Après l'UC et le RNI, l'Istiqlal, l'USFP et le PPS se mobilisent à leur tour. L'Istiqlal, en difficulté, s'accroche à la Koutla, l'USFP reste neutre. Le Mouvement populaire, grand absent du remous qui agite les formations. 17 ans après la naissance de la Koutla et du Wifaq, le champ politique pourra-t-il fonctionner sur une base idéologique ? Les blocs politiques détermineront-ils le gouvernement de l'après 2012 ? Annoncé le 2 mars, le rapprochement entre le RNI et l'UC, prélude officiel à la mise en place d'un grand pôle libéral d'ici deux ans, est en marche. A l'heure où nous mettions sous presse, l'UC et le RNI peaufinaient la composition de la commission mixte qui aura pour mission de plancher sur le projet. Cette dernière, qui comprend une dizaine de membres (cinq pour chaque parti), aura pour mission de composer des scénarios de rapprochement. Assisterons-nous à la création de groupes parlementaires conjoints RNI-UC dans les semaines ou les mois à venir ? Les deux formations iront-elles jusqu'à la fusion ? «Nous avons laissé à la commission le champ libre pour déterminer le meilleur moyen d'arriver à un pôle solide», explique Mohamed Abied, secrétaire général de l'UC. Au-delà du PAM et du MP, idéologiquement proches du RNI et de l'UC, le futur bloc tendra-t-il la main aux autres partis de tendance libérale, moins représentés au Parlement, au nom de la clarification du champ politique ? L'idée n'est pas exclue, explique-t-on du côté RNI. Istiqlal – PJD, rivaux ou finalement alliés ? L'initiative RNI-UC n'a, en tout cas, pas laissé indifférentes d'autres formations. Quelques jours à peine après l'annonce du rapprochement entre les deux partis, les formations de la Koutla prenaient le relais avec une série de rencontres bilatérales, Istiqlal-PPS début mars, USFP-Istiqlal mardi 9 mars, et USFP-PPS mercredi 10, ces rendez-vous étant destinés à préparer le terrain pour une réunion tripartite à une date qui reste à déterminer. Pas si vite toutefois : ces trois formations, qui ont passé des mois sans se rencontrer dans le cadre de la Koutla, sont-elles réellement muées par une volonté de la remettre sur pied, ce qui ne peut se faire sans une refonte de la structure ? Ou encore s'agit-il simplement d'une manœuvre destinée à faire taire ceux qui la disaient morte et enterrée et qui leur conseillent chacun de rejoindre un groupement différent ? Cette reprise du dialogue au sein de la Koutla tombe à point nommé pour le parti du Premier ministre, particulièrement malmené depuis quelque temps. Le 17 février, Hamid Chabat, président istiqlalien du conseil de la ville de Fès, déclenchait une polémique en faisant part de sa volonté d'interdire la vente de l'alcool à Fès, 4e destination touristique du pays. Cherchait-il à contrer l'avancée du PAM dans son fief comme l'affirment aujourd'hui certains ? Plus tard, le maire de la capitale spirituelle reviendra en partie sur ses propos, mais l'opération marketing avait déjà produit ses effets. Mis en difficulté dans la mesure où ils se sont retrouvés de facto à jouer le rôle de «défenseurs de l'alcool», seuls six conseillers communaux (PAM et USFP) sur 95 se sont abstenus de voter en faveur de l'interdiction (inapplicable au demeurant puisque ne relevant pas des attributions du conseil de la ville), et aucun n'est allé jusqu'à voter contre. L'USFP ne tranche toujours pas, mais a-t-il vraiment le choix ? Reste que le fait d'armes de Hamid Chabat a aussi apporté, indirectement, de l'eau au moulin de ceux qui se prononcent depuis quelque temps en faveur d'un passage du parti à l'opposition, aux côtés du PJD. Quelques jours plus tard, le 2 mars, de nouvelles sorties signées Abdallah Bekkali, membre du Comité exécutif de l'Istiqlal et secrétaire général de sa section jeunesse, sont venus les conforter dans leur