Mercredi 30 avril, les membres du Conseil de sécurité devaient voter une résolution pour prolonger le mandat de la Minurso. Il y a un an déjà, Peter Van Walsum avait abouti à la conclusion du non-réalisme d'un Sahara indépendant. La crispation autour du dossier s'intensifie. Mercredi 30 avril, à quelques heures de l'expiration du mandat de la Minurso, le Conseil de sécurité de l'ONU prévoyait d'organiser sa 5 883e rencontre. Destinée au vote de la résolution sur le séjour de la mission de paix au Sahara, cette dernière est potentiellement annonciatrice d'une nouvelle tendance dans les négociations. En cours de rédaction depuis une semaine, la résolution allait-elle faire l'objet d'une bataille au Conseil de sécurité ? A l'heure où nous mettions sous presse, mercredi 30 avril, à quelques heures du vote du Conseil de sécurité, la chose n'était pas exclue au vu des remous suscités la semaine dernière par les déclarations de l'envoyé du secrétaire général de l'ONU pour le Sahara, Peter Van Walsum. Toujours est-il que la publication de ladite résolution, attendue dans la soirée du mardi 29 avril, aura pris 24 heures de plus pour être votée, signe d'une crispation au sein du Conseil de sécurité présidé par une Afrique du Sud départie de sa neutralité face à des pays comme la France et les Etats-Unis, membres permanents, favorables au plan marocain d'autonomie. Selon les premières fuites, les discussions auraient achoppé sur la notion de réalisme – impliquant l'abandon de l'option indépendance – et sur les droits de l'homme. La franchise de Van Walsum a marqué un tournant dans le dossier. Transmis au Conseil de sécurité le 21 avril dernier sous la forme d'un document non officiel de quatre pages et d'un rapport oral, ses propos avaient en effet vite été présentés par les médias marocains comme l'arrêt de mort des velléités séparatistes, taxées d'irréalisme. En face, la simple idée d'abandonner une indépendance totale des provinces marocaines du sud avait déclenché l'ire du Polisario et de ses alliés, l'Algérie et l'Afrique du Sud. Et, tandis que le Polisario ressortait pour la énième fois la menace d'un retour aux armes, l'ambassadeur sud-africain auprès des Nations Unies, Dumisani Kumalo, a fait état de contradictions entre les rapports du secrétaire général de l'ONU du 14 avril et celui de son représentant à la sortie de la réunion du Conseil de sécurité où le diplomate hollandais venait de présenter ses conclusions. Allant crescendo, le camp séparatiste est allé jusqu'à reprocher à M. Van Walsum d'avoir violé la neutralité imposée par sa mission, certaines voix menaçant même d'appeler à son départ, quand elles ne l'accusent pas d'avoir déclenché la polémique pour démissionner. Un lynchage en règle, qui n'a pas tardé à susciter une réaction de l'ONU : «Il n'y a aucune contradiction entre les rapports de M. Ban Ki-moon et de son envoyé personnel pour le Sahara, M.Peter Van Walsum », avait déclaré le 23 avril dernier à New York Michèle Montas, porte-parole du secrétaire général de l'ONU. «Le Secrétaire général de l'ONU ne voulait simplement pas interférer et donner une opinion sur les négociations en cours. Il a laissé cette tâche au facilitateur, son envoyé personnel pour le Sahara, M. Van Walsum », avait-t-elle expliqué, soulignant que ce dernier «dispose d'une marge de manœuvre, en tant que facilitateur, pour pouvoir diriger les négociations» et que «cela fait partie de son mandat». Des négociations sans préalable ? Personne n'a une idée de leur forme Mises bout à bout, les phrases échappées de cette rencontre à huis clos révèlent que le diplomate onusien n'a pas mâché ses mots à propos de Manhasset, à commencer par le constat d'échec des négociations. Les responsables du problème, selon lui ? La communauté internationale qui s'est contentée du statu quo, grâce à des résolutions aux formules vagues, légèrement favorables au Maroc mais qui permettent aux deux camps de se livrer aux «explications de texte» qui les arrangent, rapporte le quotidien français Le Monde. Une option qui aurait épargné à la communauté internationale de choisir entre le Maroc et l'Algérie, principal soutien du Polisario. Le diplomate s'est également attaqué aux séparatistes qui, confortablement installés sous d'autres cieux, traitent à la légère la souffrance des populations restées dans les camps. «La principale raison pour laquelle je trouve le statu quo intolérable, c'est qu'il est trop facilement accepté […] par des partisans du Front Polisario profondément impliqués qui ne vivent pas eux-mêmes dans les camps mais qui sont convaincus que ceux qui y vivent préfèrent y rester indéfiniment plutôt que de se résoudre à toute solution négociée qui ne soit pas une pleine indépendance», avait-t-il déclaré, évoquant également la nécessité d'affronter le dilemme moral posé par certaines «positions de principe» au vu de la souffrance de toute une population. Une remarque qui ne manquera