Ahmed Boulane en poste production revient sur les temps forts des cinq semaines de tournage de son nouveau film, «Le retour du fils». Le scénario qu'il porte depuis dix ans a enfin bénéficié de l'avance sur recette du CCM n Younes Mégri, l'acteur fétiche du réalisateur, incarne le rôle principal. Ceux qui ont aimé Les anges de Satan ou Ali Rabiaa et les autres apprécieront certainement Le retour du fils, le dernier long-métrage d'Ahmed Boulane. Car le réalisateur y a mis quelques ingrédients qui lui ont déjà valu le succès. D'abord, une histoire qui le touche personnellement. Car c'est ainsi que fonctionne Boulane, au feeling. Rencontrer le réalisateur -scénariste pour parler de son film, c'est retrouver un homme dans l'intimité de son appartement, l'intimité de son studio, l'intimité de sa vie. L'acteur-réalisateur se livre au fur et à mesure, ou du moins donne cette illusion. Confidences, petites anecdotes de plateau, il aime raconter, d'ailleurs.«Mon métier est de raconter des histoires», dit-il simplement. A peine le tournage terminé, le voilà déjà prêt à parler de son film. Un projet qui date de 10 ans. «C'est une histoire basée sur une expérience personnelle mais qui ne manque pas de fiction dans le traitement. J'ai réécrit le scénario plusieurs fois. En 2002 et 2003 j'avais déposé deux versions mais je n'ai pas obtenu l'aval du Fonds d'aide à la cinématographie.Peut-être qu'il n'était pas assez mûr à ce moment-là mais je ne l'ai jamais abandonné. En 2004, je me suis investi dans l'écriture des «Anges de Satan». Après la sortie du film en 2006, je suis revenu vers mon scénario». Boulane est un homme tenace. «Rien ne me décourage. Vous savez, j'ai eu beaucoup de mal à avoir les autorisations de tournage pour «Les Anges de Satan» mais les obstacles me motivent et ça me plaît beaucoup de résister. Pour moi, ces écueils sont un moteur. S'ils veulent que j'arrête de les embêter, il faut qu'ils me donnent tout ce que je demande», prévient-il. S'inscrivant dans cette même lignée de ténacité, Le retour du fils a finalement bénéficié d'une avance sur recette de 3,8 millions de DH de la part du Centre cinématographique marocain (CCM). Après cinq semaines de tournage, on retrouve le réalisateur, chez lui, toujours encombré de caméras et entouré de son staff. Si Boulane a tourné chez lui (encore une fois) ce n'est pas seulement pour atténuer les coûts de la production mais, cette fois-ci, le sujet qu'il traite le touche personnellement et même un peu plus que d'habitude. «Là je vais me reposer car le film a été émotionnellement très fatigant. Je l'ai porté pendant dix et c'est une histoire en rapport avec moi-même. Je trouve pour l'instant qu'il a de la gueule et je ne veux pas le sacrifier. Je vais l'envoyer dans un laboratoire en Italie. Pour moi c'est une phase importante, on peut toujours perdre en qualité si les finitions ne sont pas bien faites (scanning, coloration, mixage). C'est comme avoir de beaux enfants qui sont mal éduqués», dit-il en riant. Ainsi s'exprime cet artiste autodidacte qui parle souvent en images et dont les commentaires ne se départissent jamais d'une pointe d'autodérision. D'ailleurs, il n'hésite pas à dépeindre sa propre caricature dans une scène du film où l'on reconnaît ce réalisateur, loufoque, excentrique, au verbe acerbe, se délectant à critiquer ses propres films ! Ahmed Boulane s'amuse dans la vie comme dans ses œuvres de fiction, se joue des mots : «Quand je joue je ne travaille pas. C'est lorsque je fais de la réalisation que je travaille», car il aime se fondre «dans la fiction avec la réalité vécue». Mais de quoi parle alors ce film qui semble tellement le toucher ? «C'est l'historie d'un enfant issu d'un mariage mixte, un père marocain et une mère européenne. Mais contrairement aux clichés auxquels nous sommes habitués, c'est la mère qui kidnappe l'enfant et le prend à l'insu du père. C'est une histoire qui est arrivée à beaucoup de familles. quinze ans plus tard, le fils retourne à la recherche de son père et de son identité. Un enfant déstabilisé qui ne connaît rien à la langue du pays». Le rôle du père est incarné par Younès Mégri, un artiste-bohême qui s'est habitué à vivre seul ou presque (sa bouteille d'alcool ne le quitte jamais). «Le père va avoir du mal à partager sa vie avec son enfant». Mis à part cet aspect très sentimental et psychologique, le film appelle d'autres émotions, qui sont plutôt d'ordre esthétique. «Il y a tout un voyage initiatique qui se fait entre le père et le fils. La découverte d'un pays. Nous avons tourné à Casablanca, Marrakech, Oukaïmeden, Skhour Rhamna». Des promesses d'un Maroc profond à découvrir. Cependant, «c'est aussi un film qui se veut, et je le dis avec beaucoup d'honnêteté et de fierté, commercial. Je ne veux pas faire d'histoire hermétique, ambiguë», avertit l'auteur du Retour du fils. Le ton est ainsi donné. Un film grand public, «une histoire dans laquelle beaucoup de personnes se reconnaîtront», promet le réalisateur. Le film n'est pas encore fini. En ce moment, c'est une autre histoire qui commence pour le réalisateur, une histoire faite de musique. Les spectateurs avertis reconnaîtront certainement la touche musicale de Joël Pellegrini (Prix de la meilleure musique au Festival national du film à Tanger, 2007). Pour Boulane, la musique est essentielle au cinéma. «J'adore la musique dans les films. Je suis contre ceux qui la réduisent au simple effet. Pourquoi le cinéma est-il appelé Septième art ? C'est parce qu'il y a les décors, les costumes, les beaux acteurs, la musique, la peinture…, il faut qu'il y ait tous les arts dans un film. Les Français n'aiment pas mettre de la musique dans leurs films, je trouve cela ennuyeux». Pour un homme qui ne supporte pas l'ennui, rien de mieux pour faire un bon film qu'une sympathique ambiance entre copains. Le réalisateur s'est donc entouré de Younes Mégri, son ami depuis 35 ans, un acteur, dit-il, «d'un grand professionnalisme, qui met de côté son ego lorsqu'il joue». A côté de la star du film, de brèves apparitions d'Ahmed El Maânouni, Kamel Toufik et du réalisateur lui-même. Mais que va faire Ahmed Boulane après ce film ? «Dormir», répond-il le plus normalement du monde. «Je préfère dormir au lieu de faire de mauvais sitcom». Pour l'instant Boulane semble bien réveillé et en forme, autant en profiter !