L'USFP reste dans le cadre de la Koutla et cherche à y renforcer la sensibilité de gauche. Avant tout, redonner de la crédibilité au politique perverti par les pratiques illicites lors des législatives de 2007 Le champ politique est extrêmement mouvant. L'alliance démocratique, l'alliance centriste, et l'alliance entre USFP, PPS et FFD. Que devient la Koutla démocratique au milieu de tout cela ? La Koutla pour nous est toujours une référence. Elle a joué dans les années 90 un rôle essentiel et a initié le débat sur les grandes réformes que le Maroc a connues à partir de cette période, débat qui s'est soldé comme on le sait par une nouvelle Constitution, en 1996 et le gouvernement d'alternance de 1998. Et chaque fois que le Maroc passe par un moment important de son histoire, il est pour l'USFP indispensable de revenir à cette référence, ne serait-ce que parce que les partis qui la composent sont de vrais partis, issus du Mouvement national et qui ont une légitimité historique. Plus que cela, ces partis sont le produit de la société, et ce sont les contradictions de cette société qui ont sécrété ces sensibilités politiques. Ces partis sont dotés d'une certaine autonomie dans leur action et leurs réflexions. 2011 est une année très importante dans l'histoire de notre pays et la Koutla est au cœur de l'action. Concrètement, que prépare cette Koutla pour les prochaines élections ? Le mercredi 2 novembre nous avons présenté une plateforme. C'est moins une plateforme électorale qu'une réflexion sur le moment historique que traverse le pays et sur la nécessité de s'ouvrir sur l'avenir pour créer les conditions nécessaires à une bonne lecture et, surtout, sur une bonne application de cette Constitution. Une plateforme mais pas un programme commun… Non, il ne s'agit pas d'un programme commun, car tout programme commun suppose des candidatures communes, ce n'est pas dans la configuration du champ politique marocain. Vous savez que nous avons au Maroc un système électoral à un seul tour qui ne facilite pas nécessairement des candidatures communes. Et cette alliance avec le PPS et le FFD avec lesquels vous avez conclu le 21 octobre ce que vous avez appelé un nouveau contrat politique ? Où est l'Istiqlal, où est la Koutla ? Il y a deux approches, et l'USFP se trouve dans les deux. Il y a l'approche de la Koutla et il y a celle de la famille de gauche. Pas de contradiction entre les deux, mais plutôt une complémentarité. L'approche de la gauche nous permet de renforcer notre position au sein de la Koutla, mais en même temps d'intégrer dans cette dernière la sensibilité de gauche. Comment voyez-vous les prochaines élections ? Elles devront servir à effacer le recul du politique enregistré en 2007… Il faut d'abord recrédibiliser le politique avant de voir avec quelle formation ou groupement on s'alliera. Recul du politique ? Comment cela ? Je cite comme exemple les élections de 2007 où des moyens illicites ont entaché le scrutin et conduit à une perversion de la politique : achat des voix, corruption, utilisation de l'argent sale… Aujourd'hui, en 2011, il est important de mettre un terme à ces pratiques et de reconsidérer le politique. L'année 2011, je le répète encore une fois, est essentiellement politique. Heureusement qu'il y a eu cette nouvelle Constitution, un texte essentiellement juridique, certes, mais fondamental et qui ouvre des perspectives de mise à niveau de la politique. Il faut maintenant déclencher trois autonomies : l'autonomie d'action des partis politiques à l'égard de l'Etat, pour qu'ils puissent jouer leur rôle comme vecteur de démocratisation du pays ; l'autonomie des partis à l'égard de la religion, et fort heureusement il y a au Maroc une institution monarchique qui s'occupe directement du champ religieux et, enfin, il y a l'autonomie des partis à l'égard de l'argent sale pour qu'il n'y ait pas cette perversion de 2007. Le challenge de notre pays aux prochaines élections est de pouvoir réaliser ces trois autonomies. Justement, comment l'USFP se présente-t-elle à ces élections, dans quel état d'esprit ? Nous nous présentons à ces élections avec beaucoup de sérénité, de volontarisme et beaucoup d'optimisme. L'USFP, en 2011, est beaucoup plus à l'aise que d'autres partis. La première raison est qu'au lendemain de notre congrès de 2008, le premier secrétaire a adressé au Roi un mémorandum dans lequel nous avions développé notre analyse de la situation économique, mais également attiré l'attention sur ce recul du politique. Nous avons réitéré notre espoir de toujours, celui de voir le Maroc se doter d'une nouvelle génération de réformes. La deuxième raison est que nous avons écouté les aspirations de cette mouvance des jeunes représentée par ce qu'on a appelé le