La rencontre des 10 et 11 février devait servir à préparer le 5e round de Manhasset. Délégation marocaine restreinte formée du ministre des affaires étrangères, du numéro 1 de la DGED et du secrétaire général du Corcas. En plus du plan d'autonomie, le Maroc présente un autre gage de bonne foi : la régionalisation. Le Polisario, à court d'arguments concrets, se rabat sur les droits de l'homme. Située dans la banlieue nord de New York, Armonk, ville du comté de Westchester, est plutôt connue pour être le berceau historique du géant américain de l'informatique, IBM. Mercredi 10 et jeudi 11 février, cette ville a toutefois abrité une rencontre au contenu hautement politique. C'est en effet là que le Maroc, le Polisario, l'Algérie et la Mauritanie se sont retrouvés pour préparer le cinquième round du processus de Manhasset. Conformément à la résolution 1871 du Conseil de sécurité de l'ONU, la rencontre, informelle, s'est faite en comité réduit. Le ministre des affaires étrangères Taïeb Fassi Fihri, le patron de la DGED, Yassine Mansouri, et le secrétaire général du Corcas, Maouelainin Ben Khalihanna (un nouveau désaveu pour Khalihenna Ould Rachid, le président du Corcas ?), ont ainsi représenté le Maroc. Côté Polisario, on trouve Mahfoud Ali Beiba, président du Parlement, Ahmed Boukhari, représentant à l'ONU et M'hammed Kheddad, coordinateur avec la Minurso. Enfin, Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des affaires maghrébines et africaines, devait faire partie des représentants de l'Algérie, invitée à la rencontre en tant qu'observatrice à l'instar de la Mauritanie. Six mois après la rencontre de Dürnstein (Autriche), la seule organisée depuis le départ de l'ex-émissaire du SG de l'ONU, Peter Van Walsum, le retour des discussions sur le territoire américain permettra-t-il d'accélérer le processus ? A l'heure où nous mettions sous presse, mercredi 10 en fin de journée, rien ne filtrait encore. Mais à la lumière de ce qui s'est passé ces derniers temps, le doute concernant une avancée est permis. Le Polisario invoque les droits de l'homme à tour de bras Il faut dire que depuis août dernier, l'état d'esprit de la partie adverse, qui n'a pas encore trouvé d'alternative crédible au plan d'autonomie présenté par le Maroc, il y a près de trois ans, est devenu de plus en plus belliqueux. Après avoir enfourché son cheval de bataille, l'affaire Haïdar, en novembre, le Polisario est revenu à la charge le 28 janvier avec la polémique sur les accords de pêche Maroc-Union Européenne, sous prétexte qu'il n'existe pas de preuve qu'ils bénéficient à la population du Sahara. Argument éculé, les accords en question étant en application depuis longtemps. Quelques jours plus tard, les représentants du Polisario lançaient en Espagne une série de sorties médiatiques, notamment par l'entremise de Brahim Ghali, ambassadeur du Polisario à Alger, qui, faut-il le rappeler, avait été contraint de quitter le territoire espagnol car menacé de poursuites judiciaires pour «génocide et tortures» contre des populations saharouies. On retiendra le ton particulièrement virulent de ces sorties durant lesquelles Brahim Ghali s'en est pris, violemment, à l'Etat marocain. Concomitamment, le journal El País entrait en scène à son tour. Dans un article largement repris par la presse algérienne, le quotidien espagnol attribue à l'émissaire du Secrétaire général de l'ONU, Christopher Ross, des déclarations selon lesquelles il aurait défendu, lors d'une réunion à huis clos du Conseil de sécurité, l'une des principales revendications du camp séparatiste, à savoir que les pouvoirs de la Minurso devraient inclure des compétences dans le domaine des droits de l'homme. Il aurait ainsi affirmé que «la question des droits de l'homme occupera une place particulière dans la rénovation du mandat de la Minurso en avril». Aucune confirmation n'est venue étayer ces propos. Face à ces assauts, l'argument-clé du Maroc réside dans le lancement, le mois dernier, du chantier de la régionalisation, une manière de renforcer le plan marocain d'autonomie pour les provinces du sud tout en fournissant un gage solide de démocratisation du pays. Il ne reste cependant pas silencieux face aux accusations du camp séparatiste. Fin janvier, dans une lettre adressée au Secrétaire général de l'ONU, Taïeb Fassi Fihri a ainsi critiqué «le harcèlement du Secrétariat de l'ONU par des lettres mensongères» du camp séparatiste, et insisté sur la nécessité de s'attarder plutôt sur la situation des Sahraouis parqués à Tindouf, s'interrogeant sur le référentiel juridique auquel ces derniers sont soumis. «Quelles lois s'appliquent dans cette partie du territoire algérien vis-à-vis de ces populations civiles ? Celles, naturelles, de l'Etat algérien sur son territoire national ? Ou celles, inédites, "concédées" à un groupe armé, le Polisario ?», s'est-il interrogé. «En tant que pays d'accueil, l'Algérie assume une responsabilité politique et des obligations juridiques et humanitaires, dont la moindre est de permettre au HCR de s'acquitter de son mandat de protection de ces populations vulnérables, à commencer par le droit à l'interview individuelle et à l'enregistrement, devant mener au retour librement consenti». A moins d'un miracle, il ne devrait donc pas sortir grand- chose de cette réunion informelle des 10 et 11 février. Pas d'illusions toutefois, toute cette tension mise à part, la rencontre