Perte de confiance, le marché n'arrive pas à éponger son déficit qui se monte à près de 6% depuis fin 2010. Les particuliers vendent au moindre événement politique au Maroc ou dans la région.L'année risque de se terminer sur une variation comprise entre 0% et -10%. Vingt deux millions de DH. C'est le montant global des transactions réalisées à la Bourse de Casablanca durant la séance du 20 mai. Un volume ridiculement bas qui témoigne du manque de profondeur du marché et de l'attentisme persistant des investisseurs. Attentisme confirmé car les séances de Bourse de moins de 100 MDH d'échanges se font de plus en plus nombreuses, alors qu'au cours des cinq premiers mois de 2010, le volume moyen quotidien dépassait les 214 MDH. Or, depuis début 2011, cette moyenne est tombée à 160 MDH seulement, soit une chute de 25,2% et encore était-elle soutenue au cours du mois de janvier… La tendance des cours, elle, renseigne sur un manque de confiance quasi général envers le marché boursier. Le Masi, indice de toutes les valeurs cotées, se maintient depuis plusieurs semaines sur une contre-performance de plus de 5% par rapport à fin 2010, sachant qu'au cours des deux premières semaines de 2011, il affichait une progression de près de 6%, ce qui établit la baisse entre le plus haut de l'année et le niveau actuel du Masi à plus de 13%. Que se passe-t-il vraiment à la Bourse de Casa ? Est-ce une question de fondamentaux qui rend le marché atone et baissier ? Avons-nous consommé l'année dernière la croissance qui devait avoir lieu cette année (hausse de 21% en 2010) ? Et surtout, cette tendance va-t-elle se poursuivre jusqu'à la fin de l'année ? Chez les professionnels de la Bourse, dont la majorité préfère s'exprimer anonymement en cette période difficile, on manque globalement de visibilité. «Le marché est devenu psychologique et plus personne ne se soucie des fondamentaux», rapporte un trader. Cela dit, le sentiment général est plutôt négatif dans le milieu des sociétés de Bourse et de gestion d'actifs. «On risque fortement de terminer l'année sur une variation comprise entre 0% et -10% pour le Masi, avec un volume annuel très faible», renchérit un gérant de portefeuille. Ainsi, nombreux sont les professionnels qui tablent sur une année blanche pour la Bourse de Casa, surtout si le comportement actuel des investisseurs ne change pas. A ce titre, il faut distinguer entre l'attitude des particuliers et celle des institutionnels. Une volatilité de 16% contre 10% en 2010 Chez les personnes physiques, la panique règne depuis le soulèvement populaire survenu en Tunisie. La performance de 6% réalisée durant les deux premières semaines de janvier a été totalement effacée à la fin du mois à cause des mouvements de vente déclenchés par les troubles politiques dans ce pays. Et qu'ils aient été des intervenants directs sur le marché ou des détenteurs de parts d'OPCVM, les particuliers étaient généralement vendeurs, suivant la tendance des quelques investisseurs étrangers qui se sont retirés du marché dans le sillage d'une réduction de leur exposition à la région Mena. Depuis, la volatilité a augmenté sensiblement en Bourse. «Elle est de 16% actuellement alors qu'elle ne dépassait pas 10% en 2010», précise un trader. La propagation de la révolution tunisienne aux autres pays arabes a aggravé les craintes des particuliers. Et dès l'annonce de l'organisation de la marche du 20 février au Maroc, la panique s'est accentuée chez cette catégorie d'investisseurs, ce qui a fini par plonger le marché dans le rouge. Même la publication, à fin mars, par les sociétés cotées des résultats 2010 globalement conformes aux prévisions et en croissance de 8,8% par rapport à 2009 n'a pas eu d'effet positif sur le marché. «L'annonce des résultats n'était d'aucune importance cette année pour le grand public. Tout ce qui comptait pour lui était l'évolution de la situation politique au Maroc et dans la région», affirme un analyste. Et d'ajouter : «Les prévisions faites par les sociétés de Bourse et communiquées au marché, selon lesquelles les bénéfices des sociétés cotées