Des militants de l'Istiqlal montent au créneau et appellent Abbas El Fassi à démissionner.Le mouvement populaire prend de court la majorité en décidant de faire cavalier seul et de présenter des propositions de réformes constitutionnelles. Le Conseil national de l'USFP décide le retrait du gouvernement. Avaient-ils vraiment le choix ? Peut-être non, mais leurs réactions non concertées et fébriles ont mis à mal une majorité gouvernementale déjà fissurée par une recomposition en 2009 et des divergences entre ses composantes. Chacun a joué sa partition avec un seul mot d'ordre, en apparence occuper le terrain avant qu'il ne soit trop tard. Les réactions auront été étonnantes pour certaines, prévisibles pour d'autres. Le 20 février est passé par là. Qui aurait dit qu'un mot d'ordre de manifestation lancé sur Internet aurait fait sortir de la passivité des formations qui s'étaient sclérosées… ? Depuis une semaine ça bouge dans tous les sens. L'USFP, le Mouvement populaire, le PJD, le PPS, l'Istiqlal ou encore le PAM, tous tentent de glaner les bénéfices politiques qu'offre l'occasion. C'est cependant la sortie du Mouvement populaire (MP) qui a surpris. Lundi 24 février dans l'après-midi, juste après le Conseil de gouvernement, le bureau politique du parti tenait une réunion extraordinaire à l'issue de laquelle il se fendait d'un communiqué annonçant l'intention du MP d'élaborer, sans plus attendre, un mémorandum de réformes constitutionnelles ! Surprise au sein du gouvernement. Le Conseil de gouvernement du jeudi suivant, qui a vu le Premier ministre rentrer à la hâte du Qatar où il était en mission, a été tendu. La méfiance était de mise. Certaines sources du parti affirment que c'est la nouvelle garde de la formation harakie qui a été derrière cette mini-révolution. A en croire les mêmes sources, c'est le trio Lahcen Haddad, Mohammed Ouzzine et Abdelkader Tatou qui auraient poussé les caciques du parti à faire preuve de plus d'audace. Opportunisme politique ou appel sincère au changement ? «C'est une action réfléchie et nous allons la concrétiser. Ces réformes, nous allons les entreprendre avec le Roi dans l'objectif de renforcer les institutions», se défend Lahcen Haddad, membre du bureau politique du MP. Le parti s'est d'ailleurs empressé d'inviter une brochette d'académiciens, responsables politiques et associatifs à se pencher sur la question lors d'une rencontre qu'il a organisée dans la foulée, mardi dernier, histoire de ne pas laisser retomber le soufflé. Tous les partis politiques ont été invités à contribuer au débat, dont la synthèse devrait servir d'ossature pour le futur mémorandum de réformes que le parti entend soumettre au Roi, affirme-t-on auprès du MP. Pour digne d'intérêt qu'elle soit, ce n'est pas la seule initiative du MP qui a le plus tenu en haleine la classe politique ces derniers jours. Dimanche 27 février, c'était au tour de l'USFP d'être sous le feu des projecteurs. Une réunion du conseil national dont l'ordre du jour se limitait au débat des questions organisationnelles allait devenir une source de préoccupations. Les résolutions qui allaient en émaner allaient non seulement secouer le parti, mais hypothéquer l'avenir de la majorité gouvernementale et du gouvernement lui-même. Et pour cause, la majorité des membres du «Parlement» du parti a réclamé la sortie du gouvernement, une requête que le conseil national présente depuis deux ans maintenant… L'USFP souffle le chaud et le froid Dans une classe politique chauffée à blanc par des rumeurs incessantes portant sur l'imminence d'un remaniement, la tension est à son comble et chez les socialistes davantage encore. En réalité, ils sont divisés en trois clans. Le premier, majoritaire, appelle à un retrait du gouvernement. Un deuxième clan, plus radical, exige le retrait en plus du gouvernement, de toutes les instances électives dans lesquelles est représenté le parti (Parlement, collectivités locales, Conseil économique et social…). Cette aile va plus loin dans la radicalisation en appelant au boycott des prochaines législatives de 2012 «tant que des réformes constitutionnelles ne sont pas engagées». Le bureau politique va finir par imposer une troisième voie : rester au gouvernement, appeler et participer aux réformes de l'intérieur des institutions. Les Ittihadis se fixent néanmoins un deadline pour ce faire. «Si d'ici le 19 mars, date fixée pour la prochaine réunion du conseil national, rien n'est fait, nous allons prendre les décisions qui s'imposent», prévient une source du parti. Commentaire d'un dirigeant istiqlalien : «Avec ces bruits qui courent sur le remaniement ministériel, les Ittihadis se sont peut-être dit qu'au lieu de prendre le risque d'être éjectés du gouvernement, il vaut mieux le quitter de leur propre chef». D'autres responsables politiques estiment que «l'USFP fait, comme d'habitude, dans la surenchère politique». Avis que partagent également, en partie, certains socialistes. «Des membres du conseil national, particulièrement les jeunes, ont poussé le bouchon un peu loin. Certaines revendications sont raisonnables, d'autres relèvent plutôt de la surenchère», reconnaît Ahmed Zaïdi, membre du bureau politique. Ce qui ne fait qu'accentuer le malaise au sein du parti. En effet, l'organe décisionnel, le conseil national en l'occurrence, décide d'une action que l'organe exécutif, le bureau politique, refuse de mettre en œuvre. C'est sûr que la réunion du 19 mars risque d'être encore plus houleuse, mais cela dépendra encore des résultats d'un éventuel remaniement… Quand les Istiqlaliens appellent El Fassi à démissionner Pendant ce