analyse. Lors de son passage sur la Une dans l'émission Hiwar, le rédacteur en chef du quotidien Al Alam avait en effet souligné la tendance islamiste de l'Istiqlal, suscitant une nouvelle vague de critiques. Ce dernier tentera, une semaine plus tard, de corriger le tir via un entretien au Matin en reconnaissant les fondements religieux salafistes de son parti, mais en soulignant que ces derniers n'avaient pas d'impact sur sa politique. En face, l'USFP a lancé une série de discussions avec plusieurs partis, à commencer par l'Istiqlal et le PPS. Soumis à des pressions nettement moindres que la formation de Abbas El Fassi, le parti de la rose s'est dit ouvert à toutes les options, mais ne s'est engagé sur aucune d'entre elles (voir La Vie éco du 26 février). Aujourd'hui, il peut aussi bien rester dans la Koutla que rejoindre le bloc libéral en formation, soit en tant que membre, soit en tant que partenaire dans le cadre d'une éventuelle alliance gouvernementale, même si cela n'est pas sans risque : l'USFP pourrait bien y perdre son identité de parti de centre-gauche. A voir la clarification fournie par le RNI sur son identité libérale, la question reste en suspens. Seule certitude, en dépit des remous du champ politique, et à part le PPS, le parti socialiste ne semble pas encore se mouvoir dans une optique de cette grande gauche que les autres formations appellent de leurs vœux. Le MP hors-jeu ? Reste que le cas de la Koutla n'est pas une exception. Avant de pouvoir constituer leur bloc libéral, l'UC et le RNI devront d'abord effectuer le parcours du combattant. En effet, pour constituer une alliance, les deux partis devront d'abord contourner le mur qui sépare les partis de la majorité (RNI) de ceux de l'opposition (UC). Un obstacle non négligeable dans la mesure où il a mené à l'éclatement des groupes parlementaires «Rassemblement et modernité» au lendemain du passage du parti de Mohamed Cheikh Biadillah à l'opposition. Et même en supposant que l'obstacle puisse être surmonté si l'UC accepte de soutenir le gouvernement sans y être représenté, les choses risquent d'être difficiles au cas où les deux partis décident d'aller jusqu'à la fusion. En effet, la répartition des pouvoirs au sein d'une éventuelle entité commune créerait, comme cela a toujours été le cas dans des opérations du genre, des problèmes d'ego. L'USFP, potentiellement dans plusieurs blocs possibles Les interrogations qui planent sur le bloc libéral ne s'arrêtent pas là. Le PAM se joindra-t-il effectivement à cet ensemble ou jouera-t-il sa propre partition ? L'on observe aussi un silence inquiétant à propos du MP au point que depuis quelque temps l'on parle davantage de la possible alliance de l'USFP avec le RNI et le PAM que de celle du parti haraki avec le RNI et le PAM, malgré l'obédience libérale du concerné, et sa coopération passée avec le PAM, le RNI et l'UC aussi bien dans le cadre des alliances gouvernementales qui se sont succédé depuis l'Alternance qu'à l'opposition entre 2007 et 2009… «Nous avons entamé des discussions avec le PAM, nous avons de bonnes ententes avec l'UC et le RNI mais il est encore trop tôt pour de véritables alliances», explique Mohand Laenser, secrétaire général du MP. Il faut dire que le MP, à quatre mois de son prochain congrès, a d'autres soucis à gérer, au risque de tarder à prendre le train. «Le problème avec le Mouvement populaire c'est qu'il faudrait que sa direction se prononce clairement sur ce qui se passe actuellement. S'il continue sur cette voie, il risque d'être écarté voire balayé par le mouvement de l'Histoire. C'est ce qui peut arriver de pire à ce parti comme à l'USFP s'ils ne se définissent pas clairement sur le plan idéologique», indique ce fin connaisseur de la scène politique nationale. Un autre observateur reproche tout simplement au