pas de faire sursauter nos voisins de l'est. Toutefois, au-delà du verdict impitoyable du diplomate hollandais, ce sont surtout les propositions qu'il a avancées pour sortir de l'impasse qui ont fait grincer des dents autour de lui. Insistant sur le fait que, dès 2006, il avait conclu qu'en l'absence de «pression sur le Maroc pour qu'il abandonne sa revendication de souveraineté», un «Sahara occidental indépendant n'était pas une proposition réaliste», il a déploré que cette conclusion ait été évacuée des pourparlers de Manhasset, «alors que ce même constat se trouve à l'origine du processus de négociations en cours». Désormais, il propose de revenir à la charge en s'attaquant à la principale source de blocage des négociations : la contradiction inévitable entre la demande du Polisario d'organiser un référendum incluant l'indépendance pour option et celle du Maroc de considérer l'autodétermination, dans le cadre de la souveraineté nationale. Pour y parvenir, M. Van Walsum a recommandé de pousser les parties à négocier sans pré conditions, avec l'hypothèse – temporaire – qu'il n'y aurait pas de référendum avec l'indépendance pour option et que, par conséquent, le résultat des négociations serait obligatoirement inférieur à l'indépendance. Vue de plus près, la concession concerne en premier lieu le camp séparatiste, appelé à revoir ses prétentions à la baisse : après tout, le Maroc a déjà fait un premier pas en acceptant la mise en place d'une autonomie dans les provinces du Sahara, impliquant un certain degré d'autogestion pour les populations concernées. Dès octobre 2007, Ban Ki-moon est pessimiste Pour faire bonne mesure, M. Van Walsum a suggéré de mettre la pression sur notre pays en lui rappelant que «les Nations unies ne reconnaissent la souveraineté marocaine sur aucune partie du Sahara occidental». Radicales, les déclarations du diplomate onusien justifiaient-elles la colère du camp séparatiste ? Au-delà de la manière de présenter les choses, plus crue que de coutume, le blocage désigné par le représentant de Ban Ki-moon n'a rien de nouveau… ni le remède proposé. Quant à l'éventuelle contradiction avec le rapport du secrétaire général de l'ONU, elle reste difficile à concevoir au vu des conclusions présentées par ce dernier dans ses rapports des deux dernières années. Petit retour en arrière. 13 avril 2007. Dans un rapport publié deux mois avant Manhasset I, Ban Ki-moon note que, le Conseil de sécurité se refusant à imposer une solution au problème du Sahara, «il n'existe que deux possibilités : une prolongation indéfinie de l'impasse ou des négociations sans conditions préalables entre les parties, qui auraient pour objectif de parvenir à une solution politique mutuellement acceptable qui permettrait d'assurer l'autodétermination du peuple du Sahara occidental». Sur la base de ces explications, le Secrétaire général de l'ONU recommande au Conseil de demander au Maroc et au Polisario d'engager des négociations sans conditions préalables, ce qui sera fait quelques semaines plus tard dans la résolution 1754 du 30 avril 2007. 19 et 20 juin. Manhasset I permet de lancer les contacts entre les délégations du Maroc, du Polisario, de l'Algérie et de la Mauritanie. Les discussions n'avancent pas beaucoup. Craignant qu'elles ne restent à la traîne, le Secrétaire général cherche à susciter un débat plus courageux en recommandant, dans son rapport du 29 juin 2007, «au Conseil de sécurité d'appeler tous les Etats membres à soutenir le processus en invitant les deux parties à faire tous les efforts pour garder le rythme et leur faire comprendre qu'une résolution finale du conflit impliquera flexibilité et sacrifice des deux côtés». Dans ce contexte, le Secrétaire général suggère au Polisario de «tester la disponibilité du Maroc à participer à des négociations constructives et sérieuses en faisant des propositions concrètes pour définir, clarifier ou amender la proposition marocaine, sans considérer le statut final à cette étape des négociations». Ban Ki-moon formule également des recommandations en direction du Maroc, en lui suggérant d'éviter «d'insister que le fait qu'accepter l'autonomie à la place de l'intégration est équivalent – en terme de sacrifice – à la possible acceptation par le Front Polisario de l'autonomie à la place de l'indépendance». Si les négociations parviennent ainsi à un résultat positif, indique Ban Ki-moon, le Maroc et le Front Polisario devront reconnaître que la question de la souveraineté est, et a toujours été, le nœud de la dispute et que c'est là qu'une solution devra être trouvée. Jugé trop radical, le rapport sera retiré au bout de quelques heures, «à la demande des parties» et de crainte de mettre en danger les négociations. Il sera republié sans le passage en question. 