temps, chez l'Istiqlal, l'allié traditionnel de l'USFP depuis 12 ans, on n'en est certes pas à ce stade mais l'on ne s'agite pas moins au sein de cette formation. Bien que les instances du parti préfèrent s'en tenir à l'observation, ça bouillonne de l'intérieur. Et en matière de surenchère, les Istiqlaliens sont allés plus loin que leurs alliés socialistes. «Une bonne partie des membres du comité exécutif a demandé, lors de la réunion du 21 février, au secrétaire général de démissionner de son poste de Premier ministre», confie, sous couvert d'anonymat, un membre dudit comité. «Nous lui avons expliqué que si cela devait arranger les choses et contenter la classe politique et l'opinion publique et si c'est l'Istiqlal qui dirige vraiment le gouvernement, nous devrions mieux faire de quitter ce gouvernement. Seulement, l'opinion publique, ce n'est pas Facebook», ajoute notre source. Toutefois, rien dans les déclarations et actions des instances du parti ne reflète cet état d'esprit. Oui, l'Istiqlal est pour l'accélération de la cadence des réformes, mais comme le soutiennent d'ailleurs la plupart des partis, il ne se laissera pas influencer par un mouvement dont l'agenda politique n'est pas connu. Ce qui conforte, néanmoins, le parti, fait noter cette source, c'est que les mouvements de la rue ne se sont pas pris au parti, mais à Abbas El Fassi et sa famille. «De toutes les manières, fait noter ce responsable, Abbas El Fassi arrive au bout de sa carrière politique. Dans un an, ses responsabilités prennent fin au gouvernement comme à la direction du parti». En résumé, l'Istiqlal est pour les réformes, mais que les revendications soient canalisées par la Koutla et la majorité. Le PPS qui vient de mettre en place, le 28 février, un groupe de travail composé de dix membres de son bureau politique entend élargir cette sphère de concertation à d'autres formations, celles de la gauche naturellement, mais également au PAM et au PJD. La formation progressiste qui a tenu sa première réunion, mercredi 2 mars, se donne pour objectif d'élaborer «à brève échéance» une plateforme contenant ses revendications de réformes. Des contacts ont été entamés avec les autres formations politiques, mais le feed-back risque de se faire attendre. Mais la crise interne de l'USFP tout comme celle qui sévit depuis quelques temps au PJD risque de rendre moins «brève» cette échéance souhaitée par les amis de Nabil Benabdellah. Le parti islamiste, lui aussi, ne prendra officiellement position qu'à compter du 19 mars, date de la tenue de son conseil national. Le parlement du PJD devait se réunir le 13 mars, mais la date a été reportée «pour des raisons purement logistiques», assure Abdellah Bouanou, député du parti. Ce report devrait néanmoins donner du temps au secrétariat général pour gérer les retombées de la démission de trois de ses membres, en raison justement de l'attitude du parti face aux manifestations du 20 février. Le secrétariat général avait décidé, le 22 février, de ne pas se prononcer sur la décision des trois démissionnaires de poids que sont Mustapha Ramid, Habib Choubani et Abdelali Hamieddine, tant qu'il ne les aura pas entendus. Les intéressés, eux, ne l'entendent pas de cette oreille, ils refusent de se soumettre à ce qu'ils qualifient d'«interrogatoire». Entre-temps, le conseil national du parti planche sur une plateforme des réformes qui vont être débattues lors de cette réunion du 19 mars. En attendant, le PAM se fait discret Une troisième formation politique, le PAM en l'occurrence, s'apprête à tenir, elle aussi, son conseil national. À l'heure où nous mettions sous presse, aucune date n'avait encore été avancée. En attendant, c'est à la commission des élections, que préside Fouad Ali El Himma en personne, que revient de se prononcer sur l'après-20 février. Il faut dire que le PAM a été particulièrement pris à parti par les manifestants. Les principales villes qu'il dirige, Tanger, Marrakech et Al-Hoceima, ont été particulièrement touchées par des actes de vandalisme. N'ayant pas bonne presse pour le moment, le parti semble s'être résigné à faire le dos rond en attendant que l'orage passe. Sa commission des élections, réunie le 27 février, sous la présidence de Fouad Ali El Himma dit prendre acte de la dynamique que connaît la scène politique et annonce l'intention du parti d'interagir avec le mouvement de contestation «sans aucune intention de récupération politique». Pris de court par l'accélération des événements, le parti, dont l'idéologie, la ligne politique et le programme n'ont pas encore été clairement définis deux ans après sa création, met les bouchées doubles pour rattraper ce retard. Une partie des travaux de cette réunion à laquelle a participé la direction du parti a été consacrée à l'exposé d'un projet d'organisation, d'une feuille relative à l'identité et une autre au programme. Enfin, au RNI, la dynamique lancée en janvier 2010 s'accélère, mais point de chamboulement. «Il y a un débat au sein du parti», précise une source du RNI. Le parti tient plus que jamais à «clarifier ses relations avec l'opposition, la majorité et même avec ses militants et ses sympathisants». Il réitère ses appels à la normalisation politique. Mouvement populaire, US-FP, Istiqlal, PPS, plus que jamais la majorité gouvernementale semble mise à mal et les événements du 20 février n'ont été que le catalyseur des dissensions latentes. Dans ce cas la question qui se pose à l'évidence est : gouvernement El Fassi, combien de temps a-t-il encore à vivre… si un changement de gouvernement n'est pas décidé par le Roi au cours des prochains jours ?