Des opérateurs privés accusent l'Etat de privilégier l'ex-ONT et de ne pas jouer la transparence. Les opérateurs privés de la logistique sont inquiets. Leurs craintes exprimées au cours des mois qui ont précédé la présentation officielle de la Stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique semblent ressortir sous une autre forme. Alors qu'ils se plaignaient du fait que le foncier dédié à ladite stratégie (présentée officiellement le 20 avril 2010) soit de type public, donc plus accessible à la concurrence d'entreprises étatiques, c'est aujourd'hui une guerre souterraine que se livrent ces opérateurs privés et l'ex-Office national des transports, devenu depuis quelques années la Société nationale des transports et de la logistique (SNTL). L'annonce récente de la création d'une filiale commune avec le géant Maersk, à travers sa filiale Damco, a été la goutte qui a fait déborder le vase. Déjà qu'ils estimaient depuis longtemps que la SNTL avait beaucoup de privilèges de la part de l'Etat. Aujourd'hui, dénoncent certains, elle en donne l'accès total à un géant mondial qui avec ses moyens et son expérience va les «écraser». Maersk : un accès trop facile à des plateformes logistiques étatiques ? Au sujet de ce point, un élément de réponse a été apporté par le DG de la SNTL, Oussama Loudghiri, lors d'une rencontre avec les médias, mardi 4 janvier. «La filiale créée avec Damco, dit-il, est une société de gestion dont l'activité consistera à apporter des prestations logistiques en s'appuyant sur les infrastructures et plateformes qui, elles, resteront la propriété de la SNTL à travers sa filiale foncière». Au lendemain de l'annonce du partenariat, beaucoup d'opérateurs du secteur privé ont fait part de leur désaccord avec une telle opération. Leur principal argument : la SNTL est une entreprise étatique, donc profitant de deniers publics et qui a une réserve foncière essentiellement acquise grâce à sa tutelle. Selon eux, il n'est pas normal d'en faire bénéficier un opérateur privé, de surcroît étranger, sans faire jouer la concurrence. Derrière cet argument se profile une crainte : «Maersk est un géant, il est déjà implanté à Tanger Med et si, en plus, il doit avoir accès à toutes les plateformes logistiques de son nouvel associé, en l'occurrence la SNTL, il se retrouve donc en position dominante sur le marché», estime-t-on. Pour le DG de la SNTL, il ne s'agit nullement d'écarter le privé. Le choix de Damco, contrairement à ce que présument les opérateurs privés, a été minutieusement fait. «Avec l'accompagnement de notre banque d'affaires conseil, explique-t-il, nous avons mis en concurrence plusieurs opérateurs internationaux et, après plusieurs mois de discussions, nous avons finalement opté pour Damco qui, au vu de son expertise, apportera une grande valeur ajoutée pas seulement à la SNTL mais au secteur tout entier». Toujours est-il que les opérateurs soutiennent que «l'équité et la libre concurrence auraient voulu qu'on ouvre la location des plateformes à tous les acteurs suivant une démarche transparente d'appel d'offres». Gestion des vignettes du parc automobile public : une convention dûment signée avec l'Etat, selon la SNTL Mais l'affaire Damco n'est que le énième – et certainement pas le dernier- épisode d'une guerre qui dure depuis plusieurs mois entre la SNTL et certains opérateurs privés de la logistique, surtout les plus importants. Ces derniers ont une longue liste de reproches. Par exemple, le fait que la SNTL opère dans des activités annexes comme l'assurance et le crédit automobile de manière qu'ils jugent illégale puisque ne disposant pas d'agréments comme l'y oblige la loi. Toujours selon eux, ces activités financent la société qui dispose ainsi de revenus non tirés de son activité logistique. Questionné par nos soins à ce sujet, le DG de la SNTL a tenu là à clarifier les choses. Pour ce qui est de l'activité d'assurance, indique-t-il, «nous opérons conformément à la loi». Contactée par nos soins, ce même mardi 4 janvier, la direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), au ministère des finances, confirme. En 2008, en effet, la SNTL avait créé une filiale dédiée aux activités d'assurances dûment autorisée par décret du Premier ministre. Par la suite, la DAPS a délivré à la nouvelle filiale un agrément, portant le code numéro C2257, pour opérer en tant que courtier