Mouvement du 20 février, et l'analyse que nous en avons faite est que ce mouvement aspire fondamentalement à la modernité, au delà du mélange qui le constitue et des tentations de récupération des uns et des autres. Il y a l'aspect moderniste, l'aspect jeune, et la demande de ces jeunes de passer à une nouvelle génération de réformes. Nous sommes en harmonie avec cela. Pensez-vous que l'USFP peut arriver en tête ? Je crois que nous allons pouvoir bien avancer. Que pensez-vous de ceux qui prédisent une alliance entre l'Istiqlal et le PJD ? D'après mes informations, ni l'Istiqlal ni le PJD n'ont fait cette demande d'alliance. Soyons clairs : en tenant compte de la structure du champ politique marocain, et ce, depuis le gouvernement d'alternance, les alliances ne se font pas avant les élections, mais après. Au Maroc, nous ne disposons pas d'un parti dominant, on n'est pas en Europe, et toutes les spéculations qu'on avance çà et là, dans certaines analyses et écrits, n'ont aucun sens. Par contre, ce qui est important, c'est de créer les bases d'une plateforme, et c'est ce que nous sommes en train de préparer avec nos amis de la Koutla. Le plus important, je le répète encore, est de créer les conditions d'application de la Constitution, nous allons nous retrouver avec tous ceux qui vont œuvrer réellement pour cet objectif. Même avec le PJD ? Je n'ajouterai pas plus ce que je n'ai déjà dit, je crois que j'ai été assez clair. Posons la question d'une autre façon : supposons que c'est le PJD qui est en tête des prochaines élections, l'USFP est-elle prête à intégrer le gouvernement ? On n'est pas là pour faire des spéculations, elles n'ont aucun sens. Ce n'est qu'après les élections qu'on verra. Ce qui est important pour nous est qu'au jour d'aujourd'hui, aucun de nous n'est demandeur. Il faudra bien constituer une alliance gouvernementale puisque aucun parti au Maroc n'est dominant comme vous dites. Il faut analyser objectivement le champ politique au Maroc. Nous avons la Koutla scellée autour d'une plateforme, cette dernière dépasse le conjoncturel, l'électoral, c'est une ouverture sur l'avenir, et c'est le plus important pour nous. Nous avons une analyse commune et nous nous retrouverons toujours ensemble. Et avec le G8, vous serez prêts à gouverner ? Y a t-il des contacts avant ces élections ? L'USFP, en toute modestie de ma part, est un parti qui sait prendre des initiatives, et les Marocains le savent, c'est pourquoi elle a joué un rôle important dans le débat démocratique pour faire avancer le pays dans le sens du renforcement de la transition démocratique. Notre parti est toujours présent et prêt quand il le faut pour prendre les bonnes initiatives. Et quel serait, selon vous, le nombre optimal de partis qui doivent constituer la majorité gouvernementale à venir ? Le plus important n'est pas le nombre de partis qui constitueront ce futur gouvernement, mais que ce dernier ait une majorité au Parlement pour pouvoir gouverner. Il faudra rassembler le nombre de partis qu'il faut pour avoir cette majorité. Donc, si je comprends bien, si l'USFP est en tête des prochaines élections, vous chercheriez cette majorité coûte que coûte, quelle que soit l'obédience de ces partis ? Nous n'en sommes pas là et vous faites trop de spéculations. Ce qui nous intéresse est de savoir avec qui nous allons pouvoir travailler pour créer les meilleures conditions d'application de la nouvelle Constitution. Pourriez-vous avancer un nom, futur chef du gouvernement, si l'USFP remporte les élections ? On dirait que vous êtes en Europe en posant ce genre de questions. Soyons un peu plus modestes. Ce qui est important maintenant est que le centre d'intérêt ne soit pas nécessairement lié seulement à une dispute pour l'obtention de postes, il est important d'élever le niveau du débat politique. Or je constate malheureusement que, si pendant la campagne référendaire il y avait un débat autour des principes, et autour de la philosophie de la réforme constitutionnelle, ce débat a été dévié pour se focaliser autour des positions des uns et des autres à l'approche de ces élections, et cela s'est concrétisé au moment du vote des textes qui devaient organiser ces élections. 