C'est devant ses camarades de classe de CE1 qu'il a entonné son premier chant, avant de devenir la doublure officielle de son frère aîné, Larbi Batma. Le succès, il le connaît en tant que vocaliste des Mesnawa puis de Nass El Ghiwane. Aujourd'hui, il dégage encore ce charisme qui vous met en transe. Rencontre. Hay Mohammadi, au café ouvert près du local de l'ancien Studio Chabab ! Le lieu de rendez-vous indiqué par Rachid Batma en dit long sur son attachement à ce quartier mythique de Casablanca, pépinière d'une génération bercée à la transe ghinawie qui allait rendre culte ce genre musical. A quelques encablures, se trouvent le légendaire cinéma Saâda, la Maison des Jeunes, ainsi que l'école primaire Omar Ibnou Khattab. C'est sur les bancs de cet établissement que Rachid Batma a usé sa culotte, mais aussi entonné ses premières gammes... Instituteur fan Nous sommes à l'aube des seventies, le groupe Nass El Ghiwane sort alors son premier album avec en titre vedette la célèbre chanson Siniyya. L'instituteur en CE1 de Rachid était jeune et «possédé» par la new wave ghiwanienne. En plein cours, il demande à son élève – qu'il savait frère de Larbi Batma – de se lever et de chanter Siniyya, insistant particulièrement sur le moual. «Personne ne pouvait refuser une demande à feu Ssi Abiyya ou à un quelconque instituteur de l'époque», se souvient Rachid Batma. «Je crois que c'est à ce moment que j'ai attrapé le feeling de la scène», poursuit-il, arborant son sourire éternel, orné de sa moustache noire immaculée. Mais entre une prestation artistique (à la Voice Kids) d'un élève de huit ans devant ses camarades de classe et le chanteur adulé qu'il est devenu, Rachid a dû se frayer lentement et sûrement son chemin. Certes, chants et poésies sont servis à toute heure et tout repas, dans la maison Batma; mais suivre les pas de frères aînés comme Larbi et Mohamed Batma place à son paroxysme la barre de performance. C'est que Larbi est connu pour sa grandeur sur scène, sa voix portante et mélodieuse à merci, sa manière de chanter, d'envoûter la foule... Mohamed Batma, de son côté a été membre fondateur du groupe non moins légendaire Lemchaheb. Parolier, zajjal, chanteur compositeur, il a même écrit des chansons pour plusieurs groupes comme Tagadda et Mesnawa. Doublure de Larbi «Je ne me suis jamais comparé à mes frères. Je n'ai jamais voulu être l'un ou l'autre», nous explique Rachid, arborant son sourire habituel. Ceux qui le connaissent vous le diront : il est toujours souriant, quel que soit son humeur. Il sourit avant de saluer et avant de parler, quitte à ce que son sourire s'efface ou s'élargit après, en fonction de la situation. Entre la tiédeur du café, et les salutations des passants de temps en temps, Rachid nous raconte comment il va se retrouver pour la première fois sur scène avec les VRAIS Nass El Ghiwane. C'était en mai 1979. Le groupe figurait parmi les artistes qui allaient se produire à la Foire internationale de Casablanca. Larbi Batma était retenu quelque part, le public s'impatientait et criait. «Là, Omar Sayed se dirigea vers moi qui n'étais là qu'en tant que spectateur à l'image de plusieurs de mes congénères, et me prit par le bras. J'avais à peine 17 ans. Il m'a littéralement traîné sur scène en me disant, tu vas jouer ! Un point c'est tout !» Après cette première performance, Rachid devient la «doublure» officielle de son frère aîné, le remplaçant à chaque fois qu'il était indisponible. Ce n'est que quatorze ans plus tard, en1993, qu'il intègre officiellement et définitivement le groupe Nass El Ghiwane. Le succès avec Mesnawa Entre-temps, avec son autre frère Hamid et quelques copains du quartier, Rachid crée le groupe Wlad Hadda en 1980, qui deviendra Wlad El Mesnaoui, avant d'arborer le nom définitif de Mesnawa, en 1985. Il sera le leader incontesté de ce groupe qui va connaître jusqu'en 1989 un succès époustouflant grâce à son style qui dénote par rapport aux autres groupes musicaux déjà existants. Réussir à s'imposer au milieu de grandes formations dominant la scène telles que Lemchaheb, Jil Jilala, Essiham, Tagadda... était tout simplement inimaginable. Mais ce succès n'aurait jamais eu lieu sans les chansons écrites par feu Mohamed Batma. «Moi, d'abord, et Mesnawa lui devons beaucoup. C'était lui, les fameux tubes qui cartonnaient à l'époque (M'hammed ya wlidi, Hammadi, L3aoud lezrag, Hayna, Moussem sayda...)», reconnaît l'artiste. Ainsi, Rachid a réussi à mener un groupe au summum en l'espace de quelques années. Sauf que durant toutes ces années de réussite du groupe de Mesnawa, «Simohamed et moi nous ne sommes jamais quittés ou presque. On se voyait quotidiennement. C'est lui qui m'a initié à l'écriture et à la composition, le rythme, la division systématique des battements...», nous confie-t-il avec son humilité légendaire. Son don artistique, Rachid l'a nourri depuis son adolescence par la lecture, influencé là aussi par son grand frère. Son plat préféré dans ce sens c'est le patrimoine culturel marocain. D'ailleurs, c'est l'essence même de la philosophie de Nass El Ghiwane, puisée dans le patrimoine national si riche et si diversifié et mélangée au vécu quotidien de la majorité des Marocains. Raison pour laquelle le groupe a survécu toutes ces années. El Ghiwane, les éternels D'ailleurs, malgré l'immense invasion des réseaux sociaux, le groupe est toujours assez visible et présent. «Cet été 2022, nous nous sommes produits dans plus de 20 concerts à travers le Royaume. Nous n'arrêtons pas de travailler en fait. Je dirais même que nous n'avons pas chômé une seule seconde. Et nous sommes toujours surpris par la merveilleuse réaction du public. Pour moi c'est de l'amour de la part d'une génération née dans les années 2000 et qui vient répéter avec nous les chansons ghiwaniennes le long du spectacle», raconte-t-il. Si Nass El Ghiwane ne dominent plus la scène dans le temps, il sont toujours là. Comme disait Omar Sayed, ils sont «une sorte de médium entre des émotions et un public qui doit faire passer des sentiments universels pour pouvoir toucher le plus grand nombre». C'est la recette de l'alchimie ghiwanie qui rend ce groupe mythique. «Je ne peux pas imaginer qu'un Marocain penserait à exclure Nass El Ghiwane, car il ne s'agit pas d'individus. Les hommes disparaissent, mais El Ghiwane est une valeur indélébilement ajoutée à la culture marocaine... A jamais». En réalité, même s'il ne veut pas l'avouer, on sait parfaitement que Rachid est très doué artistiquement. Qui sait, c'est peut-être ce don artistique qui a fait de lui un père de trois enfants qu'il ne cesse de couver amoureusement.