d'assurance. Les produits proposés aujourd'hui par la SNTL sont en fait des offres adossées à la compagnie RMA Wataniya. Si donc, de ce côté, la SNTL n'a rien à se reprocher, il n'en est pas de même en revanche pour l'activité des prêts pour l'achat d'automobiles. Le DG de la SNTL reconnaît volontiers que la société ne dispose pas aujourd'hui d'agrément, sachant qu'une demande a été déposée dans ce sens depuis avril 2010. Du coup, pour ne pas rester dans l'illégalité, la SNTL affirme avoir mis en veilleuse cette activité. Ce qui, pour le secteur privé, est une affirmation dénuée de fondement. «La SNTL continue encore de financer, comme le faisait l'ONT, l'achat d'automobiles pour les fonctionnaires». En fait, pour ces deux activités, il règne encore un flou total y compris sur le plan juridique. Le dahir de création de la SNTL stipulait clairement, dans son article 4, que la SNTL devait cesser l'activité de crédit au plus tard en décembre 2006. En plus, l'arrêté d'application stipule de son côté que les crédits et les assurances de la SNTL doivent concerner uniquement les véhicules achetés par des fonctionnaires pour des besoins de service. Dans la réalité, aussi bien l'ONT hier que la SNTL aujourd'hui n'ont jamais tenu compte de cette condition. Tous les fonctionnaires peuvent obtenir leur crédit auto et payer leur assurance pour leurs véhicules personnels, ce que les responsables de la SNTL ne nient pas en se contentant simplement d'expliquer que «cela a toujours été le cas depuis le temps de l'ONT». Quid alors des textes ? La question se pose également pour la gestion des vignettes et du parc automobile de l'Etat confiée à la SNTL. Le dahir de création de cette dernière stipule, en effet, que la société pourra poursuivre cette activité au-delà du 31 décembre 2006 mais seulement dans le cadre d'une convention avec l'Etat. Or, aujourd'hui, les opérateurs privés disent n'avoir jamais eu vent depuis d'une quelconque convention de ce type. Interrogé à ce sujet, le DG de la SNTL assure qu'il a bien signé une convention avec l'Etat mais a refusé d'en fournir une copie, le document, dit-il, relevant de la gestion interne de la société. 93% du chiffre d'affaires de SNTL proviendrait de l'activité logistique pure Si les opérateurs privés mettent le doigt sur ces activités annexes, c'est parce que, pensent-ils, elles posent un double problème qui vient biaiser la concurrence. Pour eux, les fonds confiés par l'Etat à la SNTL dans le cadre de cette gestion de vignettes et de parc auto, ne sont pas toujours épuisés et, du coup, la SNTL se retrouve avec des fonds supplémentaires qu'elle peut utiliser pour d'autres activités. En somme, une subvention déguisée. Et c'est, selon eux, ce qui a permis, entre autres, à la SNTL de disposer d'un matelas financier confortable à tel point, confie un opérateur, qu'«elle s'est permis le luxe de payer cash le terrain de Zenata qui lui a coûté la bagatelle de 500 MDH». A ce niveau, le DG de la SNTL s'en défend en expliquant que «le prix du terrain, qui n'est pas encore totalement réglé, a été payé grâce aux bénéfices dégagés sur les années antérieures et sans un centime des reliquats provenant des fonds des vignettes et du parc automobile de l'Etat». Moins grave, le deuxième problème soulevé par les opérateurs consiste à dire que la SNTL, si elle veut vraiment jouer le rôle de locomotive, doit se concentrer sur son cœur de métier qui est le transport et la logistique au lieu de se diversifier dans des métiers annexes. Ce à quoi la direction de la SNTL oppose un indicateur : «En 2010, nous réaliserons un chiffre d'affaires de 811 millions DH dont 93% proviennent des activités de transport et logistique et 7% de tout le reste». Quoi qu'il en soit, les opérateurs privés demandent aujourd'hui une chose : de l'équité et de la libre concurrence. L'un d'entre eux résume ainsi leur position : «En s'associant avec la SNTL, Maersk va avoir un accès privilégié et exclusif aux infrastructures dont celles de Zenata sans forcément investir autant qu'un opérateur marocain». Certes, le contrat-programme prévoit la réalisation d'autres plateformes en régions. Mais en attendant que les terrains identifiés soient apurés, les autorisations administratives obtenues et les travaux réalisés, le secteur privé a bien peur que Maersk s'installe tranquillement dans une position dominante confortable.