Le marché a réduit ses gains annuels à moins de 10%, après avoir culminé à 17,6% le 13 mars. Les nouvelles introductions n'ont pas donné le coup de fouet espéré. Les grosses capitalisations tirent le marché vers le bas en raison d'un PER trop élevé. Correction douce mais correction quand même. Les investisseurs en manque de confiance : depuis le début de l'année, 49 valeurs sur 77 ont affiché une contre-performance. C'est un mois d'août pas comme les autres qu'aura vécu la Bourse de Casablanca. Et pour cause, l'évolution du marché durant cette période de vacances a été négative. Le Masi, indice de toutes les valeurs de la cote, a cédé 1,8% entre le 1er et le 25 du mois et a connu plusieurs séances de baisse, certes infimes mais successives. Le baromètre est ainsi revenu à son niveau de début février, à 13 880 points, ramenant sa performance depuis le début de l'année sous le seuil des 10% (9,34%). En comparaison, au cours du mois d'août 2006, l'indice général avait gagné 14 points de croissance pour atteindre, au bout de huit mois, une performance de plus de 40% et, en août 2007, les 11 points supplémentaires de croissance gagnés lui avaient permis de culminer à plus de 32%. Un mois d'août pas comme les autres côté volumes également. En 2007, plusieurs transactions de bloc ont eu lieu durant ce mois et ont totalisé plus de 5 milliards de DH. Cette année, le volume dans ce compartiment dépasse à peine les 100 MDH et ne concerne que deux valeurs : Alliances – c'est courant pour les nouvelles recrues de la cote -, et Delattre Levivier, suite à un renforcement dans le capital de l'actionnaire Softgroup. Les traditionnelles transactions des opérateurs pour leur compte propre durant ce mois n'ont donc pas eu lieu cette année, ou, du moins, leur taille a été assez petite pour passer dans le compartiment central. Six mois de correction lente Qu'est-ce qui explique cette baisse de régime ? Est-ce seulement le départ en vacances des investisseurs ? La Bourse reprendra-t-elle sa tendance haussière et son dynamisme après la rentrée ? In fine, comment s'achèvera l'année boursière après 5 ans de croissance forte ? Il faut dire que cette situation de morosité dure depuis la mi-mars. En effet, la Bourse affichait le 13 mars une performance annuelle de 17,6%, soit son plus haut niveau de l'année. Depuis, les indices n'ont cessé de baisser et les petites hausses qui se sont produites n'ont pas réussi à renverser la tendance. Résultat : une croissance ramenée à moins de 10% en 8 mois. Et cette fois-ci, ce n'est pas par manque de nouveau papier, comme on se plaît à le répéter. Depuis le début de l'année, en effet, il y a eu cinq nouvelles recrues à la cote casablancaise. Même l'introduction en Bourse d'Alliances, portant sur un montant plus que respectable, n'a pas pu redresser la situation. La valeur a certes gagné plus de 75% depuis sa première cotation le 17 juillet, mais cette évolution n'a eu aucun effet sur le marché. Rappelons qu'Addoha et la CGI se sont introduites en Bourse durant la même période (juillet et août) en 2006 et 2007 et qu'elles ont fortement tiré le marché vers le haut. Alliances n'a certes pas le même poids que ces deux valeurs mais la tendance morose de la Bourse est telle que même une opération de 2 milliards de DH n'a pas eu d'impact significatif sur le marché. La fin des années fastes ? Pourquoi cette atonie ? Comme souvent dans le milieu, les mauvaises nouvelles sont commentées à visage couvert, soit par égard pour des clients que l'on conseille, soit encore pour rester dans le «politiquement correct» vis-à-vis des autres partenaires (confrères, SBVC, banques mères…) et ne pas donner l'impression d'aggraver les choses. Le principal élément qu'invoquent les professionnels interrogés pour expliquer l'état actuel de la Bourse est le sentiment général, éprouvé par les investisseurs, que l'on se trouve à la fin du cycle des années fastes qui dure maintenant depuis 5 ans. «Les investisseurs se disent que la hausse ne peut pas durer indéfiniment et se préparent à un renversement de tendance. Cela a débuté en mars à travers des prises de bénéfices», explique, en off, le patron d'une société de Bourse de la place. En effet, la Bourse de Casablanca multiplie les bonnes performances depuis plus de cinq ans, dont certaines sont pour le moins astronomiques (+71% de croissance en 2006). La progression du marché depuis 2003 est de plus de 350%. Cette hausse ininterrompue a fini par attirer un nombre important d'investisseurs, particuliers notamment, voulant profiter de placements juteux et supputant que cette tendance allait toujours se maintenir. Il faut dire que le regain de confiance s'est accentué avec la succession des introductions en Bourse à partir de 2006, ce qui a boosté la demande sur le marché et fait grimper les cours. Cet engouement, il faut le signaler, a été porté, en partie, par l'octroi massif des crédits-leviers, la formation de syndicats de placement démesurés et le soutien des cours après la cotation. Résultat : en trois ans, les niveaux de cours sont devenus trop élevés, eu égard à la rentabilité des actions, et le marché est aujourd'hui l'un des plus chers au monde. Quelques professionnels avisés avaient déjà tiré le signal d'alarme il y a un an. «La Bourse de Casablanca est très chère par rapport aux autres Bourses arabes et mondiales et par rapport aux autres produits de placement», constate