Le taux d'intérêt interbancaire a atteint 3,43% sous l'effet d'un rush sur les devises et d'un retard dans la constitution de la réserve obligatoire. Les taux des bons du Trésor de courte maturité ont aussi augmenté en prévision de tensions sur les finances de l'Etat. La tendance des taux devrait rester haussière durant le premier semestre de l'année. Après une année 2010 de stabilité, les taux d'intérêt démarrent l'exercice 2011 sur une tendance haussière. Sur le marché monétaire, le Taux moyen pondéré (TMP) interbancaire (qui sert de base pour prêts entre banques), qui constitue la nouvelle référence pour l'évolution des taux variables des crédits immobiliers, a progressé de 14 points de base (pb) par rapport au début de l'année, atteignant le 14 février le niveau de 3,43%, soit 18 pb de plus que le taux directeur de Bank Al-Maghrib (3,25%). Les taux des bons du Trésor affichent également des augmentations, notamment au niveau des maturités courtes. Les bons à 13 semaines émis par adjudication ont vu leur taux gagner 3 pb, à 3,30%, et le rendement des titres à 52 semaines s'est apprécié de 4 pb, à 3,49%. Certes, ces progressions sont de faible ampleur et limitées dans le temps, vu qu'il ne s'est écoulé que sept semaines depuis le début de l'année. Mais elles sont la conséquence de facteurs pouvant conduire à une accentuation de la tendance haussière des taux durant les prochains mois. En effet, la tension observée sur les taux monétaires au cours de ce mois de février est due, selon les professionnels, à une très forte demande sur le cash, notamment les devises. «Les importateurs de matières premières, principalement les pétroliers mais aussi les importateurs de céréales, ont procédé à des achats de devises plus importants que d'habitude en raison de la flambée des cours mondiaux des matières de base. Cette demande sur les devises a exercé une pression sur le marché, ce qui s'est traduit par une augmentation du loyer de l'argent», explique un intervenant sur le marché monétaire. Le déficit de la réserve monétaire obligatoire des banques avait dépassé les 8 milliards de DH En plus de ce phénomène, les banques ont accusé un retard dans la constitution de la réserve monétaire obligatoire au titre du mois de février, et qui est égale à 6% du montant total des dépôts du secteur bancaire. La moyenne requise par Bank Al-Maghrib était de 25,6 milliards de DH, alors que la moyenne constituée par les banques était chaque jour inférieure de quelques centaines de millions de DH au niveau exigé, ce qui a conduit à l'accumulation d'un déficit de plus de 8 milliards de DH. Ce solde négatif au niveau du système bancaire a naturellement contribué à relever les taux monétaires. Cette situation de tension va-t-elle persister ? Précisons tout d'abord que les taux monétaires sont revenus à des niveaux proches du taux directeur le 18 février. Le TMP interbancaire s'est établi à cette date à 3,29%. Cette situation est due à une intervention du Trésor sur le marché monétaire qui a effectué un placement dit «à blanc» (mais non gratuit cela dit) d'un montant de 1,2 milliard de DH. Les banques ont également rattrapé leur retard dans la constitution de la réserve obligatoire et le solde négatif du système a été entièrement absorbé. Il faut dire que le Trésor contribue depuis plusieurs mois à la réduction du déficit du marché monétaire en effectuant des placements de trésorerie de plusieurs milliards de DH à un rythme hebdomadaire. Si cette démarche se poursuit, elle peut limiter les éventuelles tensions sur les taux monétaires. La banque centrale accompagne également le système bancaire à travers ses injections hebdomadaires de liquidités dans le but d'assurer un certain équilibre. L'institution a injecté, en net, un montant de six milliards de DH durant les deux premières semaines de février, opération sans laquelle les taux auraient pu atteindre des niveaux plus élevés. Par ailleurs, la prochaine réserve monétaire obligatoire devrait permettre aux banques de récupérer près de 5 milliards de DH, car Bank Al-Maghrib excluera les dépôts sous forme de comptes sur carnet de la base de calcul de la réserve, ce qui permettra aux banques de réduire sensiblement leur déficit de liquidité. Cela dit, aux yeux des professionnels, la détente occasionnée par l'ensemble de ces éléments ne peut être que provisoire. D'une part, le paiement des dividendes aux actionnaires étrangers des grands groupes marocains, qui doit avoir lieu au plus tard fin juin prochain, exercera inévitablement une pression sur les liquidités. Ces sorties de devises peuvent être plus importantes si des opérations sur le capital ont lieu, notamment de la part des sociétés marocaines qui investissent en Afrique (les banques et Maroc Telecom principalement) et des actionnaires étrangers qui souhaiteraient se retirer du Maroc. La poursuite de la flambée des cours des matières premières pèsera davantage sur le marché monétaire D'autre part, les achats massifs de devises par les importateurs de matières premières risquent de perdurer. Le baril de brent, qui est à plus