Les deux pays construisent une coopération multisectorielle sans précédent depuis le rétablissement de leurs relations diplomatiques, notamment sur les plans militaire, sécuritaire et économique. Mais beaucoup reste à faire. Le 2 mars dernier, à Kénitra, Netafim, entreprise israélienne spécialisée dans l'irrigation de précision, inaugurait sa première usine en Afrique du Nord. «C'est un jour historique», a commenté Gaby Miodownick, PDG de Netafim, et pour cause: il s'agit de la première usine israélienne à voir le jour au Royaume, depuis la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays en décembre 2020. L'ouverture de ce site de production de goutteurs, lignes de goutteurs, arroseurs et autres micro-émetteurs, dans un domaine de la gestion des ressources hydriques aussi crucial que stratégique pour le Maroc, est une manifestation concrète, parmi d'autres, du renforcement sans précédent des liens économiques entre les deux pays, depuis ce fameux 22 décembre 2020, jour de la signature à Rabat de l'accord tripartite Maroc-USA-Israël. Et c'est sans conteste dans le secteur agricole que la coopération économique est la plus poussée entre les deux pays. Une collaboration qui, du reste, a toujours existé, de manière discrète, avant même la signature de l'accord tripartite. Il faut dire que les complémentarités sont évidentes, avec, d'un côté, Israël dont le leadership mondial dans les technologies agricoles n'est plus à démontrer et, de l'autre, le Maroc, qui a fait du développement et de la modernisation de son agriculture un pilier de sa croissance, à travers notamment les plans Maroc Vert et Generation Green. Ce n'est donc pas un hasard si c'est dans l'agriculture que l'on compte le plus de projets conjoints entre les communautés d'affaires des deux pays. Les joint-ventures et autres mémorandums d'entente signés ces deux dernières années couvrent de nombreux domaines, allant de la production d'avocats, à la recherche et développement, en passant par l'irrigation de précision, les drones agricoles, ou encore le cannabis industriel. Les échanges décollent A côté de l'agriculture, plusieurs autres secteurs économiques ont fait l'objet de signatures d'accords impliquant des acteurs privés et publics des deux pays : tourisme, exploration gazière, énergies renouvelables, santé, intelligence artificielle (IA), dessalement d'eau de mer, biotechnologie, industrie pharmaceutique, industrie automobile, aérien, etc., pour ne citer que les plus médiatisés. Une batterie d'accords qui traduit l'appétit réel des hommes d'affaires des deux pays pour faire du business ensemble. Un appétit qui se lit aussi sur les chiffres des échanges commerciaux entre les deux partenaires qui connaissent un essor sans précédent depuis deux ans. Selon les chiffres du ministère de l'Industrie, les exportations marocaines vers Israël sont passées de 67millions de dollars en 2019 à plus de 140millions de dollars en 2022, tandis que les importations sont passées de 4à 39 millions de dollars durant la même période. Parmi les produits marocains les plus exportés vers Israël, on retrouve les produits textiles et, bien sûr, les produits agroalimentaires. Côté importations, on retrouve essentiellement des produits électriques, ainsi que des produits chimiques et des pièces aéronautiques. Les échanges commerciaux entre les deux pays, bien qu'en forte progression, n'en sont en réalité qu'à leurs balbutiements. Les deux gouvernements en sont bien conscients et ont fait part de leur volonté de hisser ces échanges à des niveaux bien plus élevés. C'était précisément l'objet de la visite au Maroc, en février 2022, de la ministre israélienne de l'Economie, Orna Barbivai, venue conclure avec son homologue marocain de l'Industrie et du commerce, Ryad Mezzour, un accord commercial entre les deux pays qualifié «d'historique», visant à atteindre 500 millions de dollars d'échanges commerciaux par an. De nombreux «blocages» Si les ambitions sont là, beaucoup reste à faire pour les concrétiser. Le dernier rapport du think tank américain The Abraham Accords Peace Institute (AAPI) se fait d'ailleurs l'écho de «blocages et défis» à relever, pour que les liens économiques puissent atteindre leur plein potentiel. Le