2011 est une année cruciale pour l'avenir de notre pays, nous ne sommes pas devant des élections ordinaires, notre devoir maintenant est de réhabiliter et de crédibiliser le politique, d'élever le niveau du débat, de privilégier l'approche de projets politiques et non pas l'approche de l'opportunisme qui semble dominer à maintes reprises. Ce qui m'intéresse le plus est de participer à la mise à niveau du débat politique, et que le débat soit entre des projets, de gauche, de droite, du centre… Vos trois priorités si l'USFP est chef du gouvernement ? Notre programme, nous sommes en train de le finaliser, mais je crois qu'il y a plusieurs priorités : sur le plan politique j'ai été assez clair, c'est la réhabilitation de la politique. Pour le volet économique, il est indéniable qu'il y a eu des progrès ces dernières années, il est maintenant important de les consolider dans le sens de plus d'efficience et de plus de solidarité. Ceci implique nécessairement que le programme ne soit pas seulement une promesse électorale et un slogan, mais parte d'une analyse fine de l'économie marocaine. Ses fragilités d'abord, un faible taux de croissance, qui se situe autour de 4,5% et qu'il faut augmenter de deux points. Or cela ne peut se faire dans un cadre purement marocain, mais dans un cadre régional. Une autre fragilité, la dépendance de notre croissance par rapport à la pluie, là il faut aussi que cette croissance économique ne soit pas tributaire de la pluviométrie. Autre fragilité, le déficit de la balance commerciale, c'est tout le problème de la compétitivité et de la diversification de l'économie. Il faut diversifier les sources de croissance de notre pays. Nous n'avons pas le pétrole, ce n'est pas un handicap, c'est même une bonne chose, car ça va nous permettre de développer une culture de labeur et de diversification de l'économie. Il est important aussi de surveiller notre endettement, maîtriser le cadre macroéconomique pour créer les conditions d'une croissance plus pérenne. Il est important de faire une actualisation des politiques sectorielles dans lesquelles le Maroc s'est déjà lancé : agriculture, industrie, pêche, artisanat, habitat, tourisme, technologie nouvelle, tourisme. Il faut surtout créer des éléments d'une cohérence et d'une coordination entre ces différentes politiques. Un programme économique c'est aussi des moyens de financement : il est essentiel d'accorder une priorité aux PME. Un autre secteur qui est un atout pour le Maroc : les phosphates. Le secteur connaît un bon dynamisme grâce à la demande internationale, les besoins alimentaires augmentent en quantité et en qualité partout dans le monde, et le secteur est appelé à être encore plus dynamique, mais lié à la logique des politiques sectorielles. Et le social ? La dimension sociale et de solidarité est essentielle de même que la promotion de l'emploi. Il ne faut pas que ça soit juste un slogan, il faut lier l'emploi au système de la formation et de l'éducation et mettre en place des instruments de promotion des petites industries utilisatrices de main-d'œuvre. La lutte contre la pauvreté est aussi importante et demande une cohésion entre l'INDH et les autres mécanismes. Pour les instruments de financement, je pense à la réforme de la Caisse de compensation, en l'intégrant dans une logique de lutte contre la pauvreté. Ce que vous dites là ressemble à ce que prônent les autres partis… C'est la crédibilité de réalisation de ces programmes qui compte, et cette crédibilité doit être rattachée à l'identité de chaque parti. Le nôtre en a quatre : c'est un parti patriote, socialiste, démocrate, moderniste ; et notre programme est nécessairement lié à ces quatre identités. Quand je parle de l'aspect moderniste, il s'agit de tous les rapports entre les hommes, entre l'Etat et la culture, l'Etat et la société civile, les différentes sensibilités culturelles qui existent au Maroc. Un pays ouvert sur la modernité est un atout pour mieux négocier sa position vis-à-vis de la globalisation en mettant à profit tous ses atouts, sans oublier les risques aussi. Un mot sur le bilan du travail de l'actuel gouvernement ? Généralement je ne réponds pas à cette question, devoir de réserve oblige, ayant été moi-même ministre de l'économie et des finances pendant plusieurs années. Si j'émets un avis, c'est pour dépasser le bilan même de ce gouvernement pour embrasser tout le bilan du Maroc, car le gouvernement n'est qu'un élément de ce Maroc. Notre pays a adhéré depuis quinze ans à la logique de la réforme, et a enregistré des avancées notables sur le plan économique, social et culturel, mais le politique a reculé, et ce recul a touché toutes les institutions : le gouvernement, le Parlement et les conseils municipaux. Qu'est-ce qui aurait pu être fait par ce gouvernement et qui ne l'a pas été à votre avis ? Sur le plan sectoriel on aurait pu faire mieux, en matière énergétique en particulier. Le rythme des politiques sectorielles aurait pu être mieux amélioré, et je pense que 2011 sera une année importante pour déclencher une nouvelle génération de réformes, comme cela était le cas au début du gouvernement d'alternance. Dans tous les secteurs, mais sans véritable réforme politique et bonne application de la Constitution, c'est impossible de lancer ce dynamisme.