L'annonce du regroupement à Casablanca de six partis de gauche, dont l'USFP, reste l'exception. A trois mois seulement des élections, les partis n'ont plus le temps de faire des alliances à l'échelle nationale. Pour certains, les tensions entre l'Istiqlal et l'USFP sont les prémices d'un divorce. Beaucoup attendent de connaître les intentions du PAM avant de se lancer dans les négociations. Mercredi 4 mars 2009, une date à marquer d'une pierre blanche pour la gauche casablancaise. Ce jour-là, le siège régional de l'Union socialiste des forces populaires est le théâtre d'une rencontre pas comme les autres. Et pour cause, les participants, des représentants de l'USFP, du Parti du progrès et du socialisme (PPS), du Parti socialiste (PS) et des trois formations de l'Alliance de la gauche démocratique, le Parti socialiste unifié (PSU), le Parti de l'avant-garde socialiste et démocratique (PADS) et le Congrès national ittihadi (CNI), ont pris une sérieuse option pour la formation d'un seul bloc aux élections communales du 12 juin prochain. «Nous allons concentrer notre action sur les problèmes de la région du Grand Casablanca, sur lesquels nous sommes pratiquement tous d'accord», explique Ahmed Zaki, membre du bureau politique du PPS. «Nous critiquons la gestion du conseil de la ville, de la préfecture et de la région. Il est donc de notre responsabilité en tant qu'opposition de proposer une alternative de gestion démocratique qui tienne compte des problèmes liés au développement d'un pôle économique comme Casablanca», indique-t-il. Les six partis devraient ainsi mettre en place un tribunal symbolique pour juger la gestion communale de la ville début avril, et présenter, début mai, un programme alternatif conjoint destiné à être présenté aux élections. Au-delà, les partis envisagent même de constituer des listes électorales communes dans la région du Grand Casablanca. La nouvelle surprend, surtout si l'on se souvient des crises survenues entre le PS et le CNI, d'une part, le PSU, le CNI et l'USFP, d'autre part. Jusqu'à présent, du moins, aucun des bureaux politiques des formations concernées n'a émis de veto contre le rapprochement. Il faut reconnaître que ce partenariat devrait bénéficier à la gauche non gouvernementale, menacée de disparaître des instances de la capitale économique depuis le relèvement du seuil de représentativité de 3 à 6% tout comme à l'USFP, pour qui leur soutien, modeste mais précieux, devrait aider à récupérer les nombreux sièges perdus en 2003. Lancé à quelques mois des élections communales, et alors que la dernière barrière à l'organisation d'alliances préélectorales sur la scène partisane marocaine a été levée avec le congrès du PAM, en février, le rapprochement de la gauche casablancaise pourrait toutefois bien être l'exception qui confirme… le retard général. En attendant Mohamed Cheikh Biadillah… En effet, interrogés sur leurs perspectives d'alliances dans le cadre des prochaines élections communales, une bonne partie des acteurs de la scène politique marocaine répondent automatiquement qu'il est encore trop tôt pour en discuter. «C'est prématuré. Pour le moment, je m'attache surtout à terminer ma mission actuelle correctement», indique Mohamed Sajid, maire (UC) sortant de Casablanca, qui avoue ne pas encore avoir commencé à discuter alliances et se refuse à se prononcer quant à son intention de briguer ou pas un nouveau mandat à la tête de la ville. Au nord du pays, Rachid Talbi Alami, président du conseil de la ville de Tétouan, se dit en revanche prêt à rempiler : «Bien sûr que je me représente, j'ai déjà l'aval de mon parti pour présider la liste du RNI et je travaille actuellement à préparer cette dernière». Optimiste quant à ses chances d'être réélu, l'ex-ministre des affaires générales manque, toutefois, de visibilité quant à l'identité de ses futurs alliés : aujourd'hui à la tête d'une majorité qui correspond au bloc gouvernemental, il devrait logiquement être soutenu par les élus du Parti authenticité et modernité (PAM) et du reste des partis qui figurent au gouvernement. Un flou demeure quant à la position des éventuels conseillers de l'Union constitutionnelle et du Mouvement populaire, tous deux à l'opposition mais proches du PAM. Il lui faudra sans doute attendre encore quelques semaines pour être fixé. En effet, le premier Conseil national du parti de Mohamed Cheikh Biadillah, prévu le 22 mars courant à Témara, devrait fixer les grandes lignes de la politique d'alliances du PAM. La formation devrait ainsi indiquer lequel de ses cercles d'alliance – l'alliance gouvernementale ou le quatuor formé avec le RNI, l'UC et le MP – est prioritaire, la forme sous laquelle elle devrait coopérer avec ces formations, et quels seraient les partenariats «tolérés» ou rejetés au moment de la formation des conseils communaux. «Pour l'instant, il n'y a rien, mais le dépôt des candidatures démarre le 18 mai prochain, les partis ont encore un peu de temps pour évaluer leurs chances dans les communes et y adapter leurs conditions», explique Abdelaziz Alaoui Hafidi, président du groupe parlementaire PAM – RNI à la Chambre des représentants. Seule certitude : il est trop tard pour envisager des alliances préélectorales à l'échelle nationale, explique Mohamed Abied, numéro