Le parti tient son VIIIe congrès du 28 au 30 mai et entend en faire l'occasion d'une restructuration profonde. La succession d'Ismaïl Alaoui, qui est en poste depuis 13 ans, reste cependant le principal sujet de débat. Position dans la Koutla, alliances, réforme du champ politique, les militants veulent que ça bouge. On l'avoue bien volontiers, c'est une nouvelle ère que l'on espère démarrer chez le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Le descendant du Parti communiste marocain, le plus ancien des partis politiques du pays, s'engage dans une phase décisive à l'occasion de son VIIIe congrès qui se déroulera du 28 au 30 mai courant. Un rendez-vous qui devrait constituer un tournant pour l'avenir du PPS. D'abord en raison d'un changement fort attendu à la tête d'une formation politique qui n'a connu que trois dirigeants depuis sa création et, ensuite, au vu de la nécessité de procéder à une restructuration profonde que les militants n'ont cessé de revendiquer et que les hauts cadres, aujourd'hui, appellent également de leurs vœux. Le slogan de cette grand-messe intitulé «Pour une nouvelle génération de réformes» en dit d'ailleurs long sur cette volonté d'être autre chose qu'une formation d'appoint pour l'échiquier exécutif. Le gain politique des 13 années de participation dans le gouvernement depuis le lancement de l'expérience de l'alternance démocratique suscite, de plus en plus, un vif débat au sein de la base de cette formation politique qui a procédé à plusieurs mutations au niveau de sa ligne idéologique. L'on comprend que les militants PPS aient comme préoccupation majeure de «réussir le congrès». Pour cela, les préparatifs battent leur plein puisque les dernières sections régionales devaient finaliser leurs congrès locaux avant de désigner leurs représentants. A ceux-là s'ajoutent les représentants des secteurs d'activité (5 pour chacun) tels les avocats, les enseignants, les ingénieurs… Tout ce monde (15 000 congressistes) devrait élire un comité central à qui reviendra la lourde tâche de désigner et le bureau politique et le secrétaire général, soit par consensus soit par mode d'élection. Nouveauté, dont nous parlions dans notre édition du 19 mars dernier, les instances dirigeantes du parti seront «enrichies» par un conseil des sages. Son nom définitif n'est pas encore arrêté mais on sait déjà que d'anciens dirigeants y siégeront, sous la présidence fort probablement de l'actuel secrétaire général Ismaïl Alaoui, qui s'offrirait ainsi l'occasion de garder un pied dans le processus décisionnel d'un parti qu'il a géré pendant 13 ans. Ceci bien sûr au cas où il ne rempilerait pas… Car l'enjeu majeur du congrès reste bien entendu l'histoire de la succession à la tête de ce parti qui revendique quelque 40 000 encartés. Le SG a toujours été désigné par consensus jusque-là Au cours des derniers mois, Ismaïl Alaoui a déjà fait part de son intention de ne pas se représenter, mais tout reste hypothétique. L'on se rappelle qu'en 2005 le dirigeant avait adopté la même posture avant de se voir «plébiscité» par un comité central, à l'époque plus soucieux des équilibres internes que de la mutation. Aujourd'hui, et malgré les soubresauts qui ont secoué le champ politique national, la question de la candidature pour le poste de SG reste un sujet tabou chez ce parti. En 57 ans d'existence, le PCM, devenu PPS en 1974, a été dirigé par trois hommes : Léon Soltane, Ali Yata et Ismail Alaoui. Et il n'a eu recours au mode de l'élection pour choisir son patron qu'une seule fois. Autant dire que cette pratique démocratique n'a pas droit de cité chez les héritiers du communisme marocain. Durant leurs congrès précédents, les camarades, à travers le comité central, se mettaient d'accord sur le candidat qui dirigera les destinées du parti. Le VIIIe congrès échappera-t-il à cette théorie du compromis ? A l'heure où nous mettions sous presse, les dirigeants du parti s'activaient pour «dégager un consensus autour de la future direction», confie un membre du bureau politique. Ce sont surtout les dirigeants de la «vieille garde», comme les qualifient leurs détracteurs, qui poussent vers la conclusion d'un consensus avant la tenue du congrès. Ces grandes figures du PPS, à l'instar d'un Abdelouahed Souhaïl ou d'un Khalid Naciri, ont déployé durant les semaines dernières beaucoup d'efforts pour inciter M. Alaoui à rempiler pour un nouveau mandat. Cette initiative n'est cependant pas fortuite. «Pour des cadres qui attendent leur tour et qui ne sont pas pour le moment qualifiés à s'engager dans la course pour le poste