Il est primordial de revenir à notre indépendance en viandes rouges et lait. Aucun pays ne pourra atteindre cette souveraineté de manière absolue et totale. Souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire, autosuffisance en produits agricoles... que des priorités érigées au premier rang depuis l'avènement de la crise sanitaire jusqu'à la succession des différents obstacles auxquels tous les pays du monde continuent de faire face, comme la sécheresse et la crise géopolitique entre la Russie et l'Ukraine. Tous ces facteurs, inattendus mais bien réels, ont mis à nu les fragilités du Maroc. Une prise de conscience est donc entamée sur la nécessité d'assurer les besoins alimentaires et agricoles à tous les citoyens, de garder les marchés approvisionnés et d'éviter toute rupture de quelle que nature qu'elle soit. Le déficit en produits alimentaires est problématique dans plusieurs pays. «L'Angleterre, la France et l'Italie, pour ne citer qu'eux, souffrent de problèmes d'approvisionnement, sachant que certains ont arrêté les exportations, comme l'Allemagne avec les bovins, la Chine avec le sucre ou d'autres avec les céréales», explique Rachid Benali, président de la Comader. A son sens, notre source préfère évoquer sécurité alimentaire, avec tout ce que cela entraine comme efforts à déployer afin de disposer de produits disponibles toute l'année, à des prix abordables, assurer au maximum des produits locaux et réduire ceux importés. Abdelghani Youmni, économiste, signale de son côté : «La souveraineté alimentaire du Maroc en 2030 n'est pas celle du Maroc de 2000. Elle est dynamique et de plus en plus volatile. Elle n'est pas qu'agricole non plus mais aussi agroalimentaire et agroécologique». Elle devra donc intégrer des variables comme les habitudes alimentaires, le statut des pêcheurs, des petits exploitants, des ouvriers agricoles, du sens à donner à la justice climatique ainsi que commerciale, à la préservation des ressources en terres arables et en eau. Des stratégies payantes, mais... Il faut dire que les stratégies du Maroc dans le secteur agricole sont aussi payantes qu'imparfaites sur certains points. Le Plan Maroc Vert en est le meilleur exemple. «Sa vocation a été de créer les bases d'une agriculture intensive à haute valeur ajoutée destinée à l'exportation au détriment d'un arbitrage avec les cultures vivrières, comme les céréales, les plantes oléagineuses et le sucre», ajoute Youmni. Ce choix a permis au Maroc d'accroître ses exportations de fruits et légumes d'au moins 4 fois pour passer de 600.000 tonnes en 2009 à 2,3 millions de tonnes en 2022. En même temps, le Maroc a accru sa dépendance alimentaire et mis sous pression ses outils de compensation budgétaire servant à subventionner les farines et le sucre. Des piliers à activer «Si les quatre piliers de la souveraineté alimentaire sont la disponibilité, l'accès, l'utilisation et la stabilité des aliments, aujourd'hui, elle semble soumise aux aléas du marché, à la cupidité des intermédiaires et à l'attrait à l'exportation pour les producteurs», estime notre économiste. D'où la nécessité d'intervention de l'Etat pour jongler avec toutes ces données et tendre, un tant soit peu, vers cette souveraineté alimentaire. Youmni propose d'activer certains piliers, dont le plus important réside dans le changement de la vision de la valeur et de l'utilité de l'eau pour l'élever au rang de matières premières et de ressources énergétiques non renouvelables. Alors que la construction de barrages avait été une priorité pendant la période du règne de feu Hassan II, il est primordial aujourd'hui de privilégier les stations de dessalement des eaux de mer et celles de traitement des eaux usées. Rappelons que les Marocains n'ont plus accès qu'à 600 mètres cubes d'eau par personne, bien en dessous des 2.600 mètres cubes des années 1960. A côté de tout cela, une réforme agraire est urgente pour permettre la survie des campagnes, assurer des revenus décents pour les jeunes agriculteurs et garantir aussi un avenir à la jeunesse des campagnes. Dans la pratique, le président de la Comader insiste sur le retour du Maroc à l'indépendance en termes de viandes rouges d'abord et de lait aussi, conséquence directe de la réduction du cheptel national. Pour lui : «le pays ne pourrait pas atteindre sa sécurité alimentaire dans des produits comme le blé, les oléagineux... puisque notre terre n'est pas faite pour accueillir ce genre de cultures en masse», explique Benali. Pour pouvoir assurer une sécurité céréalière, oléagineuse, sucrière..., il faudra cultiver 5 millions de hectares de terres. En face, le ciel est de moins en moins clément. Comment faire ? D'ailleurs, le Maroc n'est pas le seul à être dans cette situation. Pour lui, «aucun pays ne pourra jamais atteindre la souveraineté alimentaire complète et totale, à part les Etats-Unis, la Russie et la Chine». Le Plan Maroc Vert et Generation Green devaient être une arme contre les inégalités et l'inflation. «Paradoxalement nous assistons à l'inverse à force de mettre en concurrence nos besoins produits localement avec la demande étrangère. Un vrai dilemme. Pour le vaincre, c'est soit produire plus soit consommer moins». conclut Youmni.
Generation Green va de pair avec la souveraineté «Au Maroc, l'agriculture n'est pas et ne sera jamais une locomotive du développement mais définitivement un de ces poumons». Les acteurs du secteur agricole doivent allouer davantage de moyens pour la valorisation des ressources, eaux pluviales, dessalées et recyclées, terre, intrants, main d'œuvre et technologies. Ce qui impose d'investir dans la recherche et développement et d'importer les technologies de pointe de pays combinant stress hydrique et géographie désertique. Dans ses axes, la stratégie Generation Green, va pleinement dans le sens d'assurer la souveraineté alimentaire. Entre autres exemples, elle encourage le stockage à travers des subventions, l'investissement dans les technologies, à rendre efficiente les techniques d'irrigation et d'économie d'eau.