Depuis l'alternance de 1998, l'équipe au pouvoir est constituée sensiblement des mêmes partis. L'arrivée du PAM et le désir de leadership du RNI bouleversent ce paisible équilibre. L'USFP et le MP deviennent des faiseurs de majorité et sont courtisés. Les amendements aux textes électoraux et les changements au sein des partis auront également un impact sur 2012. Plus que deux ans ou encore deux ans, avant les prochaines législatives ? Alors que le Maroc bruisse encore une fois des rumeurs d'un remaniement qui n'a pas de justification sur le plan technique, l'échiquier politique, lui, connaît une mue sans précédent. Depuis l'avènement du gouvernement d'alternance, en 1998, ce sont pratiquement les mêmes partis qui ont formé la majorité gouvernementale, avec dans le rôle de meneurs, tantôt l'USFP, tantôt l'Istiqlal. A ces co-leaders s'ajoute tout naturellement le PPS, dans le cadre de la Koutla, et les deux partis libéraux, ou considérés comme tels, que sont le Mouvement populaire (MP) et le Rassemblement national des indépendants (RNI). Or, depuis la mi-2008, deux formations sont venues chambouler ce paisible équilibre, qui contentait plus ou moins les partis dominants. En premier lieu, la création du Parti authenticité et modernité (PAM), annoncée en automne 2008 et concrétisée début 2009. Ce dernier, en décrochant la première place lors des élections communales de juin 2009 et jouant les premiers rôles au Parlement, moins d'un an après sa création administrative, a clairement indiqué qu'il entendait jouer les premiers rôles en 2012. Résultat, aujourd'hui, pas un parti ne se hasarderait à faire des calculs électoraux ou d'alliances, sans tenir compte de la formation qui bénéficie, à tort ou à raison, de l'aura de Fouad Ali El Himma. Un an après la création du PAM, un autre acteur-clé, le RNI, naguère considéré comme un élément d'appoint des majorités, commence à manifester des visées, somme toute légitimes, de leadership, au regard de sa progression dans les postes-clés (gouvernement, présidence des deux Chambres du Parlement) depuis 2007. L'annonce, le 2 mars dernier, de la création de l'alliance RNI-UC, logique sur le plan idéologique mais gênante sur le plan institutionnel, car consacrant un mariage entre un parti de la majorité et un parti d'opposition, est bien l'expression la plus manifeste du désir de la formation menée par Salaheddine Mezouar de s'affranchir de son rôle de béquille. Fort de cette alliance, sans aucun doute prélude à une future fusion, le parti est en droit de reconsidérer le choix de ses amis. Le PAM se positionne naturellement en partenaire stratégique et, vraisemblablement, en allié des prochaines élections. Quatorze ans donc après le premier gouvernement d'alternance, la future majorité devrait très probablement échapper au classique schéma d'une Koutla renforcée par les «amis». La majorité des grands partis ayant annoncé son intention de clarifier ses alliances avant les élections cette fois-ci, les deux ans qui nous séparent de 2012 paraissent, du coup, très courts : ce n'est pas «encore deux ans», mais «plus que deux ans». Une majorité différente, 14 ans après l'alternance Dans ce bouillonnement de la marmite politique qui se précise, deux partis commencent à acquérir le statut de faiseurs de majorité. Il s'agit de l'USFP et du MP, parties prenantes incontournables de la majorité durant ces 12 dernières années et qui se voient devenir des structures d'appoint. Bien qu'étant à la traîne sur l'échiquier politique (le groupe USFP est 5e avec 40 députés, celui du MP vient juste après avec 32 parlementaires), leur poids symbolique demeure appréciable, particulièrement pour l'alliance qui parviendrait à les attirer tous les deux. De ce fait, leur comportement sera décisif lors de la formation de ces alliances, que ce soit à la veille des élections ou au moment de la formation de la majorité qui prendra en charge la gestion des affaires du pays. «Les choix du MP et de l'USFP seront en effet déterminants, une alliance post-électorale entre l'USFP et un pôle libéral formé du PAM, du RNI, de l'UC et du MP pourrait en effet aboutir à une majorité non seulement cohérente mais également forte», estime Mohamed Ouzzine, membre du bureau politique du MP. «Nous tenons toujours à notre alliance avec le PAM, le RNI et l'UC, c'est dans la logique des choses. L'USFP pourrait facilement se joindre à ce pôle», poursuit-il. Il est vrai qu'en l'état actuel des choses, les cinq formations totalisent 176 sièges (soit 54%) à la première Chambre et 171 conseillers, soit 63% des sièges de la Chambre des conseillers. «L'USFP ne manquera point de raisons pour justifier cette alliance qui est loin d'être contre-nature», ajoute ce proche collaborateur de Mohand Laenser, SG du MP. Si le MP se déclare prêt à rejoindre la coalition libérale, la décision reste en suspens pour l'USFP. «Tous les partis qui se prononcent pour des réformes (constitutionnelles s'entend) ont des alliés stratégiques objectifs pour nous», note Abdelhamid Jmahri, membre du bureau politique de l'USFP. Pour l'heure, précise la même