ne constitue qu'un simple échauffement avant la bataille qui se tiendra à l'occasion du renouvellement du mandat de la Minurso, qui s'achève le 30 avril prochain. Il reste à espérer toutefois que d'ici là, les parties parviendront à se dégager de l'immobilisme qui caractérise les négociations depuis les quatre rencontres de Manhasset. Un blocage qui remonte à Manhasset Restées figées au lendemain de l'échec des plans Baker I et II, les discussions sur le Sahara avaient repris à la suite de la présentation du plan marocain d'autonomie pour les provinces du sud, en avril 2007. Peu après, le Conseil de sécurité de l'ONU adoptait la résolution 1754, base du processus de Manhasset. Toutefois, un an seulement après le lancement du processus, Peter Van Walsum avait sévèrement critiqué l'absence d'avancées concrètes sur le dossier avant de tirer sa révérence. Estimant qu'un «Sahara occidental indépendant n'était pas une proposition réaliste», le diplomate hollandais avait reproché aux responsables du Polisario de préférer se complaire dans le statu quo plutôt qu'accepter une solution autre que l'indépendance, alors que contrairement à la population des camps, ils n'en subissaient pas les conséquences dans leur vie quotidienne. Pour lui, le blocage était d'autant plus difficile à résoudre que la communauté internationale se refusait de trancher sur la question, de peur de mécontenter les parties en présence. A la suite de cette clarification, le Conseil de sécurité avait adopté une résolution 1871 qui se voulait porteuse d'une dynamique nouvelle, soulignant que la «consolidation du statu quo n'est pas une issue acceptable au processus de négociation», le texte soulignait la nécessité «que les parties fassent preuve de réalisme et d'un esprit de compromis pour maintenir l'élan imprimé au processus de négociations», écartant de facto l'option d'une séparation totale du Sahara du reste du Maroc. Le temps de trouver un successeur à M. Van Walsum, la rencontre suivante n'aura lieu qu'en août 2009. Une deuxième rencontre, prévue à la fin de l'année, avait connu un blocage, qui coïncidera avec les affaires Tamek (octobre) et Haïdar (novembre), très médiatisées par le camp séparatiste. Manhasset V apportera-t-il du nouveau ? Deux ans après le coup de gueule de Peter Van Walsum, les blocages révélés par ce dernier sont toujours là. Certes, jusque-là, le Maroc a pu, tant bien que mal, tirer son épingle du jeu. Depuis la présentation du plan d'autonomie, les résolutions du Conseil de sécurité ont révélé une progression régulière en faveur de notre pays (voir encadré). Par ailleurs, ses principaux alliés se sont distingués par des positions constantes, à l'image de la France qui dirige les travaux du Conseil de sécurité de l'ONU ce mois de février ou l'Espagne qui préside l'Union Européenne jusqu'en juin. Idem pour les Etats-Unis qui, par la voix de leur Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Hillary Clinton, et leur ambassadeur au Maroc, Samuel Kaplan, ont conservé des positions exprimées dès 2008, à savoir que la proposition marocaine peut servir de base de négociations ou encore que les Etats-Unis souhaitent s'investir dans les pourparlers. Toutefois, il faudra compter avec une force de frappe médiatique qui parfois trouble cette sérénité. On l'a vu avec l'affaire Haïdar… Droits de l'homme et régionalisation, les enjeux à venir Une chose est sûre, pour remporter la bataille, notre pays devra mener son offensive sur deux fronts. En toute probabilité, le camp séparatiste devrait continuer à militer pour l'intégration des droits de l'homme dans le mandat de la Minurso. Reste que, malgré la politique d'ouverture lancée par le pays, l'application de cette idée risque de s'avérer problématique pour le Maroc. Certes, selon les propos attribués à Christopher Ross par El Pais, le diplomate américain aurait précisé que les camps du Polisario seraient également concernés par une surveillance des droits de l'homme. «D'un point de vue historique, on pourrait penser que l'on sous-entend que l'objectif [à surveiller] est le Maroc, aurait-il indiqué, mais la réalité est qu'aujourd'hui nous avons des cas liés aux droits de l'homme des deux côtés, y compris dans les camps de Tindouf». Reste que si une telle mesure est appliquée, le Maroc serait défavorisé d'office, dans la mesure où, par définition, un Etat est tenu de se soumettre à des règles beaucoup plus strictes qu'un mouvement armé. La bataille serait ainsi inégale entre le Maroc, où le camp séparatiste est doté de ramifications dans les provinces du sud et bénéficie d'un a priori positif chez de nombreuses organisations non gouvernementales, et le Polisario chez qui il est très difficile, y compris pour ces mêmes ONG, de savoir ce qui se passe au niveau des camps. Face à cette argumentation, le Maroc devra invariablement compter sur le grand chantier de la régionalisation dans la mesure où ce dernier devra agir comme un gage de bonne foi et de démocratisation vis-à-vis de la scène internationale. Au-delà du territoire national, cette option pourrait aussi contribuer à faire bouger les choses en s'attaquant à la véritable origine du blocage. Ayant pu échapper aux pressions internationales grâce à son parapluie pétrolier, l'Algérie risque de trouver le statut quo nettement moins confortable le jour où sa minorité kabyle réclamera de bénéficier des mêmes avantages que les provinces du sud.