Sur le plan médiatique, le Maroc malmené, mais les lignes de la diplomatie officielle restent inchangées. Derrière l'affaire Haïdar, une volonté du Polisario de détourner l'attention de son refus de retourner à la table des négociations. Le Maroc se prépare à entamer la régionalisation de manière unilatérale. «Si Aminatou Haïdar vient à mourir, le Polisario et les sahraouis seront à court d'arguments pour se maintenir dans une voie pacifique». Lundi 7 décembre, à l'occasion d'une émission de la Radio nationale d'Espagne (RNE), Abdelkader Taleb Omar, secrétaire général du Polisario et Premier ministre de l'autoproclamée république arabe sahraouie démocratique (RASD), a profité de l'affaire Haïdar pour lancer une énième menace de retour à la guerre. Fait nouveau, il ne s'est pas privé cette fois d'adresser un avertissement à l'Espagne, en affirmant que cette affaire laisse «une trace noire» dans les relations du pays avec les séparatistes. Lancée le 15 novembre dernier à l'aéroport de Lanzarote (Canaries), la grève de la faim, initiée par la séparatiste Aminatou Haïdar à la suite de son refoulement vers l'Espagne, n'en finit pas de monopoliser l'attention des médias chez notre voisin du nord. Hommes politiques, stars et associations étrangères se sont succédé à ses côtés ou lui ont exprimé leur soutien. Quant aux articles de presse dédiés à cette affaire, ils se comptent désormais par milliers. Fait révélateur d'un scénario désormais bien connu du Maroc : ces derniers reproduisent de manière quasi uniforme la version des faits telle que présentée par le camp séparatiste. En revanche, très peu de journaux espagnols ont pris en compte les évènements tels que rapportés par la partie marocaine, ne serait-ce que pour critiquer cette dernière version. Techniquement, le Maroc est dans son droit. Aminatou Haïdar a refusé d'indiquer sa nationalité sur la fiche de police, a renié sa nationalité devant le procureur du Roi et des témoins et a remis son passeport aux autorités marocaines. En vertu des conventions internationales, elle doit donc retourner à l'aéroport de son embarquement, soit l'île espagnole de Lanzarote. Le Maroc perdant sur le plan de la communication… Faut-il croire que, dans cette affaire, notre pays a sous-estimé la force de frappe médiatique du camp séparatiste ? Certains le pensent. «Le Maroc a une bataille difficile à mener contre la propagande. Nous devons l'affronter, tout en évitant de commettre des erreurs qui renforceraient l'adversaire. La décision qui a été prise concernant Aminatou Haïdar aurait dû faire l'objet d'une étude plus approfondie», regrette Larbi Messari, ex-ministre de la communication et fin observateur des relations maroco-espagnoles. Un sentiment que confirme Mustapha Naïmi, professeur universitaire et membre du Corcas. «Cette affaire, dit-il, va avoir des implications très lourdes. Alors que le travail réalisé pendant des années par le Maroc sur le plan des droits de l'homme avait permis d'amener l'opinion internationale et les ONG, en particulier espagnoles, à revoir leur position concernant la crédibilité et la légitimité de la position marocaine sur l'affaire du Sahara, tout ce que le Maroc a construit a été balayé par cette histoire. Pour reconduire ce processus, il va falloir fournir bien des efforts, et c'est en cela que l'action algéro-polisarienne est très dangereuse». Selon lui, cette mauvaise gestion risquerait même, si les choses continuaient de se dégrader ainsi, de faire perdre au Maroc le soutien de l'Espagne officielle tout comme celui de l'Afrique du Sud par le passé. A voir… … mais gagnant sur le plan diplomatique Malgré cela, le Maroc est loin d'avoir perdu sur toute la ligne, car si son image a été quelque peu ternie par la propagande médiatique, elle reste intacte au niveau de la diplomatie officielle. Si les opinions publiques, notamment en Espagne, se sont solidarisées avec la séparatiste, la position des gouvernements, elle, n'avait connu aucun changement à l'heure où nous mettions sous presse, mercredi 