source, «bien qu'il soit difficile ne serait-ce qu'esquisser un croquis de la carte politique de 2012, les alliances possibles de l'USFP ne devraient pas sortir du cadre des trois cercles de la Koutla, la gauche et l'actuelle majorité gouvernementale». Bien entendu, le changement reste possible, «en cas de force majeure», s'empresse de préciser M. Jmahri. Ce que Mustapha Addichane du bureau politique du PPS désigne, lui, par «l'intérêt de la nation». «Rien n'est exclu», affirme, pour sa part, Salah El Ouadie, porte-parole du PAM, interrogé sur l'éventualité d'une alliance regroupant les cinq formations : le PAM, le RNI-UC, le MP et l'USFP. Pour le PAM, les choses sont claires : «Nous sommes ouverts au rapprochement avec tout parti politique dont les choix nous éloignent d'un projet islamisant». Exit donc le PJD, fait noter ce responsable du parti qui assure, par ailleurs, que «pour le moment, il est encore prématuré de parler au nom de trois partis (PAM, RNI et UC)». PJD-Istiqlal, une option possible ? L'exclusion du PJD et l'acceptation par l'USFP d'une alliance avec les libéraux suppose, dans ce cas, un scénario dans lequel le PJD et le PI se trouveraient côte à côte sur les bancs de l'opposition. Eventualité qui met ainsi fin à la Koutla historique. «Un cadre dépassé et qui n'a plus de grande utilité depuis l'avènement du gouvernement de l'alternance», juge Abdelali Hamieddine, professeur de sciences politiques et membre du Conseil national du PJD. Sauf que, reconnaît ce dirigeant du parti haraki, l'USFP pourrait tout aussi bien se cantonner dans sa traditionnelle alliance avec l'Istiqlal. Les deux partis pourraient, avec le renfort du PJD et du PPS, également membre de la Koutla, prétendre à occuper les rangs de la majorité. Une telle configuration, en tenant compte des voix exprimées en 2007, compterait 160 sièges, soit 49%, et pourrait très bien se voir renforcée par les voix du FFD, des travaillistes et d'autres formations de gauche. «Quelle que soit la nature de la configuration, l'USFP jouera le rôle d'un joker de taille. Ses choix seront déterminants. Il peut tout aussi bien faire partie d'une grande alliance socio-libérale comme il peut renforcer le pôle conservateur formé de l'Istiqlal et du PJD, qui, faut-il le rappeler, revendique presque le même référentiel, pour constituer une majorité», précise ce membre du BP de la formation harakie. Réaction du PJD : «Notre parti est ouvert à toutes les éventualités. Nous sommes prêts à nous allier à tous les partis historiques et toutes les formations jouissant d'une autonomie de décision», affirme Abdelali Hamieddine. Ce dernier, sans le dire, vise par «autonomie de décision», des partis qui seraient sous la coupe du PAM. «Une alliance entre l'Istiqlal et le PJD répond à un souci de clarté politique. Leur programme et leurs visions sont très proches. De même, le PJD n'a pas une décision arrêtée vis-à-vis de l'USFP. Les deux formations avaient tenté un rapprochement, mais l'initiative a été stoppée net avec le dernier remaniement ministériel [NDLR : celui du 4 janvier dernier]», explique ce politologue. Pour ce qui est du PPS, «il a toujours su adopter des positions pragmatiques», ajoute notre interlocuteur. Une vision qui est loin d'être partagée, pour le moment, par l'Istiqlal. Pour la formation de Abbas El Fassi «une alliance avec le PJD n'est pas à l'ordre du jour», clarifie Abdellah Bakkali, membre du comité exécutif. «Nos alliances seront exclusivement constituées dans le cadre de la Koutla», soutient ce dirigeant du PI. Or, les trois derniers scrutins l'auront montré : la Koutla a toujours été incapable de réunir une majorité des sièges. «Dans ce cas, notre cercle d'alliances va s'élargir aux partis de l'actuelle majorité, à savoir le RNI et le MP», explique M. Bakkali. Ce qui revient à reconduire la même majorité pour un nouveau mandat de cinq années. Un scénario, somme toute, peu probable. A défaut de conduire la future majorité, «les partis de la Koutla, l'Istiqlal en premier, tentent néanmoins d'en constituer l'épine dorsale», défend Abdelhamid Jmahri. Mustapha Addichane, chargé de l'organisation au PPS, verse dans le même ordre d'idées. Les alliances en 2012 de cette formation «ne devraient pas sortir du cadre stratégique incluant l'USFP et l'Istiqlal, à moins que la préservation de l'intérêt de la nation ne nous incite à agir autrement». Bref, tout le monde se ménage une porte de sortie, au cas où… Les lois électorales, un premier test Mais il n'y pas que les affinités idéologiques ou celles élaborées dans le cadre de la majorité parlementaire ou gouvernementale qui conditionneront les législatives de 2012. Au-delà des accords entre partis, l'évolution du contexte légal, de la conjoncture économique et les changements de leadership au sein même des partis pèseront de manière significative sur le prochain scrutin. Ainsi, au cours des prochains moins, une batterie d'amendements à la loi régissant les partis politiques et le Code électoral devrait être déposée par les différentes formations. Le débat de ces textes attendu au début de l'année