance à se perdre au niveau des racines, des valeurs et des tendances. Nous n'allons pas faire ce que nous reprochons à ces gens. D'un autre côté, dans les autres alliances, il y a ceux qui sont dans le gouvernement et ceux qui sont dans l'opposition.
Allusion faite au G8…
Les partis de la Koutla respectent le G8, nous n'avons pas de problème à ce niveau. La seule chose qui nous interpelle c'est cette image de cafouillage envoyée aux électeurs qui risque de nuire au taux de participation. Autrement, ils sont libres de faire ce qu'ils veulent. Nous sommes d'accord sur le principe du rassemblement et du regroupement de partis. L'Istiqlal, lui, ne peut pas annoncer une alliance entre des partis qui sont dans la majorité et d'autres partis qui sont dans l'opposition. Ceci dit, la couleur et la consistance du feuillage dépendra des élections.
Et pour revenir au PJD ?
A.B.: Ce débat existe bel et bien au niveau interne à l'Istiqlal. Mais la majorité a décidé démocratiquement que cette éventuelle ouverture sur le PJD ne peut se faire qu'après les élections. On ne peut nier non plus qu'il y ait une minorité qui veut accélérer les choses, un clan un peu plus populiste qui voudrait aller dans ce sens. L'Istiqlal est un parti large, il rassemble plusieurs générations, plusieurs sensibilités qui s'expriment et qui ont droit à la parole. Nous leur reconnaissons ce droit. Seulement, il y aussi des décisions qui se prennent à la majorité. Rendez-vous donc après le 25 novembre et ce quels que soient les résultats des élections.

Justement, supposons que vous soyez à la tête du gouvernement, quelles seraient vos trois priorités?
A.B.: Une des grandes missions du futur gouvernement sera de mettre en œuvre la Constitution. Il faut aussi organiser les trois prochaines élections : communales, régionales et celles de la deuxième Chambre. 2012 sera, par excellence, une année électorale. Le calendrier politique est donc dominant. Autre point qui est très important et que les gens ont tendance à oublier : le prochain gouvernement doit préparer 20 lois organiques, et c'est un travail énorme, pour mettre en œuvre cette nouvelle Constitution. Entre autres, la loi organique sur la régionalisation qui change toute l'architecture de l'Etat. Imaginez donc ce chantier 2012 dans un environnement financier et économique incertain.
En résumé, nous faisons face à un partenaire instable et en ballottage, un environnement géopolitique très particulier. Il ne faut pas non plus oublier les tensions sociales. Bref, nous manquons de visibilité. Au niveau politique, les règles de jeu ont changé, le pouvoir qui a été donné au Parlement est extraordinaire. Il faut donc une majorité très cohérente et solide pour préparer des projets de lois organiques cohérents en 2012.