9 décembre. Ainsi, la France a marqué un franc soutien au Maroc à l'occasion de la huitième session du Conseil d'association Maroc-Union européenne qui s'est tenue le 7 décembre. L'UE, elle, s'est refusée à intervenir dans ce problème, le considérant comme une affaire purement bilatérale. Par la voix de sa commissaire aux relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, l'UE s'est contentée d'exprimer sa confiance en la capacité du Maroc et de l'Espagne à trouver une solution «politique ou humanitaire de compromis». Enfin, les Etats-Unis, qui ont confirmé début novembre qu'ils maintiendraient leur position quant au conflit du Sahara, se sont tout au plus contentés d'exprimer, il y a quelques jours, leur inquiétude pour la santé de Haïdar et d'appeler à la clarification de son statut juridique, sans émettre de commentaires sur les démarches qui ont mené à la situation actuelle. Enfin, même en Espagne, qui s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne en janvier prochain, le discours officiel n'a pas changé. En réponse aux propos de Mohamed Cheikh Biadillah, secrétaire général du PAM, qui s'était rendu sur place pour communiquer sur cette affaire, José Luis Zapatero, le Premier ministre, a souligné les «zones d'intérêts communs» aux deux pays, et la nécessité que «l'intérêt général» puisse prévaloir malgré les difficultés. L'Espagne sur le gril Voilà pourtant près d'un mois que le gouvernement de Zapatero, dont les relations avec le Maroc ont connu une longue période de réchauffement, est sévèrement malmené par les médias espagnols, bien que le ministre des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, n'ait pas ménagé ses efforts pour trouver une issue amiable à la crise. En effet, après avoir proposé à Haïdar de lui accorder le statut de réfugiée, la nationalité espagnole et même un logement pour elle et sa famille, le ministre est allé jusqu'à tenter de la faire ramener en avion au Maroc, vendredi et samedi 4 et 5 décembre, avant d'essuyer un refus de la part des autorités marocaines. En désespoir de cause, M. Moratinos est allé jusqu'à réunir les groupes parlementaires de son pays pour tenter de la convaincre de continuer sa démarche de protestation par d'autres moyens que la grève de la faim, et cela avant tout dans le but d'éviter un décès qui ne ferait qu'aggraver les choses. Enfin, son gouvernement a même fait appel au Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR) et à l'Algérie pour l'aider à trouver une sortie de crise… Le premier n'a pas tardé à lui répondre : mardi dernier, Navi Pillay, numéro 1 du HCR, appelait à ce qu'Aminatou Haïdar puisse retourner dans son pays -sans donner davantage de précisions- tout en soulignant que c'est «à elle-même (Haïdar) de prendre la décision, qui est une décision individuelle». Une position qui ne contredit pas celle du Maroc, où, de source officielle, l'on souligne que c'est avant tout à la concernée de clarifier son statut. «Aminatou Haïdar est-elle marocaine ? réfugiée ? apatride ? algérienne ? "polisarienne" ? C'est comme elle le souhaite, elle doit juste s'exprimer à ce sujet», indique cet officiel marocain qui met en avant les contradictions du dossier. «Pour le passeport, le salaire, les indemnités versées par l'IER, elle veut être marocaine; pour ce qui est de ses positions, elle est ''polisarienne'' ; enfin, pour ses voyages, elle a eu recours à la logistique algérienne et dispose d'une carte de séjour espagnole. Elle veut être tout cela en même temps, ce qui n'est pas logique». Enfin, il est à rappeler que si le secrétaire général de l'ONU s'est exprimé sur cette affaire, ce n'était pas pour prendre position contre la décision marocaine mais c'est avant tout par rapport à la situation de Haïdar et celle du sort du processus lancé à Manhasset. Un blocage qui en cache un autre Surmédiatisée, cette affaire a en effet occulté l'annulation, en raison d'un blocage de la part du Polisario, d'une deuxième rencontre informelle qui était prévue ce mois de décembre entre le