augmenteraient d'environ 10% en 2011, n'ont pas non plus fait réagir les investisseurs particuliers. Et c'est le cas également du discours royal qui a annoncé la réforme de la Constitution. Par contre, les attentats qui ont frappé le 28 avril le café Argana à Marrakech n'ont pas manqué de faire chuter le marché». Ainsi, depuis début mars et jusqu'à la mi-avril, les cours étaient orientés fortement à la baisse malgré des résultats en hausse et des perspectives économiques encourageantes pour les sociétés cotées. Par la suite, le marché est entré dans une phase de stagnation. Les ordres de Bourse se faisaient de plus en plus rares, quel que soit leur sens. «Après avoir vendu tout au long du premier trimestre sous l'effet de la panique, les particuliers ont interrompu leur mouvement, compte tenu du niveau très bas qu'a atteint le cours de certaines valeurs. Cela dit, ils ne sont pas devenus acheteurs non plus par manque de visibilité et de confiance», confie un trader. Exécution difficile des ordres, qu'ils soient à l'achat ou à la vente Pour leur part, les institutionnels, censés soutenir le marché, étant donné leur profil d'investisseurs à long terme et de leurs besoins de placement (compagnies d'assurance et caisses de retraites), se sont montrés plutôt calmes. «Opportunistes est le qualificatif le plus adapté», rectifie un gérant d'OPCVM. Dès la tenue de leurs comités d'investissement, après la publication par les sociétés cotées de leurs résultats annuels, ils ont commencé à exécuter leurs stratégies de placement en Bourse, mais d'une manière qui ne favorise pas le soutien des cours. Les institutionnels étaient globalement acheteurs -les statistiques des transactions boursières le confirment- sur les valeurs correctement valorisées et présentant des fondamentaux solides, mais ils réalisaient leurs programmes de façon à profiter pleinement du contexte actuel du marché. L'un des professionnels de la Bourse explique qu'ils différaient leurs achats jusqu'à ce que le marché soit vendeur, par exemple en réaction à une nouvelle géopolitique locale ou régionale, afin de se procurer les titres qu'ils ciblent au prix le plus bas. «Certains d'entre eux ont été jusqu'à provoquer eux-mêmes une baisse avant de faire leur ramassage. Il suffit qu'ils procèdent à la vente d'une petite quantité d'actions d'une société donnée, ce qui fait baisser son cours, avant d'émettre leur véritable ordre d'achat», précise le responsable. «C'est légal et de bonne guerre, mais cela ne fait qu'amplifier la tendance actuelle du marché et augmenter sa volatilité», ajoute-t-il. Cette pratique des institutionnels est valable, qu'il s'agisse d'investissement direct en Bourse ou via les OPCVM qu'ils détiennent. A ce titre, les gérants de portefeuilles étaient confrontés à des contraintes de taille en terme de gestion. «Quand il y a un mouvement de rachat de la part des particuliers, nous sommes obligés de vendre une partie des titres détenus pour rembourser les souscripteurs, ce qui fait baisser le marché, surtout qu'il y a vraiment peu d'acheteurs. Et quand il y a un mouvement de souscription, de la part des institutionnels notamment, les titres à acheter sont quasiment impossible à trouver, car il n'y a pas beaucoup de vendeurs non plus, ce qui fait augmenter les cours pour rien», souligne l'un d'entre eux. Les valeurs minières font exception Dans ces conditions, le cours de la majorité des valeurs cotées a dégringolé. Certes, il y a eu plusieurs séances haussières, consécutivement aux journées baissières, mais elles se font sur des volumes très faibles. Par contre, les séances baissières enregistrent des volumes plus conséquents, ce qui confirme la tendance baissière de fond. Même les valeurs les plus prisées habituellement par les investisseurs n'ont pas échappé à ce mouvement. Les banques, par exemple, affichent toutes des variations négatives depuis le début de l'année. Les trois valeurs immobilières également, avec Addoha qui n'arrive pas à quitter son cours de 100 DH alors qu'elle est valorisée à plus de 150 DH (voir encadré ci-dessous). Seules les valeurs