D'où la question : quel serait le nombre de partis optimal dans un gouvernement du futur ?
T.H.: Cinq partis pour qu'ils ne soient pas atteints par le mauvais œil (rires). Sérieusement, on ne peut certes pas prévoir le taux de participation ni les résultats, deux facteurs décisifs. Mais, cela ne nous empêche pas de faire un petit calcul. Il nous faut aujourd'hui près de 200 sièges pour avoir la majorité numérique. Les premières formations politiques vont avoir, en moyenne, entre 50 et 60 sièges. Je parle des quatre ou cinq partis en tête de peloton. Il nous faudra cinq partis pour former une majorité confortable. Parce que c'est le mode de scrutin qui en décide ainsi, c'est arithmétique. Les blocs seront obligés de composer
Quels sont les défis économiques pour le prochain gouvernement,?les?mesures?les plus urgentes à prendre ?
A.B.: Comme je l'ai déjà dit, qu'on le veuille ou non, et quelle que soit la couleur du parti qui sera en tête, les cinq prochaines années seront particulières. Le travail du gouvernement en 2012 sera à 80% politique et 20% économique. Je pense que l'économique va attendre, les opérateurs économiques vont attendre les élections communales…
Quels sont justement les enjeux économiques?
A.B.: Il y a trois axes sur lesquels il faut agir immédiatement, dès l'investiture du gouvernement. Il faut d'abord rétablir la confiance des opérateurs. Il faut être clair, nous ne toucherons pas à l'investissement public. Les 180 milliards de DH annuels d'investissement public seront maintenus. Nous continuerons à construire la plateforme Maroc. C'est le premier point. Le deuxième point qui nous paraît important, c'est ne pas casser le déblocage du financement pour les PME-PMI, pour nous c'est très important. Le troisième axe sur lequel il faut qu'on agisse avec force c'est l'amélioration du niveau de vie. On doit répondre à la rue dans le sens de création d'emplois, de la mise en place des filets sociaux, de la préservation du pouvoir d'achat de la classe moyenne.
Et pour les questions de la retraite et de la Caisse de compensation, qu'est-ce que vous allez faire?
A.B.: Pour la retraite, nous avons tout fait, tout essayé, mais nous n'avons jamais eu l'occasion d'aller jusqu'au bout. Le chantier a pris du retard et pas seulement au niveau de l'actuel gouvernement, mais également quand le dossier était géré par le précédent exécutif.
T.H.: Pour la Caisse de compensation, il faut déjà noter que c'est la première fois au Maroc que le débat sur la question est posé. Une chose est sûre, malgré tout l'optimisme dont on peut être capable, il faut s'attendre à ce que l'addition ne baisse pas en deçà des 40 milliards de DH. La problématique est posée de la manière suivante : nous sommes face à de sérieuses difficultés. Car quand on soutient des produits de base, on le fait bien entendu pour la classe sociale mais aussi la classe moyenne. Ce qui nous amène à poser cette question : quel seuil de revenu au-dessous duquel la Caisse de compensation doit intervenir ? Mettons 3000 DH comme revenu mensuel. Est-ce que ceux qui perçoivent 3 100 DH seront évincés de l'aide ? Donc, il y a un réel problème qui est posé par la classe moyenne (située par le HCP entre 3 000 et 7 000 DH). Enlever la subvention et pratiquer les prix réels sur le marché serait un coup dur, fatal même, pour cette classe moyenne.
A.B.: Il faut être clair. D'abord, ce n'est jamais une affaire de majorité gouvernementale et puis la réforme va durer des années. C'est une question qui requiert un consensus national. S'il était question de cibler les pauvres, nous l'avons fait dans le cadre du programme «Tayssir». S'il s'agissait de faire payer un peu plus aux classes aisées, la première version de la Loi de finances prévoyait non seulement la création d'un fonds de solidarité mais également des mesures de restitution des subventions pour les familles grandes consommatrices d'électricité. Nous avons donc deux leviers d'action, une aide directe et un mécanisme de restitution des subventions par les familles aisées.
Pratiquer la réalité des prix est une question de dix ans, vingt ans. En tout cas personne ne peut décider demain d'augmenter les prix, c'est une décision qui dépasse les clivages de la majorité et de l'opposition.
Avec un peu de recul, qu'est-ce qui aurait pu être fait par le gouvernement actuel et ne l'a pas été et qu'est-ce qui est notoire dans ce qui a été fait ?
T.H. Très objectivement, il faut aborder les réalisations par rapport à leur contexte. Il ne faut pas oublier la crise des subprimes en 2008 et les conséquences de la crise économique sur les économies mondiales. Nous avons été touchés indirectement par le ralentissement des IDE, les transferts des MRE… Il ne faut pas oublier non plus que ce gouvernement était sous la pression d'une grande attente sociale. A cela s'ajoute le fait que nous sommes à 80% du mandat de ce gouvernement, c'est-à-dire à peine trois années et demie. Malgré tout, les acquis sont importants, le bilan est très positif.
A.B.: Il faut préciser que nous étions partis sur une philosophie qui s'est fracturée dès le début. Nous étions partis sur une tendance de bonne croissance économique. Nous nous sommes dit que le Maroc a changé de palier et que la croissance ne descendrait pas en dessous de 5%. Le moteur Maroc était lancé. On s'est dit que les 6% hors agriculture étaient probables. Nous avons bâti tout le programme autour de cette idée. Personne n'a prévu ce qui s'est passé avec la crise mondiale, que le PAM allait nous créer une crise politique en 2009, et que les inondations allaient avoir lieu en 2008 et en 2010… Malgré cela, le bilan est globalement positif. Malgré la déstabilisation dont a fait l'objet cette majorité, particulièrement en fin 2009 et pendant l'année 2010. Il y avait une volonté, un scénario qui ne s'est pas concrétisé, de censure du gouvernement. Il y avait une ambiance du genre : «accélérons le changement et n'attendons pas les élections». En dépit de tout cela, il faut reconnaître que le gouvernement a gardé sa sérénité. Il ne faut pas non plus oublier le pilotage royal qui a permis une sérénité politique, une stabilisation du champ politique. Le cap économique a été maintenu, la confiance des investisseurs est restée…
Le gouvernement a démarré avec un passif important. Il a fait beaucoup, mais beaucoup reste à faire.

Et pour la question des diplômés chômeurs. Vous prévoyez de continuer à les recruter dans la fonction publique…?
A.B. En effet, l'Istiqlal prévoit dans son programme de recruter 20 000 diplômés dans la fonction publique chaque année. Comment faire ? C'est simple, la Sûreté nationale a besoin de fonctionnaires, la Santé a besoin de fonctionnaires, l'administration a besoin de fonctionnaires, la Justice a besoin de fonctionnaires…. Et puis il y a aussi une réalité dont presque personne ne parle : nous sommes à la veille de la mise en place de la régionalisation. Les nouvelles régions ont besoin de ressources humaines dans des proportions très importantes. Dans ce cas, 20 000 fonctionnaires de plus par an est un chiffre très modeste.
Entretien réalisé
par Tahar Abou El Farah


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