Maroc et le Polisario. Les discussions étaient même suffisamment avancées pour que plusieurs dates soient retenues. L'Autriche avait d'ailleurs proposé d'accueillir l'événement, mais Christopher Ross, l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU au Sahara, a échoué dans sa tentative de convaincre la partie adverse. A l'instar de l'affaire Tamek et ses compagnons, la crise suscitée par Haïdar semble n'être vraisemblablement qu'un contre-feu déclenché par le camp séparatiste pour masquer son refus de retourner à la table des négociations. En prenant position sur cette question, le Polisario et son allié algérien sont désormais en train de mettre en danger la poursuite du processus de négociation en imposant des conditions préalables, là où le principe était justement qu'il n'y en ait pas. Lancé en 2007, le processus de négociation avait débouché sur 4 rounds de négociation à Manhasset (Etats-Unis) qui s'étaient enlisés dans des questions de forme. Nommé en janvier 2009, désireux d'organiser des rencontres informelles auxquelles les protagonistes assisteraient «de bonne foi et sans conditions préalables», comme le veut la résolution du Conseil de sécurité, Christopher Ross n'est parvenu à organiser jusqu'à présent qu'une rencontre en août. Entre-temps, le Maroc, armé de son projet d'autonomie pour le Sahara, a réussi à marquer des points, particulièrement au niveau des organisations intergouvernementales comme le Conseil de sécurité de l'ONU, son Assemblée générale, mais aussi le Sommet des non-alignés et même l'Union Africaine. Régionalisation interne Reste que tant que le blocage persistera dans le camp séparatiste, il sera difficile pour le Maroc d'avancer vers un début de solution à la problématique du Sahara. Faute d'un retour à la table des négociations, le Maroc sera-t-il amené à poursuivre le processus de régionalisation en solo ? Une chose est sûre, plusieurs avertissements ont été lancés en ce sens par le passé, au cas où les discussions de Manhasset viendraient à échouer. Et c'est sans doute dans cette logique qu'interviennent les changements annoncés dans le discours royal du 6 Novembre dernier. En effet, au delà du «serrage des vis» annoncé à l'encontre des séparatistes de l'intérieur, le Souverain a réaffirmé l'attachement du Maroc au «processus onusien de négociation autour de notre Initiative d'autonomie» tout en annonçant un plan intégré destiné à faire bénéficier les provinces sahariennes de la primauté dans le processus de régionalisation avancée escomptée, de façon à conforter leur capacité à gérer leurs propres affaires locales et veiller à ce que le gouvernement fasse de ces provinces un modèle de déconcentration et de bonne gouvernance locale (…) en leur conférant de larges compétences sous la supervision, légale et ferme, des walis et des gouverneurs. Le tout sans oublier la restructuration du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes (CORCAS) et en procédant à la révision du champ d'action de l'Agence de développement des provinces du sud. Cette dernière initiative devrait continuer de renforcer la position nationale, y compris dans la perspective d'un retour à la table des négociations. Reste que, quoi qu'il décide, notre pays devra impérativement prendre en compte la force de frappe de l'adversaire sur le plan médiatique, en particulier auprès de l'opinion publique internationale, sans quoi des alliés précieux comme l'Espagne risquent de se retrouver en difficulté. Dans cette affaire Haïdar, la partie marocaine a pris quelques initiatives louables bien que tardives, avec les visites de MM. Biadillah et Baraka en Espagne, la création d'une association des parlementaires sahraouis, ou l'annonce par le PAM de son intention d'envoyer, en réponse au discours royal du 6 Novembre, des délégations à Bruxelles, aux Etats-Unis et en Espagne pour défendre la cause marocaine et qui commence déjà à faire des émules chez les autres partis. Il faudra toutefois beaucoup plus pour contrer les réseaux en place depuis trente ans.