prochaine aura «valeur de test pour les futures coalitions de partis», analyse Abdellah Firdaous, membre du bureau politique de l'UC. C'est dans ce cadre, affirme la même source, que rentre notamment cette rencontre historique, le 1er juin dernier, entre le premier secrétaire de l'USFP, Abdelouahed Radi et le SG de l'UC, Mohamed Abied. Et c'est le même sujet autour duquel a été conclue l'entente entre le PAM et l'alliance RNI-UC, fait savoir, en substance, M. El Ouadie. En attendant, les différents acteurs politiques sont unanimes : la situation actuelle est préoccupante. «Aujourd'hui, le Maroc connaît une crise politique. Et pour l'USFP, assainir le jeu politique est une priorité. Car on ne peut parler d'alliance en l'absence d'un climat politique sain où les acteurs respecteraient les règles du jeu. C'est pour cela que l'USFP a choisi comme démarche de ratisser large et de nouer des contacts bilatéraux avec toutes les formations politiques. Cela en perspective de l'amendement des textes électoraux», précise M. Jmahri. «La scène politique est aujourd'hui émiettée, la crédibilité des partis et leur avenir dépend de leur capacité de se regrouper en pôles politiques qui vont certainement être dégagés lors des prochaines législatives», renchérit M. Ouzzine. Et «ces pôles seront formés en partant des orientations et des programmes politiques de chacun», soutient la même source. Un vœu pieux que partage la majorité des formations. «L'idée de formation de pôles politiques est importante dans le sens qu'il est impossible de prétendre à un avenir politique clair sans la mise en place de tels regroupements. A condition toutefois que ces alliances soient l'expression des instances et bases des partis politiques», soutient Abdelali Hamieddine (PJD). En définitive, «les débats qui accompagneront le vote de ces textes nous donneront certainement une idée plus précise sur les futures alliances», prévoit M. Firdaous. D'autres facteurs interviennent pour sceller ou défaire ces éventuelles alliances. A commencer par le résultat des futures législatives. Un MP ou une USFP sortis faibles des élections perdent leur capacité de négociation. Une chose est néanmoins presque certaine : l'après 2012 se jouera entre une pléiade de huit partis : ceux ayant raflé les 90% des sièges lors des dernières communales du 12 juin. Demeure néanmoins nécessaire un coup de pouce de l'Etat. «Le relèvement du seuil électoral de 6%, actuellement à 10%, favorisera certainement le resserrement de la carte politique et la formation des pôles cohérents», affirme M. Hamieddine. Cela sans oublier le travail de sensibilisation que devraient déployer l'Etat et les partis politiques pour réconcilier le citoyen avec la chose politique. Car, «en deçà d'un taux de participation de moins de 30%, la majorité issue des législatives, quelle qu'en soit sa nature, ne sera point représentative», prévient ce politologue. Seule solution, le cas échéant : «La formation d'un gouvernement d'union nationale qui regroupe tous les partis ou, du moins, une majorité d'entre eux», explique notre interlocuteur. Quel impact la crise économique aura-t-elle sur les résultats des législatives ? Autre facteur à prendre en compte : les effets de la crise économique. «La réaction de l'électeur sera sans appel : une sanction de l'actuelle majorité et surtout de l'Istiqlal, le parti du Premier ministre», soutient M. Firdaous. Ce qui élargit davantage l'éventail des scénarios possibles. A cela s'ajoute le fait que le PI, lui-même, reste sujet à caution. L'Istiqlal tient son congrès dans les quelques mois qui suivront les législatifs (le XVe congrès a été organisé en janvier 2009). Abbas El Fassi, l'actuel SG, arrivera au terme d'un mandat exceptionnel, le parti devrait nommer une nouvelle direction. «Une nouvelle direction dont on ne peut pas prévoir, à priori, les choix politiques», affirme Abdellah Firdaous. Une situation qui n'est pas sans rappeler le climat politique ayant accompagné la tenue, en deux temps : juin et novembre 2008, du VIIIe congrès de l'USFP. Période lors de laquelle les différentes composantes de la majorité avaient les yeux rivés sur les travaux de la grand-messe socialiste. «La nouvelle direction ne changera en rien les principales orientations du PI, principalement ses engagements au sein de la Koutla», affirme, confiant, Abdelhamid Jmahri. Seul hic : la Koutla, de l'avis même du dirigeant usfpéiste, «a été élimée par l'usure de ces dernières 14 années du pouvoir». Cela, sans oublier les fréquentes guéguerres qui opposent ses principales composantes : l'USFP et le PI. Néanmoins, comme le soutien Salah El Ouadie, que ce soit une néo-Koutla ou autre, «la scène politique est actuellement en plein mutation. Elle connaîtra sans conteste de nouvelles formes d'expression des différents choix politiques dans les jours à venir». Une alliance socio-libérale ferait, sans doute, partie de ces expressions. A charge pour le PAM, particulièrement son aile formée d'anciens militants de la gauche radicale, de convaincre les socialistes de s'engager dans une telle entreprise.