minières dérogent à la règle, suite à l'engouement des institutionnels pour ce secteur dans un contexte de flambée des cours mondiaux des métaux. Pour les autres valeurs de la cote, les baisses vont jusqu'à -40% (voir tableau en page II). Compte tenu de cet attentisme des particuliers et de l'opportunisme des institutionnels, rien ne permet de prédire un renversement de tendance du marché boursier au cours des prochains mois. Les professionnels s'attendent à une poursuite de la morosité actuelle, au moins jusqu'au mois de juillet, avec toutefois quelques variations positives attendues pour les valeurs qui distribueront des dividendes intéressants. Bien entendu, cette prévision ne tient pas compte des événements potentiels qui peuvent venir perturber davantage le marché, en cas d'évolution défavorable de la situation politique dans la région. Par la suite, on s'attend à une baisse des cours vers la fin du mois de juillet et pendant le mois d'août, compte tenu des vacances d'été et Ramadan. Si les particuliers n'étaient pas courtermistes… Cela dit, l'on n'exclut pas une probable reprise du marché à partir de septembre, évidemment si le processus de réforme de la Constitution se déroule favorablement, avec notamment un vote positif au référendum prévu en juillet, et, par ailleurs, si les comptes semestriels des sociétés cotées font état d'une croissance favorable. Quoi qu'il en soit, le plus optimiste des professionnels du marché contactés par La Vie éco table sur un Masi qui fait du surplace par rapport à 2010, car, notons-le, l'indice du marché a progressé de 21% l'année dernière alors que les bénéfices de la cote n'ont crû que de 8,8%. Signalons par ailleurs que la tendance actuelle à la Bourse de Casa aurait pu être beaucoup moins baissière et volatile si le comportement des investisseurs particuliers était plus orienté vers le long terme. Certaines personnes physiques approchées ne le cachent pas : leur principal objectif reste la réalisation de plus-values immédiates et l'encaissement de dividendes conséquents. Ainsi, ceux qui ont cette vision, développée essentiellement pendant les années fastes du marché (2006 et 2007 durant lesquelles vingt introductions en Bourse ont eu lieu et qui ont rapporté des gains colossaux en peu de temps), se positionnent sur le marché quand il est haussier, et se retirent en période de troubles passagers par aversion au risque. Or, il est prouvé et clair que la Bourse finit toujours par rapporter à moyen et long terme, quelle que soit l'ampleur des périodes difficiles qui surviennent de temps à autre. La preuve est que la performance du Masi sur cinq ans (depuis fin 2005 jusqu'à mai 2011) dépasse toujours les 100% malgré la chute du marché en 2008, 2009 et cette année. Malheureusement, le grand public manque généralement de confiance dans l'investissement boursier, et peu importe si les fondamentaux des sociétés sont bons, si la demande est supérieure à l'offre et si les perspectives sont encourageantes. A preuve, le Plan d'épargne en actions (PEA), lancé en début d'année par les banques et les sociétés de Bourse pour encourager l'épargne longue en Bourse, n'a suscité l'intérêt que de très peu de particuliers jusqu'à ce jour, et ce, malgré l'avantage fiscal accordé aux souscripteurs (voir article en page 39). Au final, la Bourse est dans une situation paradoxale, car, compte tenu de la correction du marché depuis 2008 et de la bonne tenue de l'activité et des bénéfices des sociétés cotées, pas moins de quarante valeurs sur les 73 de la cote présentent un réel potentiel de croissance à moyen et long terme. Leurs cours cibles, établis sur la base d'une valorisation économique, font ressortir des différentiels par rapport aux cours boursiers actuels qui dépassent les 30% pour certaines valeurs ; sans parler du rendement de dividende. Ainsi, même si 2011 risque de s'achever sur une contre-performance en Bourse, les professionnels du marché recommandent sans hésiter au grand public de miser dès cette année sur les valeurs correctement valorisées, mais seulement si c'est sur le moyen et le long terme.