de 100 dollars, ne montre aucun signe d'essoufflement, et les prix des céréales continuent sur leur lancée, la tonne de blé ayant frôlé ces jours-ci la barre des 900 dollars à Chicago. Toutes ces perturbations risquent de rendre les taux monétaires plus volatiles et accentuer le déficit de liquidité du système. Mais ce qui est à craindre le plus, c'est la montée de l'inflation suite à l'augmentation des prix à l'importation, élément qui pourrait pousser la banque centrale à relever son taux directeur. Si les analystes pensent que Bank Al-Maghrib maintiendra son taux inchangé lors de son Conseil de politique monétaire du mois de mars, en raison notamment d'une inflation toujours en ligne avec ses prévisions, l'aggravation de la tendance des prix des matières premières importées pourrait motiver un relèvement du taux lors des prochains conseils, à l'instar du relèvement décidé en septembre 2008. Sur le marché à terme, celui des bons du Trésor, notons tout d'abord que la partie courte de la courbe des taux (bons de moins de 2 ans) est mécaniquement influencée par les niveaux de taux sur le marché monétaire, d'où l'augmentation des rendements des maturités 13 et 52 semaines de quelques points de base. «Mais ce n'est pas l'unique raison», précise un gérant d'actifs. Pour lui, les fondamentaux du marché obligataire ne sont pas très bons, ce qui justifie un relèvement des taux. «Déjà en 2010, la stabilité n'a été possible que parce que les investisseurs s'attendaient à ce que le Trésor emprunte sur le marché international. Cette année, les opportunités de lever des fonds à l'international sont vraiment très réduites», ajoute le responsable. Ceci veut dire que le financement du déficit budgétaire de l'année 2011 risque fortement de se faire entièrement sur le marché local. Et pour les analystes, ce déficit sera plus important que celui de 2010, soit à un niveau supérieur à 30 milliards de DH. L'évolution prévisible des recettes et des dépenses ordinaires de l'Etat devrait déjà se traduire par un besoin de financement intérieur important, estimé à 26 milliards de DH (contre 17 milliards en 2010). Seulement, la flambée du prix du baril de pétrole et des produits raffinés, et dans une moindre mesure celle des prix des denrées alimentaires, risque d'élargir davantage ce besoin de financement. Le budget de 17 milliards de DH préalablement alloué par le gouvernement à la Caisse de compensation pour contenir la hausse des prix vient de bénéficier d'une rallonge de 15 milliards de DH, ce qui porte l'enveloppe globale dédiée à la compensation à 31 milliards de DH. «Si les prix des matières premières continuent à s'envoler, cette rubrique du budget risque de peser beaucoup plus sur les finances de l'Etat et dépasser le niveau de 3,2% du PIB enregistré en 2010», estime un analyste. Le Trésor lèvera cette année plus de fonds qu'en 2011 sur le marché local Le Trésor risque donc d'accélérer le rythme de ses levées par rapport à l'année dernière (il prévoit déjà un recours régulier au marché des adjudications de l'ordre de 2,2 milliards de DH par mois), ce qui devrait déclencher des mouvements de volatilité sur les taux. Les professionnels anticipent certes une détente vers la fin du mois de mars car ils s'attendent à une hausse exceptionnelle des recettes fiscales qui seront dopées par les résultats de l'OCP (conséquence de la flambée du cours des phosphates). Mais il ne s'agira, selon eux, que d'une détente passagère. Cela dit, même si les investisseurs sont conscients de la situation actuelle et future des finances publiques, leur comportement sur le marché des adjudications a fait que les taux des bons du Trésor à maturités moyennes et longues (2 ans et plus) s'inscrivent en baisse par rapport à leurs niveaux de fin 2010, alors que la logique veut que ces maturités soient les plus concernées par la hausse, et boudées par le marché. En effet, durant l'adjudication du 14 février, le taux des bons à 10 ans s'est établi à 4,12%, celui des bons à 15 ans à 4,31% et celui des titres à 20 ans à 4,41%, soit des baisses respectivement de 5, 3 et 4 points de base par rapport à fin 2010. Ainsi, malgré l'appétit du Trésor pour le financement à long terme, notamment pour allonger la durée de vie de sa dette conformément aux recommandations du FMI, et les perspectives incertaines qui entourent l'exécution de la Loi de finances 2011, les taux des maturités longues ont baissé. Selon les professionnels, cette baisse n'a aucune logique fondamentale. «Elle est due à des mouvements techniques opérés par les institutionnels au niveau de leurs portefeuilles, et ce, pour des considérations de gestion actif/passif», précise un gérant de portefeuille. D'autres confient que ce sont des institutionnels à actionnariat public qui se seraient positionnés sur le marché des adjudications avec des conditions de taux avantageuses pour soutenir le Trésor. Quelle que soit l'explication réelle, les intermédiaires en valeurs du Trésor restent sur leurs anticipations haussières des taux obligataires, du moins jusqu'à la fin du premier trimestre 2011.