Le Masi a cédé durant les cinq premières séances de l'année plus que ce qu'il avait perdu en 2008. Paniqués, les particuliers vendent et les institutionnels attendent la chute des cours pour acheter le moins cher possible. Les bancaires et les immobilières tirent le marché vers le bas. Début d'année catastrophique à la Bourse de Casablanca. Les deux indices de la place, Masi et Madex, ont enchaîné les variations négatives (de -1,7% à -4,5%) pour atteindre, au bout de la cinquième séance de 2009, une baisse plus importante que celle enregistrée par le marché durant toute l'année 2008 (-14,4% contre -13,5%). Les professionnels estiment qu'il s'agit d'une confirmation de la tendance entamée depuis septembre dernier et mettent le rebond enregistré le 9 janvier (+2%) avec un volume dépassant le milliard de DH sur le compte d'un repositionnement conjoncturel des institutionnels sur le marché. D'ailleurs, le 12 janvier, jour ouvrable suivant, le Masi avait replongé de 0,42%. «La hausse du 9 janvier a été simplement un rebond technique dû au fait que certains investisseurs, notamment institutionnels, ont voulu profiter du niveau bas des cours de certaines valeurs pour réaliser des opérations ponctuelles, sans plus», explique un analyste. Pour lui, d'autres hausses de ce genre peuvent se produire, mais les facteurs qui font que la tendance est généralement baissière resteront influents. Ces facteurs, de l'avis de tous, sont surtout d'ordre psychologique. Ce qui explique d'ailleurs cette baisse brutale, car une correction réfléchie aurait été lissée dans le temps. Les analystes de BMCE Capital Bourse expliquent, dans un rapport paru il y a quelques jours, que «la baisse du marché traduit la perte de confiance des investisseurs sous l'effet psychologique de la crise financière internationale et du spectre d'un éventuel retournement du marché de l'immobilier au Maroc». En effet, ce sont spécialement les valeurs immobilières et bancaires (dont l'activité est corrélée à celle de l'immobilier) qui ont accusé le coup de la perte de confiance du marché. Pour la semaine du 5 au 9 janvier, c'est BMCE Bank qui affiche la plus forte baisse hebdomadaire avec -26,56%, sur un volume de 200 MDH (10% des transactions de la semaine). Elle est suivie par la CGI (-20,85%), Addoha (-16%) et BMCI (-13%). D'autres valeurs liées à l'immobilier, notamment les cimentières, ont également enregistré de fortes baisses. D'une manière générale, toutes les grosses capitalisations qui font le marché ont connu de fortes baisses. Les particuliers liquident leurs positions le plus souvent à perte Un autre indicateur qui, selon BMCE Capital, traduit la perte de confiance des investisseurs, est le niveau du volume transactionnel ainsi que son orientation. 170 MDH seulement le 5 janvier, 222 MDH le 7 et 240 MDH le 8, on est en effet loin des 600 à 800 MDH d'échanges quotidiens enregistrés les deux dernières années. De plus, ces petits volumes sont principalement orientés à la vente. «Ce sont surtout les particuliers qui liquident leurs positions, le plus souvent à perte, sous l'effet de la panique. En face, il y a très peu d'acheteurs. Les institutionnels sont pratiquement absents du marché, si ce n'est pour acquérir certaines valeurs stratégiques dans une vision à long terme ou pour soutenir quelques titres avant de valider leurs valeurs liquidatives», affirme un trader. Le carnet d'ordres de certaines valeurs confirme cette situation. Le 8 janvier, en milieu de séance, par exemple, 210 000 titres BMCE étaient à la vente contre aucun à l'achat. La valeur a terminé la journée sur une baisse de 6%. Idem pour Addoha, dont 150 000 titres étaient disponibles à la vente contre une demande de 420 titres seulement, ce qui a fait chuter le cours de 4,6%. Quant à CGI, l'offre de titres portait sur 4 000 actions contre une demande de 76 uniquement. La valeur a clôturé la séance sur une baisse de -5,97%. Outre les effets de la crise internationale et les craintes d'un renversement de tendance sur le marché de l'immobilier marocain, d'autres facteurs ont accentué la tendance baissière des cours, notamment la série des scandales intervenus en 2008 sur la place casablancaise et le niveau de valorisation élevé de certains titres ayant suscité un fort engouement du grand public ces dernières années. «L'affaire des ventes à découvert, de la fuite d'information du système de cotation et celle de l'introduction en Bourse de la CGI n'ont pas manqué de déstabiliser gros investisseurs et petits porteurs, créant un