Comme tous les chiffres, celui du chômage est critiquable. des millions de personnes, bien que considérées comme en emploi ou inactives «au sens du BIT», sont insatisfaites de leur situation Le HCP vient à nouveau de publier, pour le troisième trimestre 2009, des statistiques du chômage dénuées de signification. Le taux de chômage officiel serait de 9,8%, c'est ce qu'indique l'estimation réalisée selon la méthodologie habituellement employée par la DS. Trimestre après trimestre, le débat public se focalise autour de la publication du chiffre officiel du chômage. Le gouvernement et les médias font comme si les variations de cet indicateur reflétaient le succès ou l'échec des politiques pour l'emploi. Depuis plusieurs années, l'opinion est pourtant de plus en plus sceptique face aux annonces répétées de la stagnation ou parfois la baisse du chômage. Elle n'a pas tort. On a toujours chipoté sur les chiffres du HCP. Pour les producteurs de ces chiffres -la DS-, ils sont objectifs, parce qu'ils résultent d'une enquête rigoureuse. Pour les autres, c'est l'inverse : le HCP sous-estime la réalité du chômage, il se garde bien de comptabiliser les personnes en âge d'activité et qui se dispensent de rechercher un emploi. Querelles sans fin qui imposent d'avoir recours à un juge de paix. Le HCP colle à la définition retenue par le Bureau international du travail : est chômeur toute personne qui est sans emploi, en recherche un et est disponible pour l'occuper. Le rôle central du chiffre officiel, selon les services du Haut Commissariat, serait justifié parce qu'il s'approche le mieux de cette définition internationale du chômage, le «chômage BIT». Cette définition, certes utile pour les comparaisons internationales, ne suffit pas à rendre compte de l'ampleur du chômage et du sous-emploi dans notre pays. Elle ne saurait masquer, non plus, le fait que des millions de personnes, bien que considérées comme en emploi ou inactives «au sens du BIT», sont insatisfaites de leur situation. Comme tous les chiffres, celui du chômage est critiquable. En particulier, ne sont pas considérés comme chômeurs ceux qui, en âge d'activité, ne recherchent pas d'emploi. Comme, par exemple, les personnes qui se dispensent de rechercher un emploi parce qu'elles sont découragées. Une autre critique apparaît plus fondée : un nombre important et croissant de personnes en activité exercent une «activité réduite». En outre, l'augmentation du nombre de contrats temporaires (contrat à durée déterminée) à faible durée a multiplié le nombre de personnes qui passent de l'emploi au chômage ou, inversement, d'une semaine sur l'autre. Bref, la mesure du chômage selon les normes du BIT ignore tous ceux, de plus en plus nombreux, qui sont dans une situation transitoire, et souvent réversible, entre chômage et emploi. Depuis quelques dizaines d'années, la transformation des formes d'emploi ont considérablement amplifié les zones d'incertitude ou de chevauchement par rapport aux définitions traditionnelles de l'emploi, du chômage et de l'inactivité. La priorité est d'améliorer la connaissance de ces catégories intermédiaires qui peuvent correspondre à des trajectoires d'accès à l'emploi stable, mais qui, dans la majorité des cas, engendrent la précarité. Au-delà des actuelles controverses, la recherche d'un «vrai chiffre du chômage» est vaine, car il existe une diversité de situations de chômage, de sous-emploi et de précarité, qu'il importerait donc d'éclairer par un petit nombre d'indicateurs pertinents. Dans cette optique, il serait souhaitable que le HCP publie des estimations, pour le cas marocain, du nombre de salariés au chômage ou en emploi inadéquat au sens du BIT. L'emploi inadéquat recouvre quatre types de situations socialement inacceptables et économiquement injustifiées pour lesquelles des évaluations chiffrées devraient être établies : les bas salaires, les contrats précaires, le déclassement professionnel, le travail dangereux pour la santé. Combien de milliers de personnes se trouvent aujourd'hui dans une situation d'emploi inadéquat au sens du BIT ? Si on y ajoute les chômeurs (toujours au sens du BIT), c'est bien plus de deux millions de personnes qui sont touchées par le chômage total ou l'emploi inadéquat. Toutefois, en baisse ou pas, les indicateurs classiques de chômage sont l'arbre qui cache la forêt de l'insécurité sociale. La focalisation médiatique et politique sur ces indicateurs tronqués, loin d'éclairer le débat social, rejette au contraire en arrière-plan le problème beaucoup plus vaste de la précarité. Il y a des années que les observateurs préconisent l'élaboration d'une batterie d'indicateurs pour décrire la diversité des situations sur le marché du travail, quantifier les diverses situations de privation d'emploi ou de sous-emploi. Mais ces recommandations n'ont pas eu de lendemain. Il faut désormais dépasser les débats récurrents sur «le chiffre» du chômage. En tout état de cause, le débat sur le chômage et la précarité ne peut plus continuer à se focaliser sur un seul indicateur, fût-il calculé correctement. La diversification croissante des formes d'insécurité sur le marché du travail oblige à compléter la mesure du chômage par d'autres indicateurs. L'important est d'établir une batterie d'indicateurs, fiables et cohérents entre eux, qui permettent de mesurer les degrés et les formes de sous-utilisation des capacités de travail effectivement ou potentiellement disponibles. Aujourd'hui, le système statistique public doit sortir de son inertie. Il doit construire enfin un système d'indicateurs qui prenne en compte, sans chercher à les minimiser, la diversité des formes de précarité. Outre, bien sûr, le chômage total, il faut connaître l'ampleur des situations d'emploi qui ne permettent pas aux travailleurs de gagner décemment leur vie, de prévoir le lendemain, d'utiliser pleinement leurs capacités, de préserver leur santé physique et mentale.