de secrétaire général, on fait tout pour garder le statu quo afin de garder plus de chances dans les échéances futures», analyse un politologue. Et pour maintenir le statut quo, il n'y a pas mieux que de glorifier l'image du zaïm. Nabil Benabdellah ou Saïd Saadi comme successeur Mais, visiblement, la volonté des militants sera plus forte que celle des cadres de «l'ancienne génération». Reste à connaître la manière avec laquelle le nouveau dirigeant sera proclamé. Par consensus comme on a pris l'habitude de le faire jusqu'ici ? Pas si sûr car, cette fois-ci, deux poids lourds, tous deux anciens ministres, sont pressentis pour se porter candidats à la succession de M. Alaoui, même si rien n'a été annoncé officiellement. D'une part, Nabil Benabdellah, ancien ministre de la communication dans le gouvernement Jettou, et de l'autre, Saïd Saadi, ancien secrétaire d'Etat chargé de la protection sociale, de la famille et de l'enfance dans le gouvernement Youssoufi, affûtent tous deux leurs armes. Le congrès aurait à trancher entre deux candidats dont le profil et le style sont en opposition totale. Nabil Benabdellah est décrit par la base comme «un candidat de l'ouverture et du renouveau», selon un membre du comité central. Ses détracteurs au sein du parti lui reprochent cependant «un excès de proximité vis-à-vis des cercles du pouvoir qui risquerait de générer des compromis défavorables à l'idéologie du parti». En face, Saïd Saadi est réputé pour le combat farouche qu'il a mené contre les intégristes pour défendre le Plan d'intégration de la femme qu'il voulait faire adopter en vain quand il était au gouvernement. M. Saadi représenterait en fait l'aile extrême gauche du parti. «Depuis l'échec de son plan et son éviction du gouvernement, l'ancien secrétaire d'Etat s'est senti trahi par tout le monde y compris son parti, c'est pour cela qu'il a durci son discours qui devient de plus en plus critique vis-à-vis des institutions et qui trouve une bonne oreille auprès de nombreux militants de la base», explique un proche de M. Saadi. Mais au sein du PPS, on ne voit pas que des qualités dans le combat de cet altermondialiste. «Son discours est radical et il risque de compromettre les rapports du parti avec ses partenaires d'autant que le PPS a fondé une grande partie de sa stratégie sur les alliances», avertit un autre membre du comité central. Qui des deux reprendra le flambeau, Benabdellah ou Saadi ? Tout dépendra du mode d'élection qui sera adopté ainsi que des efforts consentis par les deux concurrents, ces derniers mois, pour gagner la confiance de la base. En attendant, militants et dirigeants sont unanimes sur l'importance d'engager une restructuration du parti et, au-delà, s'apprêtent à lancer un appel pour des réformes du Maroc politique. Car un congrès est toujours une occasion pour chaque parti de faire valoir sa vision quant à la situation du pays au niveau politique, économique, social… Et celle dressée par le PPS à l'occasion de cette grand-messe n'est pas reluisante. «Le climat politique est surréaliste et le Maroc se trouve actuellement dans un virage dangereux ; et si celui-ci est mal négocié le pays risque de sombrer dans une crise grave», estime Ismaïl Alaoui. Amertume à l'heure de quitter le poste de leader ? De fait, la plupart des grandes figures du parti tiennent le même langage, à commencer par le candidat potentiel, Nabil Benabdellah. «Le climat politique est malsain et nous ne pensons pas qu'une construction démocratique saine puisse s'établir sur la base de la dépréciation du politique, de la marginalisation des partis et de l'atteinte à leur autonomie», déplore l'ancien ministre, qui refuse d'entrer plus dans le détail. Un poids électoral modeste… mais un poids politique honorable Pour sortir de ce marasme, le PPS plaide pour l'adoption urgente de cette nouvelle génération de réformes qui touchent les volets constitutionnel, politique, économique et social (voir ci-contre). Reste à savoir dans quelle mesure le PPS est capable d'imposer cet appel qui ne manque pas de courage d'autant qu'il provient d'un parti de la majorité et qui est impliqué dans la gestion du gouvernement depuis plusieurs années. Aussi audacieuses ces réformes soient-elles, «leur application reste tributaire de la place du parti dans l'échiquier politique et des rapports de force qui dominent dans le pays», signale Saïd Khoumri, professeur de sciences politiques à l'université Cadi Ayyad de Marrakech. Or, son poids électoral ne plaide pas en faveur d'une mobilisation autour de son discours. De l'avis même de ses