Ils représentent 1% de la population marocaine. On en compte 50 millions dans le monde. Des enfants épileptiques sont renvoyés de l'école et des adultes mal insérés dans le circuit professionnel en raison des préjugés. Beaucoup de malades recourent encore aux guérisseurs traditionnels : fkihs et marabouts. Dans 70% des cas, les médicaments permettent d'arrêter les crises et de vivre normalement. «Msetti» (fou), «maskoune» (habité par un esprit maléfique), «madroub» (ensorcelé), «fih leriah»…, le lexique pour désigner les épileptiques est très riche, toujours péjoratif, hélas, et renvoie à des clichés qui demeurent tenaces malgré le progrès de la médecine. Il n'y a pas moins de 14 appellations, «toutes de connotation négative», déplore la Ligue marocaine contre l'épilepsie (LMCE), association créée en 1987 par quelques médecins (neurologues, pédiatres et psychiatres), pour sensibiliser l'opinion publique sur la maladie, mais aussi, et surtout, pour contrer les préjugés qui l'entourent. Les personnes atteintes de cette maladie, se désole le Pr Reda Ouazzani, chef de service de neurophysiologie à l'hôpital des spécialités de Rabat, «souffrent plus des préjugés qui entourent l'épilepsie que de la maladie elle-même. Elle a une connotation sociale très péjorative, les patients sont parfois marginalisés, ils sont renvoyés de l'école, sont mal insérés dans le circuit professionnel». Il y a prévalence de l'épilepsie dans les pays en voie de développement Mais d'abord qu'est-ce que l'épilepsie ? Est-ce une maladie mentale ou organique ? Quels sont ses symptômes ? Quelle est sa prévalence au Maroc et dans le monde ? Quel est son traitement ? Et question essentielle : comment les Marocains «sains» se comportent-ils vis-àvis de cette maladie et comment traitent-ils ceux qui en souffrent ? L'épilepsie, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), est une «affection universelle parmi les plus anciennes que connaisse l'humanité». On a toujours cru, par le passé, et certaines personnes à travers le monde continuent de croire, selon la même organisation, que «l'épileptique est la proie d'une force ou d'une puissance surnaturelle». Mais, actuellement, avec le progrès de la médecine, ces explications d'ordre mystique ont été dépassées et l'on sait désormais avec certitude que les crises épileptiques sont le résultat de décharges électriques excessives, généralement brèves, dans un groupe de cellules cérébrales (neurones). C'est une maladie donc neurologique, organique, et non mentale. Les Marocains, ceux qui ont été un jour témoins des convulsions du malade, connaissent bien ses symptômes, mais ne parlent que de son caractère spectaculaire : apparition de bave à la commissure des lèvres, morsure de la langue et regard fixe. Il y a en fait plusieurs types d'épilepsie, explique le Pr Ouazzani : «Il y a ce qu'on appelle les crises ''grand mal''. Les patients poussent un cri, tombent, se blessent, convulsent, et puis ils se réveillent et ne se rappellent plus de leur crise. Il y a d'autres types de crises qui se caractérisent par des absences de conscience, notamment chez les enfants. Les crises sont stéréotypées chez le même malade, elles durent quelques minutes puis disparaissent soudainement». Comment faire la différence avec d'autre pathologies, notamment dans le cas des enfants ? Selon le Pr Ouazzani, le diagnostic est relativement facile à établir : «Le malade doit d'abord s'adresser au médecin généraliste. Un simple interrogatoire, étayé par un encéphalogramme, peut révéler la maladie. Le cas échéant, on a recours à d'autres examens comme le scanner et l'imagerie cérébrale en général pour chercher la cause de l'épilepsie». Entre 250 000 et 300 000 personnes souffrent de cette maladie au Maroc, soit 1% de la population, selon les estimations de la LMCE. On estime ce nombre à 50 millions dans le monde, mais il y a une prévalence dans les pays en voie de développement en raison de facteurs de risque qui leurs sont inhérents, expliquent les spécialistes : infections du système nerveux central (méningite, encéphalite, parasitose, fréquence des traumatismes crâniens à cause de la fréquence des accidents de la circulation…). Il n'y a cependant pas que les facteurs de risque qui rendent le taux de prévalence élevée. Le traitement même de l'épilepsie y est pour quelque chose. Les malades se tournent plus souvent vers les guérisseurs traditionnels et ne sont donc pas soignés. Au Maroc, beaucoup de parents de malades recourent effectivement aux marabouts et autres fkihs pour essayer d'expurger le «djinn» qui «habite» le patient. C'est le cas de la famille Mohamed Lakhdar à Larache. En 1987, la maman met au monde une petite fille, celle-ci contracte une fièvre à sa naissance et qui sera mal soignée. A l'âge d'un an, les symptômes de l'épilepsie apparaissent. L'opération chirurgicale est maintenant possible au CHU de Rabat pour les malades résistants aux médicaments Présenté au cabinet d'un médecin, le bébé «n'a pu avoir le bon