rapport souligne que «les hommes d'affaires des deux côtés ont rencontré des difficultés pour identifier les investissements optimaux et les partenaires commerciaux, et naviguer dans les systèmes juridiques et financiers complexes de leurs homologues». En fait, comme tout nouveau partenariat qui se veut solide, celui entre le Maroc et Israël devra se construire sur la durée et la confiance, au fur et à mesure des interactions entre les deux parties et d'une meilleure compréhension des environnements d'affaires respectifs. C'est la voie choisie par les deux patronats qui multiplient les initiatives de rapprochement, avec la signature d'un partenariat stratégique entre la CGEM et The Israeli Employers and Business Organizations (IEBO), en mars 2022. Depuis, forums d'affaires, rencontres B2B, et missions commerciales se multiplient, en Israël et au Maroc, et devraient se traduire par plus d'opportunités de business. L'AAPI s'attend d'ailleurs à une «croissance significative du commerce en 2023», à mesure que se bâtit la confiance entre les deux communautés d'affaires et, surtout, que les relations diplomatiques et sécuritaires s'approfondissent. un partenariat dense Les enjeux de sécurité et de défense, justement, sont au cœur du partenariat maroco-israélien, dans un contexte de montée des tensions et des périls dans la région. C'est même le domaine qui a enregistré, et de loin, le plus d'avancées depuis la signature de l'accord tripartite. Le partenariat a commencé de manière formelle en novembre 2021, avec la signature d'un accord de coopération sécuritaire à Rabat, le premier du genre entre Israël et un pays arabe, suite à la visite à Rabat du ministre israélien de la Défense à l'époque, Benny Gantz. L'accord vise à faciliter l'acquisition par le Maroc de technologies de la puissante industrie militaire d'Israël, à commencer par les drones et les systèmes de défense anti-aérienne. L'accord comprend également un volet sur la coopération dans l'industrie militaire et le transfert de technologie. Quelques mois après, en février 2022, Israël Aerospace Industries, premier groupe aéronautique public israélien (civil et militaire), et le Maroc signaient un accord historique de défense antimissile de 500 millions de dollars. De quoi permettre au Maroc de faire un véritable bond en avant en matière de puissance militaire, avec, en ligne de mire, la production de drones sur le sol marocain. Depuis, on assiste à un ballet quasi incessant de visites de hauts responsables sécuritaires et de hauts gradés à Rabat et Tel-Aviv. Dernière en date, en février 2023, celle du général de division Mohamed Benawali, inspecteur de l'artillerie des FAR, en Israël, tandis que le commandant de l'armée de l'air israélienne, le général Tomer Bar, se rendait à Rabat. Quelques mois auparavant, en septembre 2022, le chef d'état-major de l'armée israélienne, Aviv Kochavi, plus haut gradé de Tsahal, qui s'était rendu au Maroc en juillet, a accueilli, en grande pompe, l'inspecteur général des FAR, Belkhir El Farouk. C'était la première fois que le chef de l'armée d'un pays arabe effectuait une visite officielle en Israël. La coopération militaire déjà bien avancée sera par la suite élargie au renseignement et à la cyber-sécurité, suite à la première réunion du comité de suivi de la coopération de défense maroco-israélienne, en janvier 2023. Une autre visite importante, qui démontre le niveau de coopération sécuritaire, est celle du commissaire de police israélien, Kobi Shabtai, qui s'est rendu au Maroc en août 2022. Le chef de la police israélienne y a notamment rencontré de hauts responsables de la police et de la sécurité du Royaume, dont le patron de la DGSN-DGST, Abdellatif Hammouchi. Le partenariat stratégique maroco-israélien est, au final, une réalité bien concrète. Sa vigueur n'est pas une surprise, car les deux pays partagent bien plus que des intérêts communs. Comme le souligne l'AAPI, «contrairement à d'autres pays avec lesquels Israël a normalisé ses relations, les liens du Maroc avec Israël sont enracinés dans des siècles d'histoire». Reste désormais à passer au stade supérieur sur le plan diplomatique : la reconnaissance par Israël de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.