un de l'UC. Une analyse partagée aussi bien du côté du MP que… du reste de la gauche. Collaboration à problèmes Lancée au lendemain des élections législatives de 2007, la dynamique de rapprochement entre les formations de gauche a repris à Casablanca après la parenthèse du VIIIe congrès de l'USFP, mais pas dans le reste du pays. Explications : la gauche souffrirait de limites imposées par la loi, selon certains, ou manque tout simplement de volonté politique. Pour limiter les dégâts, Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS, propose une formule de coopération allégée à l'intention de la gauche. «Je pense que la meilleure solution serait d'établir des programmes communs pour «gouverner» ensemble les agglomérations, particulièrement les plus importantes une fois les résultats annoncés et la majorité attribuée à des partis de gauche ou des formations démocratiques», explique-t-il. En attendant, même à Casablanca, le tableau n'est pas aussi rose qu'il ne paraît à première vue : tous les partis de gauche ne sont pas représentés au sein de l'alliance car le Parti travailliste et le Front des forces démocratiques sont absents. Interrogé, Thami Khyari, secrétaire national du FFD se montre d'ailleurs sceptique quant à la réussite de l'expérience. Par ailleurs, les six partis réunis à Casablanca doivent encore passer par des épreuves difficiles, comme la distribution des listes électorales : quelle place faudra-t-il y accorder à chaque parti, sachant que ces derniers n'ont pas le même poids dans la ville ? «Les listes communes sont réalisables, mais à condition que les autres ne se montrent pas trop gourmands, explique ce cadre de l'USFP. Si on veut placer tel et tel ténor sur les listes, il ne faudra pas oublier que tel et tel autre devra être sacrifié pour leur laisser la place». Malgré cela, Ahmed Zaki se dit optimiste : «Casablanca comprend 16 arrondissements, ce qui signifie qu'il y aura 16 têtes de listes, auxquels s'ajoutent 16 listes réservées aux femmes, soit un total de 32. Nous avons donc suffisamment de quoi permettre une répartition équitable entre les différents partis», indique-t-il, soulignant que la composition actuelle du conseil de la ville donne déjà une idée du poids de chacun. Une fois dépassée cette difficulté, et même si la gauche casablancaise parvient à obtenir les 60 sièges visés, ses effectifs risquent de s'avérer insuffisants pour constituer une majorité. Il lui faudra donc nécessairement des alliés en plus. Le hic ? Du fait de la définition actuelle de la notion de «parti démocratique» par des formations comme le PSU, il sera difficile de mettre en place des partenariats avec des formations en dehors de la gauche ou de la Koutla. Seulement voilà, placé de facto en tête des (rares) alliés possibles, l'Istiqlal n'est pas en très bons termes avec la locomotive de l'alliance, l'USFP. Istiqlal – USFP : scène de ménage ou prémices de divorce ? Entre les récentes protestations de l'USFP contre les ponctions de l'Etat sur les salaires des grévistes, qui entrent dans le cadre du soutien critique au gouvernement selon les uns, considérées comme de simples calculs électoraux par les autres, entre la réaction de Abbas El Fassi, secrétaire général de l'Istiqlal et chef du gouvernement, et la réplique cassante du bureau politique de l'USFP du 6 mars, c'est la guerre des mots entre les deux partis. Certains semblent déceler dans cette scène de ménage les prémices d'un divorce et soulignent que l'USFP pourrait être «lâché» par l'Istiqlal s'il obtient un mauvais score aux prochaines élections. Une option qui pourrait faire le bonheur du PJD qui, bien qu'ayant obtenu le plus grand nombre de voix à l'échelle nationale aux élections législatives de septembre 2007, est toujours aussi isolé. Le parti de Abdelilah Benkirane semble, en effet, se raccrocher aux déclarations à la presse de Driss Lachgar, membre du bureau politique du parti, en faveur d'une coopération, même si aucun élément concret n'est venu confirmer que son parti était bien disposé à le faire. Toutefois, il est difficile de croire que la Koutla puisse disparaître de sitôt : même s'il est tenté de se séparer de l'USFP, l'Istiqlal aurait-il vraiment intérêt à troquer sa position de locomotive de la Koutla contre celle de simple allié du PAM ? De même, l'USFP serait-elle vraiment disposée à sacrifier ses alliances avec les puissants partis du centre au profit d'une coopération avec les formations à sa gauche ? Au fond, le seul problème pour l'Istiqlal et l'USFP est que cette énième chamaillerie ne les empêche de s'organiser à temps pour récupérer les mairies perdues en 2003… Dans cette affaire, l'on ne peut s'empêcher de remarquer une chose : à l'occasion des élections de 2009, les partis ont eu connaissance des textes de loi les régissant plus tôt que de coutume, ce qui aurait dû leur donner le temps de préparer leurs alliances. De même, l'élévation du seuil d'entrée aux conseils communaux aurait dû les obliger à regrouper leurs forces pour garder leur place dans les conseils communaux des grandes villes. Malgré cela, ils vont, en toute probabilité, traiter leurs alliances au cas par cas, au lendemain de la publication des résultats, réduisant de facto le droit de regard des électeurs dans ce domaine.