François Conradie, responsable du Desk International au sein d'Integra Bourse. Le PER du marché casablancais (rapport entre les cours boursiers et les bénéfices par action) tourne actuellement autour de 28, selon les chiffres de l'agence Bloomberg. Il est de 18 au Bahrein, de 12 en Egypte et aux Emirats Arabes Unis et seulement de 8 en Turquie. Exemples : CGI, valeur immobilière introduite en 2007, traite à 140 fois ses bénéfices. Alliances, qui vient tout juste de rejoindre la cote, est à 90 fois ses bénéfices annuels. Le PER d'Addoha est pour sa part de 80 et celui de BMCE Bank de 35. En effet, en retranchant du PER du marché la seule valeur CGI, ce dernier tombe d'un coup de 28 à 22. Autrement dit, les grosses capitalisations, à même de faire bouger le marché, sont surévaluées. Les niveaux de valorisation inquiètent les investisseurs Selon des analystes financiers de la place, ce sont ces valeurs qui rendent la Bourse de Casablanca très chère et, aujourd'hui, la correction s'opère. Ces niveaux de valorisation incitent les investisseurs à penser que les cours ne peuvent plus grimper et que les ordres de vente se feront plus nombreux. Une impression confirmée par un des dirigeants de la société gestionnaire de la Bourse. «Nous avons assisté à une correction du marché à partir du deuxième trimestre de l'année, que l'on peut attribuer au niveau de valorisation des cours», analyse Omar Drissi Kaitouni, membre du directoire de la Bourse de Casablanca. D'autres professionnels du marché invoquent deux éléments supplémentaires qui peuvent expliquer la baisse. Le premier est la suppression des avantages fiscaux accordés aux institutionnels sur leurs placements en actions. «Cette mesure, introduite par la Loi de finances 2008, n'encourage plus ces investisseurs à soutenir le marché sur le long terme. Nombre d'entre eux optent désormais pour des prises de position courtes, des entrées et des sorties quotidiennes ou hebdomadaires sur le marché, ce qui ne favorise pas une progression continue de la Bourse», confie un analyste financier. Le deuxième élément est l'anonymat des ordres et des transactions introduit en mars dernier par la nouvelle plateforme de cotation de la Bourse. «Cette mesure a rendu les habituels suiveurs plus hésitants à investir, ce qui a réduit le dynamisme du marché et contribué à la baisse des cours», précise un trader. Cela dit, même si l'anonymat a conduit vers une baisse de régime, ses apports sont positifs. Car, outre la rationalisation de l'investissement en Bourse, un effet moutonnier durant cette période de correction aurait conduit le marché vers une chute brutale. En tout cas, la correction est là même si elle se fait en douceur. Du 1er au 25 août, les deux tiers des valeurs cotées ont reculé. La Snep, Oulmès et la Lydec ont enregistré les plus fortes baisses avec respectivement -16,1%, -12,1% et -11,6%. Ona, Lafarge et CGI, dont le poids est important sur le marché, ont respectivement perdu 6,7%, 4,4% et 3,3%. Pour ce qui est des variations positives, elles sont faibles (entre +0,2 et +2% de hausse pour la majorité des valeurs) et ne concernent que des petites valeurs, avec un pic pour Involys, Taslif et La Marocaine Vie (respectivement +7,8%, +7,1% et +7,6%). En remontant plus loin dans le temps, la tendance est encore plus nette. Depuis le début de l'année, 49 valeurs sur les 77 de la cote affichent des contre-performances. Microdata hérite de la plus forte baisse avec -50,9%. Elle est suivie par Mediaco, La Marocaine Vie et LGMC, avec, respectivement, -39,8%, -37,3% et -35,9%. Atlanta a reculé de 26,3%, Ciments du Maroc de -21,4%, la CGI de -13,2% et Salafin de -11,9%. Parmi les valeurs qui ont progressé figurent Alliances et la Compagnie Minière de Touissit avec des hausses de +75,2% et +47,5%, Afriquia Gaz avec +42,2%, Diac Salaf avec +31,5 et Cosumar avec +29,4%. La baisse risque de se poursuivre Dans ce contexte, comment évoluera la Bourse de Casablanca durant les prochains mois ? Pour nombre de personnes interrogées, la baisse ne risque pas de s'estomper. «Même s'il y a une augmentation des volumes traités après les vacances, la tendance restera orientée à la vente», prédit François Conradie. Pour ce dernier, si les valeurs chères, notamment CGI et Addoha, continuent à baisser, le marché ne pourra pas se redresser, vu le poids de ces sociétés dans la capitalisation, et ce, même si les introductions se poursuivent. Il estime que la baisse va se poursuivre en douceur et il n'est pas le seul à tabler sur un Masi qui reviendrait à son niveau de début d'année, ce qui signifierait une année 2008 blanche. Cet avis, même s'il est largement partagé, ne fait pas l'unanimité, et les opposants estiment que la Bourse clôturera l'année sur une note plutôt positive et supérieure à la performance obtenue jusqu'à présent. «Le marché devrait enregistrer une progression de l'ordre de 20% cette année», rassure Omar Drissi Kaitouni, de la Bourse de Casablanca. Il ajoute que «si le rythme des introductions est maintenu à son niveau, qui est de dix opérations par an, les investisseurs doivent garder confiance car la croissance du marché suivra». Quoi qu'il en soit, il y a unanimité sur le fait que la Bourse de Casablanca est en train de rompre avec les taux de croissance faramineux des années passées pour devenir une Bourse normale qui évolue modérément, à l'instar des autres places financières dans le monde.