On a vu à Casablanca certains cas de "faux avocats" qui ont oeuvré durant quelques années avant d'être démasqués : et l'honnêteté impose de reconnaître que parmi eux, certains étaient brillants, efficaces et fort bons orateurs en plaidoiries, il ne leur manquait que le titre officiel… c'est-à -dire le principal à défaut de l'essentiel. Q uiconque visite le palais de justice de Casablanca (ou les palais de justice, puisque la ville blanche en compte pas moins de sept) est frappé d'emblée par l'animation qui y règne. Tout le monde est affairé : les justiciables circulent à travers les vastes espaces, qui à la recherche de son avocat, qui veut voir un magistrat, qui pour récupérer des documents juridiques au greffe. Les avocats, eux, n'ont pas le temps de discuter : ils volent littéralement d'une salle d'audience à l'autre, essayant difficilement de concilier les impératifs qui leur sont imposés. Ainsi, il faut terminer au plus vite l'audience de référé d'Anfa, pour se précipiter toutes affaires cessantes à Ain-Sebaâ qui abrite le pôle pénal, avec son lot de présentation au parquet, de mise en détention provisoire ou de confrontation avec les policiers. Les magistrats, eux, sont imperturbables : ils gèrent leurs audiences avec flegme, avec pour principal souci de venir à bout de la monstrueuse pile de dossiers qui trône sur leur bureau. Ça, c'est ce qu'observerait un quidam non averti ; mais en fait, les dessous de la machine judiciaire sont beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît au premier abord. En effet, la moitié des citoyens croisés dans un tribunal n'a en vérité rien à y faire. Mettons de côté les justiciables convoqués pour une audience, ou sur ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir un défenseur, et qui se voient obligés de régler leurs affaires eux-mêmes, ou sont alors dans l'obligation de venir demander au bâtonnier une assistance judiciaire. On trouve ainsi beaucoup de touristes dans le tribunal de Casablanca. Certains le sont vraiment : occidentaux ou asiatiques, ils apprécient la beauté du bâtiment, sa décoration et la superbe vue que l'on a sur la place principale. D'autres le sont moins : ce sont soit des plaideurs invétérés, soit des badauds venus assister aux audiences, comme d'autres vont au cirque ou au cinéma. Les premiers sont surtout des contestataires qui chicanent sur chaque point de droit, mieux même que ne le ferait un juriste professionnel. Ils assaillent le greffe de leurs demandes, harcèlent les magistrats pour un jugement non conforme à leurs attentes, n'hésitant pas à demander audience au président du tribunal ou au procureur général… souvent pour des broutilles. Souvent reçus avec calme et courtoisie par les magistrats, ils finissent par lasser leurs interlocuteurs qui leur signifient finalement et avec fermeté que leur affaire est close, et qu'il convient de passer à autre chose puisqu'un jugement a été rendu. Peine perdue : ce genre de personne est têtue : elle saisira le ministre de la justice, la Commission des droits de l'homme puis, s'il le faut, le médiateur, le cabinet du Premier ministre, voire le Cabinet royal… Pour une affaire n'atteignant même pas cinq mille dirhams. Les badauds, eux, apprécient le spectacle de la Justice en marche. Ils sont spécialisés : celui-ci assiste à toutes les audiences de référé pour être au courant des différents litiges en cours dans la ville ; un autre adore les affaires pénales, et n'en rate aucune : il apprécie le ballet offert par les prévenus et leur escorte policière, le bruit des menottes qu'on ferme, et l'ambiance lourde qui règne dans la salle où se trouvent les amis et parents des personnes interpellées et déférées devant la justice. Ils connaissent bien le code pénal, identifient tel ou tel magistrat avec des commentaires précis, («celui-ci est gentil» ou «ils (les prévenus) n'ont pas de chance aujourd'hui : ce procureur est très sévère»…, ces personnes sont en général des gens passionnés par le droit, mais dont la vocation première a été contrariée. Certains poussant même le mimétisme jusqu'à arborer une robe d'avocat : on a vu ainsi à Casablanca certains cas de «faux avocats» qui ont œuvré durant quelques années avant d'être démasqués : et l'honnêteté impose de reconnaître que parmi eux, certains étaient brillants, efficaces et fort bons orateurs en plaidoiries : il ne leur manquait que le titre officiel … c'est-à-dire le principal à défaut de l'essentiel.