dirigeants, «le PPS a toujours eu une représentation numérique relativement faible qui tourne autour de 4 et 5% des voix». Son potentiel électoral ne dépasse pas les 450 000 voix. Et son meilleur résultat a été enregistré en 2007 lorsqu'il a remporté 17 sièges à la Chambre des représentants. Un résultat à prendre cependant avec précaution car, sur le plan électoral, le parti présente des performances mi-figue, mi-raisin. En 2002, il aura remporté 11 sièges à la Chambre des représentants ; en 2007, 17 sièges, une performance raisonnable, même si elle reste en partie liée à l'annulation de la liste féminine de l'UC, qui en avait remporté 27, et même si une douzaine de membres de son bureau politique ont échoué aux élections (Saïd Saâdi à Casablanca, Ismaïl Alaoui à Taounate, Nabil Benabdallah à Témara, M'hammed Grine à Rabat ou encore Abdenbi Saligane à Sidi-Kacem…). Aujourd'hui, fort de quelque 40 000 militants, le parti a remporté 1 102 sièges de conseillers communaux en juin 2009, mais au Parlement sa situation est devenue peu enviable depuis deux ans. Le PPS ne dispose plus que de 11 parlementaires à la Chambre des conseillers et de 9 à la Chambre des représentants où la transhumance l'a obligé à faire appel au Parti travailliste de Abdelkrim Benatiq pour sauver le groupe parlementaire constitué avec le FFD. Cette faible représentativité n'a pas pour autant handicapé le PPS dans les mêmes proportions. Même avec un seul député dans les années 70, le parti a toujours joui d'un respect indéniable. «Malgré ses références socialistes, le PPS a été précurseur dans l'adoption d'un certain nombre de positions empreintes de réalisme politique et n'oublions pas qu'il avait adhéré à la révision de la Constitution de 1992 avant ses alliés de la Koutla (qui comprenait également à l'époque l'OADP). Avant que ces derniers ne lui emboîtèrent le pas, quatre ans plus tard, pour la révision de la Constitution de 1996», rappelle M. Khoumri. A la recherche de cette identité socialiste ouverte aux réalités du pays Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le parti de Yata a toujours été une force de propositions, ce qui lui a permis d'«exister» sur un échiquier politique où il était défavorisé numériquement. Son secret ? «Probablement parce que nous avons toujours refusé le populisme et nous sommes restés fidèles à nos principes», précise un membre du bureau politique. Pourtant, le parti dont le discours et l'idéologie sont fondés sur le socialisme, est passé par des moments difficiles qui auraient pu lui être fatals, notamment avec la chute du mur de Berlin et la disparition du socialisme à l'ancienne. Il faut dire que la stratégie de ses dirigeants y a été pour beaucoup. C'est en 1992 que le parti s'est engagé avec ses alliés de la Koutla démocratique pour ne plus en sortir et se maintenir au sein du gouvernement, même avec un nombre de sièges limités. Cette performance s'est-elle réalisée au détriment des idées sur lesquelles le parti a été fondé ? Pour Ismaïl Alaoui c'est le résultat d'une mutation «vers un socialisme ouvert qui a permis au PPS de s'adapter avec les réalités du pays». Il n'empêche qu'à l'heure où les blocs semblent se reconstituer autour des idéologies, à l'instar de cette alliance formée par le RNI et l'UC, les militants sont plus que jamais convaincus de la nécessité d'un repositionnement autour de l'identité socialiste du parti. Mais un socialisme qui n'a rien à voir «avec celui mis en échec dans les pays de l'Est», tient à préciser M. Benabdellah. Un socialisme qu'il y a lieu de redéfinir, ajoute M. Alaoui. Il n'en demeure pas moins que le combat essentiel du parti vise, poursuit-il, à «impliquer la classe ouvrière dans la gestion des entreprises, et à assurer plus de justice sociale». Les dirigeants du PPS estiment que le socialisme devient même une nécessité dans ces temps de crise où le libéralisme a montré ses limites. «Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut mettre fin au capitalisme sauvage qui a fait beaucoup de dégâts et de crimes dans le monde», estime le secrétaire général du PPS. Pour d'autres dirigeants de ce parti, les mesures massives à connotation sociale entreprises récemment par les pouvoirs publics sont «la marque de fabrique du PPS et de ses alliés de gauche au gouvernement, et notamment l'USFP». A cette nuance près : malgré ses orientations libérales en général, comme le souligne M. Khoumri, «le pouvoir au Maroc ne s'embarrasse plus de s'approprier le discours socialiste». Conclusion ? Etre socialiste est de bon ton aujourd'hui, mais cela ne suffit pas…