parti de se cantonner dans l'immobilisme là où il devrait prendre l'initiative de se rapprocher des alliés potentiels. «La Haraka doit bouger», plaisante Mohamed Abied, «Nous avons toujours dit que le RNI, le PAM et le MP sont les partis les plus proches de nous. Le MP et l'UC sont tous les deux membres de l'Internationale libérale et nous travaillons de concert au niveau international, comme nous avons coordonné par le passé nos activités depuis l'époque du Wifaq et plus tard», poursuit-il. Ainsi, si les blocs monopolisent le débat au niveau de la scène politique, ce n'est pas demain qu'ils domineront la scène politique. En attendant, toutes les options sont possibles, dont un bloc libéral, qui inclurait le RNI, le MP et l'UC ainsi que le PAM (actuellement 155 parlementaires à la Chambre des représentants, 150 à la Chambre des conseillers), ou un bloc centriste, qui comprendrait l'USFP (195 parlementaires à la Chambre des représentants, 171 à la Chambre des conseillers). A défaut d'une Koutla «revue» (114 représentants, plus de 77 conseillers), l'USFP pourrait constituer un bloc de gauche avec des formations aux proportions plus modestes comme le PPS, le FFD, le PSU et le Parti travailliste (une soixantaine de parlementaires à la Chambre des représentants). De même, l'Istiqlal pourrait construire avec le PJD un bloc «conservateur-démocrate» (100 parlementaires à la Chambre des représentants, 56 à la Chambre des conseillers), sachant que les arguments en faveur d'une alliance PI-PJD sont légion: référentiel religieux, positions sur des thématiques telles que l'identité nationale…, les points communs entre les deux partis sont nombreux. «Le fait qu'il y ait un vote conservateur est très important pour le Maroc. Un tel vote n'est pas forcément religieux, il peut traduire une vision conservatrice des choses, maintenir une tradition, impliquer une volonté d'aller vers la modernité sans renoncer à son passé, ses valeurs, à l'image de ce qui se fait dans beaucoup de pays comme la Grand-Bretagne ou les Etats-Unis», souligne Noureddine Ayouche, président de la défunte Association 2007 Daba. Quel que soit le scénario, l'importance en nombre de députés et conseillers reste cependant relative. Même si elle conditionne des alliances préélectorales, le poids réel de chacun des blocs devra attendre le verdict des urnes, l'après-septembre 2012… Le retour des idéologies En définitive, si les flous restent encore nombreux, il semble bel et bien que les mutations en cours touchent jusqu'à la logique qui détermine les alliances partisanes. Avec la création de la Koutla et du Wifaq dans les années 90, le clivage classique entre la gauche et la droite avait été dépassé par l'apparition d'un autre entre l'opposition et les partis de l'Administration. Considérée comme anormale dans la mesure où l'Istiqlal, parti conservateur, y évoluait aux côtés des gauchistes de l'USFP, du PPS et de l'OADP, la Koutla (1992) voyait ainsi son existence justifiée face au Wifaq (1993), composé de l'UC, du MP, du PND, flanqués du MDS. Pendant ce temps, le «Centre», constitué du RNI et du MNP, se situait quelque part entre les deux camps. Plus tard, de 1997 à 2007, l'Alternance a ouvert la voie à une série de gouvernements d'union nationale ayant la Koutla pour noyau. Aujourd'hui, toutefois, cette formule n'est plus valide. La scène politique marocaine est-elle prête à fonctionner selon une logique de blocs fondés sur des idéologies communes ? Si cela semble être le cas des libéraux, les autres tendances n'ont pas encore l'air de s'être engagées sur cette voie. Il faudra sans doute attendre au-delà de 2012 pour espérer voir apparaître des blocs concurrents. Espérons seulement qu'à terme l'impact sera positif pour une scène politique qui a plus que jamais besoin de retrouver sa crédibilité.