climat de suspicion qui n'est pas favorable à l'investissement en Bourse», analyse un gérant de portefeuille. Le grand public s'est tourné vers la Bourse au moment où le potentiel de croissance s'était épuisé… Ces événements, il faut le rappeler, ont éclaté après une longue période d'attentisme (de mars à septembre 2008), les investisseurs ayant estimé que la croissance du marché avait atteint son pic, ce qui a préparé les conditions d'une dégringolade. CGI, BMCE, Addoha, Lafarge, Attijariwafa bank et d'autres grosses capitalisations de la cote ont en effet fortement progressé ces dernières années sous l'effet de la succession des introductions, de la forte médiatisation de la Bourse et de l'abondance de liquidités sur le marché. «L'engouement du grand public pour le marché des actions est apparu entre fin 2006 et début 2007, au moment où il ne restait plus un grand potentiel de croissance. Avec la chute du marché à partir de septembre 2008, les cours des principales valeurs cotées sont revenus à leurs niveaux de début 2007. Il est donc normal que les particuliers paniquent et commencent à vendre pour limiter leurs pertes», explique le responsable de l'analyse technique d'un cabinet de conseil en placements. Il s'agit donc d'une crise psychologique, de confiance, accentuée par un effet moutonnier des petits porteurs. Pour les adeptes de l'analyse fondamentale, cette baisse brutale semble injustifiée eu égard aux bons fondamentaux de l'économie et des sociétés cotées (voir page suivante). Ce qui rend difficile toute prévision sur l'orientation du marché en 2009, «d'autant plus que la dizaine d'introductions en Bourse initialement prévue en 2008 et reportée à 2009 reste hypothétique», fait-on savoir auprès de BMCE Capital. D'autres professionnels, encore plus pessimistes, estiment que ni la publication de bons résultats annuels ni l'annonce d'introductions en Bourse ne réussiront à inverser la tendance. «Les bonnes nouvelles et les petites et moyennes émissions d'actions sont souvent minimisées par le marché en période de crise», précise un institutionnel. Pour lui, ce ne sont que des mesures d'envergure ou des opérations de taille qui pourraient sortir le marché de son état actuel. Cet avis est partagé par BMCE Capital qui préconise trois actions majeures pour rétablir la confiance des investisseurs. La première est la stabilisation de l'épargne investie en Bourse pour lisser les mouvements brusques tant à la hausse qu'à la baisse à travers, pour les institutionnels, la réintroduction des abattements liés aux périodes de détention, afin de les encourager à jouer leur rôle de régulateur du marché, et, pour les particuliers, via l'instauration d'un système de plan d'épargne actions (PEA) avec des modalités souples et des avantages fiscaux. La deuxième action est la redynamisation du marché primaire des émissions en prolongeant les exonérations fiscales accordées aux entreprises qui s'introduisent en Bourse et en optant pour le chemin boursier lors des opérations de privatisation prévues. Notons à ce titre que la réactivation du programme des privatisations ne semble inclure aucune ouverture par cession au grand public.Il faut, par exemple, rappeler que la Bourse de Casablanca n'est vraiment sortie de la crise de 1999-2002 qu'après l'introduction en Bourse de Maroc Telecom, événement ayant mobilisé des dizaines de milliers de petits porteurs et rétabli la confiance. Enfin, la troisième action, préconisée par le rapport de BMCE Capital, est l'accélération de la réforme du cadre réglementaire afin d'aboutir à la création d'un marché à terme à même de réguler, du moins en partie, les excès du marché au comptant. Cela dit, l'application de ces mesures de taille risque de prendre du temps et, d'ici là, le marché risque de se maintenir sur sa tendance baissière. Le Masi devrait baisser jusqu'à 7 500 points, son niveau d'août 2006 Les professionnels manquant de visibilité pour pouvoir prédire jusqu'à quand la baisse se poursuivra, nombre d'entre eux recourent à l'analyse graphique pour établir leurs prévisions. Le problème est que, suivant cette méthode, les choses ne s'arrangent pas. Le cycle haussier entamé en juillet 2002 est officiellement fini et le Masi est entré dans un nouveau cycle baissier appelé à durer près de trois ans. Pour eux, en intégrant les rebonds techniques, l'indice de la place devrait baisser jusqu'à 7 500 points, soit son niveau d'août 2006, et le démarrage d'un nouveau cycle haussier ne devrait se déclencher, au mieux, qu'à partir de 2011.