Les avocats du Maroc sont furieux, et ils ont raison, tout à fait et absolument raison : l'Etat a eu cette idée saugrenue de les obliger à appliquer la loi. Rendez-vous compte : on leur demande de montrer leur pass vaccinal à l'entrée des tribunaux, quelle laideur pour des plaideurs !... Alors ils se fendent de communiqués en cascade et pourfendent la note des autorités judiciaires à cet effet. Sont-ils dans leur droit ? Non. Comme chacun sait, depuis le 21 octobre, le pass vaccinal est désormais obligatoire pour accéder à des lieux publics et des endroits clos, publics ou privés. Son instauration a été certes annoncée par un communiqué, comme le gouvernement Akhannouch a pris coutume de le faire, mais elle est légale, aux termes de l'article 3 du décret-loi 2-20-292, et elle s'applique à l'ensemble des Marocains et des personnes qui vivent au Maroc. Les avocats marocains sont-ils marocains, vivant au Maroc ? Il semblerait que oui, et ainsi le texte s'applique à eux. Un mois et demi s'écoule, entre le 21 octobre et ce 10 décembre, quand une note conjointe signée par le ministère de la Justice, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et la présidence du Ministère public indique que dès le 20 décembre, le pass sera obligatoire pour accéder aux tribunaux. Et c'est là que l'on apprend par les avocats que le tribunal est un service public vital et que l'urgence sanitaire ne saurait s'appliquer aux affaires judiciaires. Est-ce vrai ? Certainement pour des affaires où des personnes sont détenues, pour des affaires en référé impliquant la sécurité des biens et des personnes, mais pour le reste, l'urgence et le caractère vital de la justice gagneraient à être prouvées. Oh certes, MM. Ouahbi, Abdennabaoui et Daki auraient pu inviter gentiment un gradé de la robe noire à les rejoindre… Ils auraient pu, ils auraient même dû, mais ils ne l'ont pas fait. Est-ce pour autant une raison pour que les avocats déchaînent cette bronca et se déchaînent tout court ? Est-ce une raison pour appeler à la désobéissance civile ? Et si cette décision n'est pas légale, comme ils le suggèrent, pourquoi n'ont-ils donc pas, nos plaideurs, protesté contre la mesure dès ce 21 octobre, quand d'autres l'ont fait, prenant des risques et s'exposant à des réactions judiciaires et à des sanctions pénales… et que les avocats auraient défendu ? En se taisant hier sur ce qu'ils présentent aujourd'hui comme un abus, ne se sont-ils donc pas rendus complices de cet abus, tels qu'ils le voient et le dénoncent ? Le tribunal présente-t-il un service plus « vital » que les écoles ? les douanes ? la sécurité ? une centrale électrique ou une autre, de distribution d'eau potable ? les hôpitaux ?... En appelant les avocats à refuser de présenter tout autre chose que leur robe noire, le Barreau de Casablanca ne se place-t-il pas au-dessus de la loi, et ne présente-t-il pas les avocats comme des personnes non assujetties à la loi, du moins pas de la même manière que le commun des mortels ? Quel argument déploient donc nos plaideurs, drapés dans leur vertu et multipliant les effets de manche ? Ils dénoncent la contradiction entre la non-obligation officielle et la contrainte du pass vaccinal. Ils ont raison, techniquement, mais tort, absolument tort, moralement. D'abord, l'ensemble des pays sont logés à la même enseigne des contradictions, des doutes et des incertitudes ; ensuite, est-ce le moment aujourd'hui de faire du juridisme et de déployer les arguties, alors que le pays est quasiment à l'arrêt, que les opérateurs du tourisme souffrent, périssent dans la dignité et la plainte étouffée, de même que les gérants de cafés, que les professionnels de l'événementiel et que tant d'autres ? Peut-être, alors, prudemment, une explication… Si les avocats n'ont rien fait ni décidé de faire après le 21 octobre, c'est qu'il y a eu le 3 novembre… et ce 3 novembre, Abdellatif Ouahbi, qui ne dit pas que des bêtises, a déclaré devant les députés que « 95% des avocats ne paient que 10.000 d'impôts par an… un chiffre effrayant », et il a affirmé qu'avec ses nouveaux amis de la Direction générale des impôts, une nouvelle procédure de paiement des impôts allait être engagée, consistant à faire payer les avocats quand ils déposent leurs dossiers au tribunal, avec possibilité d'avoir en cas de trop perçu. Il a dit cela après avoir expliqué qu'il avait refusé à la DGI sa demande de procéder à des vérifications fiscales au sein des cabinets d'avocats… C'est peut-être là qu'il faut chercher le nœud du problème. Les avocats sont furieux contre le ministre, qui est aussi un des leurs, et qui a l'outrecuidance de parler fiscalité des avocats et de proposer de leur faire payer leurs légitimes impôts, ainsi que le suggèrent discrètement et anonymement (on les comprend) de plus en plus d'avocats qui dénoncent la grève de la plaidoirie de leurs confrères. Le droit est aussi une éthique, un comportement, une attitude morale.