diagnostic», selon son père. C'est le début d'un long calvaire. Au lieu d'aller chez un autre praticien, c'est à Sidi Ali Ben Hamdouch, le célèbre marabout de Meknès, que la mère a eu recours pour «soigner» sa fille. Fiasco : non seulement les crises n'ont pas disparu, mais c'est toute la vie scolaire et sociale de la fille qui est compromise, à cause de l'attitude de l'entourage vis-à-vis de cette maladie. «A l'école, les élèves aussi bien que les instituteurs maltraitaient l'enfant, la frappaient, ou la fuyaient comme la peste, la considérant comme une maskouna (habitée)», se plaint le père, enseignant de son état. Résultat : la fille quitte l'école. A 9 ans, le mal est diagnostiqué par un neurologue, mais malgré le traitement, la patiente, une jeune femme de 22 ans aujourd'hui, fait toujours des convulsions. Or, si elle avait été traitée à temps, elle aurait pu mener une vie normale. Le père, s'il s'est résigné au sort de sa fille, il n'a pas désarmé quant à la défense de la cause des épileptiques : en 2001, avec quelques médecins et d'autres parents de malades, il crée à Larache l'Association des malades épileptiques et handicapés qui travaille, tout comme la LMCE, sur le volet de la sensibilisation. Si la fille de M. Lakhdar n'a pu mener sa vie normalement, d'autres épileptiques s'en sont sortis, grâce aux soins. On estime à 70% le taux d'arrêt des crises en cas de prise en charge correcte. Plus que cela, 33% des malades guérissent complètement, «certains même guérissent spontanément», tranche le Pr Ouazzani. «Seul un tiers des malades pose problème, et continue de faire sa crise malgré les soins», dit-il. Pour ceux-là, on préconise des interventions chirurgicales, notamment à ceux souffrant de crises liées à une lésion cérébrale localisée. Les crises disparaissent après l'opération, mais les malades doivent poursuivre le traitement. Cette opération, notons-le, est possible au Maroc depuis 2006, au sein du CHU de Rabat, dans le service de neurochirurgie. «C'est l'une des fiertés du centre hospitalier», se réjouit le Pr Ouazzani. Le plus grand danger qui guette les épileptiques est l'attitude néfaste des gens vis-à-vis des malades. Médecins et sociologues ne cessent de le souligner. Une étude récente menée par Benattya Andaloussi Ihssane, et intitulée «Les connaissances, les croyances et les attitudes du public vis-à-vis de l'épilepsie», a démontré l'ampleur du mal. Réalisée entre février et avril 2009 sur un échantillon de 280 personnes (patients et membres de leurs familles) dans la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, l'enquête confirme le rejet dont souffrent les épileptiques. 44,3% des interrogés, ce qui n'est pas négligeable, note l'enquête, ne permettent pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent parfois de convulsions. 64,6% des participants n'autorisent pas à leur fils ou fille de se marier avec des personnes ayant parfois des convulsions. (Voir encadré). Il faut dire que ce rejet n'est pas un phénomène typiquement marocain : l'OMS, constatant les dégâts dans plusieurs pays, tire la sonnette d'alarme. Pour elle, «la peur, l'incompréhension et la discrimination sociale que suscite l'épilepsie poussent souvent les malades à se cacher dans l'ombre et donc se priver du droit à une vie normale, ce qui conduit à un retard de consultation neurologique et une thérapie inefficace». Le plus dur dans tout cela est de changer les mentalités et admettre que l'épilepsie est une maladie chronique comme une autre, soignable, si tant est que l'on puisse écarter les préjugés. «Le plus grand défi consiste à dissiper les mythes et à faire comprendre que cette maladie n'a rien de surnaturel», explique, sur le site internet de l'OMS, le Dr Derek Yach, directeur, chargé de la santé mentale et des troubles neurologiques. «Les vieilles superstitions ont la vie dure, que ce soit au Caire, à Calcutta ou à Caracas. Ainsi, une loi du Royaume-Uni interdisant aux épileptiques de se marier n'a été abrogée qu'en 1970. C'est pourquoi nous avons lancé la campagne mondiale contre l'épilepsie : "Sortir de l'ombre"». Cette campagne a commencé il y a huit ans déjà. Les préjugés qui entourent cette maladie perdurent, certes, au Maroc, mais par rapport aux années 1980, la communauté des médecins est arrivée à maîtriser la situation. Normal : à cette époque, avec 25 millions d'habitants, le Maroc ne comptait pas plus d'une dizaine de neurologues, avec un seul service de neurologie à Rabat et une couverture sociale dont bénéficiait à peine 15% de la population. Vingt ans plus tard, on dénombre une centaine de neurologues, une dizaine de services universitaires de neurologie répartis sur 4 CHU (Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech). Résultat : la prise en charge des malades épileptiques, selon les responsables de la LMCE, connaît aussi une nette amélioration, plus de malades sont identifiés et traités, et le circuit médical prend le pas sur le circuit traditionnel. Reste à changer les mentalités.