10- 11août 2007. Confirmant les craintes du secrétaire général de l'ONU et de son envoyé, Manhasset II est une nouvelle déception pour Ban Ki-moon. Ce dernier, dans son rapport du 19 octobre 2007, va jusqu'à refuser de parler de négociations. Tout en recommandant, encore une fois, au Conseil de sécurité de demander au Maroc et au Polisario d'engager de réelles négociations, Ban Ki-moon prévient : le blocage n'est pas dû à «un manque de bonne foi de leur part mais tient essentiellement aux problèmes prévisibles que soulevait l'interprétation de la demande que leur adressait le Conseil d'engager des négociations sans conditions préalables». Le secrétaire général souligne en effet la distinction subtile à établir entre les «conditions préalables» et les «positions fondamentales» des deux parties, un blocage qui n'est pas survenu dès Manhasset I mais qui a empêché les discussions d'aller au-delà du plan formel. Face à cette situation, le Secrétaire général de l'ONU insiste sur la nécessité pour le Conseil de sécurité de donner de nouvelles orientations au Maroc et au Polisario. Il reprend aussi, en termes moins marqués que son représentant le 21 avril dernier, les recommandations éliminées de son rapport du 29 juin, suggérant au Polisario de «discuter de la proposition marocaine, sur la base de sa volonté affichée d'accepter que l'autonomie soit considérée comme une option tant que l'indépendance le sera aussi». Il souligne que «cette dernière adjonction ne peut évidemment être une condition préalable sur laquelle les parties doivent s'entendre avant d'ouvrir une discussion de ce genre, mais on peut présumer que le Maroc n'a aucunement intérêt à refuser le débat simplement parce qu'il est au courant de la position ultime du Front Polisario», indique-t-il, tout en rappelant que la proposition marocaine est la plus détaillée des deux en présence. Sortie de crise : les pistes potentielles Depuis, le dossier est au point mort, même si, au lendemain de son XIIe congrès, organisé à Tifariti du 14 au 20 décembre dernier, le Front Polisario a fait semblant de tenir aux négociations en annonçant que le Maroc devrait assumer l'entière responsabilité en cas d'échec. Dans son tout récent rapport du 14 avril, le secrétaire général de l'ONU a enfin prévenu que les discussions ne pourront sortir de l'impasse que si les deux parties font preuve de réalisme et d'un esprit de compromis, et de répéter, une fois de plus, que le renforcement du statu quo ne saurait constituer l'issue des négociations en cours… Face à un verdict aussi clair, les parties au conflit du Sahara auront-elles le courage de sortir du statu quo ? A l'heure où nous mettions sous presse, plusieurs solutions étaient évoquées par le Security council report, une organisation indépendante fondée pour informer sur les activités du Conseil de sécurité. Premier choix, crucial, le Conseil devra déterminer s'il conserve son approche traditionnelle du sujet qui consiste à ne pas imposer de solution aux parties, ou s'il rompra avec cette démarche en les poussant à entrer dans le vif du sujet. Pour les y obliger, le Security council report évoque plusieurs pistes, allant du maintien du statu quo – renouveler le mandat de la Minurso en appelant les parties à s'engager davantage au niveau des mesures de confiance – à d'autres, plus radicales mais pas forcément applicables, comme celle de présenter la proposition du Maroc et des séparatistes sous la forme d'un référendum, ou encore conditionner une prolongation du mandat de la Minurso à un progrès au niveau des négociations. Autre option envisagée : choisir la proposition marocaine ou celle des séparatistes et l'imposer comme base de négociations. Plus appréciée que le plan séparatiste, la proposition marocaine aurait ainsi l'avantage. Seulement voilà, cette option sera sûrement bloquée par la Russie opposée à ce principe. Au-delà de ces solutions difficilement applicables, d'autres semblent plus réalistes, comme celle d'intégrer une dimension «droits de l'homme» dans le mandat de la Minurso, ou encore de clarifier le langage des résolutions précédentes, en particulier en précisant qui sont les parties en présence – dans la mesure où le Polisario n'est pas le seul représentant des Sahraouis. Face à cette situation, les parties en présence – Maroc, Algérie et Polisario -, mais aussi la communauté internationale sauront-ils sortir le dossier du Sahara de l'impasse ? Le temps presse, car si la proposition marocaine gagne en consistance au fur et à mesure que notre pays se dirige vers la régionalisation et, de là, vers l'application de l'autonomie locale, les séparatistes poursuivent leur travail de sape auprès des Marocains du Sud. «On oublie qu'entre temps, il y a quelque chose qui s'enracine tous les jours, c'est la pensée séparatiste à l'intérieur du Maroc», prévient Mustapha Naïmi, enseignant chercheur à l'Institut universitaire de la recherche scientifique de Rabat et membre du CORCAS, qui souligne le danger à voir ces revendications s'installer dans la durée et survivre à un règlement de la question en faveur du Maroc.