L'Association marocaine de la planification familiale, a mené une étude auprès de 600 jeunes dans cinq villes du pays, révèle leurs connaissances limitées sur leurs droits à la santé sexuelle et reproductive. Seulement 19% ont pu citer deux méthodes de contraception. 70% des sondés sont convaincus que la méthode contraceptive la plus connue est l'abstinence. La seule MST citée est le SIDA. Une action de plaidoyer est lancée par l'AMPF pour une sensibilisation du grand public, des institutions, des familles et des ONG. La santé sexuelle et reproductive n'est pas très bien connue des jeunes Marocains. Ils méconnaissent les risques encourus et ne maîtrisent pas les moyens de prévention. C'est ce que l'on peut retenir de l'étude réalisée par l'Association marocaine de la planification familiale (AMPF), en juin et juillet 2021, auprès de 600 jeunes âgés de 14 à 30 ans, résidents dans les villes de Casablanca, Marrakech, Fès, Rabat et Oujda. Les jeunes ont répondu à un questionnaire anonyme rédigé en arabe dialectal. Ce travail qui s'inscrit dans le cadre du projet RHRN2, (Right Here Right Now 2) mis en place et financé par le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas et porté au Maroc par l'AMPF sélectionnée suite à un appel à projet. L'association est à la tête d'une coalition de cinq associations, dont Y Peer Petri Morocco, pour mener ce projet lancé en 2021 pour s'étendre jusqu'en 2025. Son financement, cinq millions de dirhams chaque année, est assuré par le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas. «Ce projet porte sur les droits à la santé sexuelle et reproductive des jeunes de 14 à 30 ans et vise à mettre en avant l'action de plaidoyer pour les droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Il est mené sur quatre volets : l'éducation et la formation, la sensibilisation du grand public, de la famille, des ONG et des institutions, le plaidoyer pour le changement des lois discriminatoires à l'égard des jeunes et enfin l'implication des ONG. Concernant ce dernier point, la création d'un consortium d'ONG est en cours en vue de porter l'action de plaidoyer», explique Abdellatif Maamri, directeur exécutif de l'association et chercheur principal de l'étude. L'enquête répond à un triple objectif : connaître les pratiques sexuelles chez les jeunes, leur accès aux services, connaissances en matière de grossesse et de contraception et connaissances des maladies sexuellement transmissibles (MST). Et les conclusions sont quelque peu surprenantes : La sexualité demeure, selon les jeunes sondés, un sujet tabou dans la famille. Seuls 14,8% des jeunes disent parler de la santé sexuelle et de la reproduction avec leurs familles. De ce fait, la source principale d'informations sur le sujet ce sont les amis pour 44,3% des jeunes. Viennent ensuite les enseignants pour 16,2% des jeunes. L'étude confirme certes le caractère conservateur, connu et reconnu, de la société marocaine mais elle laisse apparaître que les rapports sexuels des jeunes, qui représentent le tiers de la population marocaine, sont une réalité et constituent un sujet important dont il faut débattre. Il ressort de ce travail que la vie sexuelle est précoce dans la mesure où elle débute en moyenne à 13 ans. Age auquel les jeunes disent avoir eu un premier partenaire. On retiendra que l'âge du premier rapport se situait entre 15 et 22 ans avec un pic de fréquence des rapports entre 16 et 19 ans. On précisera que l'âge moyen du premier rapport était de 18 ans pour les hommes et de 19 ans pour les femmes. Ce premier rapport sexuel était, pour 93% des jeunes interrogés, consentant et 75% des jeunes avaient des rapports sexuels non pénétrants. En ce qui concerne le type de partenaire : le premier rapport sexuel s'est fait entre amis dans 76,4 %, 12 % ont eu des relations sexuelles avec les professionnelles du sexe, alors que pour 11 %, le premier rapport était avec un fiancé, un membre de la famille. La fréquence des rapports sexuels était occasionnelle dans 88 % ; alors qu'elle était régulière chez 11 %. Des jeunes ne connaissant pas les MST… Ils pensent que l'abstinence est le seul moyen de protection ! Ils sont 40% des jeunes sondés, (68 % des garçons et 32 % des filles), à admettre avoir eu des rapports sexuels mais qui avouent qu'ils n'ont qu'une faible connaissance des moyens contraceptifs et des maladies sexuellement transmissibles. Plus grave encore : ils sont 50% à avoir des rapports non protégés ! Dans les réponses, il apparaît que l'utilisation du préservatif n'est pas encore systématique. Seulement 50% d'entre eux ont affirmé l'avoir utilisé lors du dernier rapport sexuel. Par ailleurs, 94,2 % des jeunes affirmaient avoir entendu parler des méthodes contraceptives. Et seulement 19% ont pu citer deux méthodes de contraception. Le condom masculin, la pilule et les injectables sont relativement connus. Ce qui est, selon M.Maamri, «étonnant, sachant que plusieurs campagnes de sensibilisation sont menées régulièrement par le ministère de la santé et la société civile, notamment les associations qui travaillent sur ce sujet». Et cela est d'autant plus surprenant, sachant que 99% de ces jeunes sont connectés aux réseaux sociaux ! Selon le directeur exécutif de l'AMPF, «ces jeunes ne vont pas sur des sites de recherche crédibles pour trouver de l'information. C'est pourquoi nous avons dans le cadre de ce projet lancé la mise en place d'une plateforme numérique dédiée à l'éducation sexuelle. Elle constituera un support didactique en arabe dialectal, en amazigh et en français afin d'être accessible à tout le monde. La plateforme est en cours de construction et sera opérationnelle en 2023». Autre conclusion surprenante de l'étude : la méthode contraceptive la plus connue par ces jeunes est l'abstinence. Ainsi, pour 33% d'entre eux le préservatif n'est pas un moyen sûr de protection contre la grossesse qui pour 44% des jeunes peut survenir lors du premier rapport sexuel. Et 70% des sondés sont convaincus que la méthode contraceptive la plus connue est l'abstinence. Et c'est cette même abstinence qui, pour la majorité des jeunes interrogés, soit 80%, permet une prévention contre les Infections sexuellement transmissibles (IST). Des infections qui ne sont pas très bien connues par les jeunes. En effet, seulement 46% connaissent les IST. Les filles paraissent être plus au fait de ces maladies, puisque 52% d'entre elles disent les connaître. La seule maladie sexuellement transmissible citée par les jeunes sondés est le syndrome d'immunodéficience humaine (SIDA). Alors qu'il existe d'autres maladies sexuellement transmissibles graves pouvant entraîner la stérilité, des problèmes génitaux et aussi le cancer. On retiendra aussi que les moyens de prévention de ces maladies ne sont pas non plus bien connus, puisqu'environ 64% des jeunes n'en ont aucune idée. Et 20% d'entre eux ne connaissent que le préservatif comme seul moyen de prévention. Même si on est dans l'ère du numérique et des téléphones portables et donc d'une forte et régulière connexion, 73% des jeunes ont exprimé la nécessité d'un accès à une éducation sexuelle. Ce besoin était essentiellement motivé pour une protection contre les IST et un épanouissement sexuel. D'où l'intérêt du volet numérique de ce projet qui est, selon M. Maamri, «une opportunité pour ces jeunes d'avoir de l'information, juste, et, crédible, d'une part, et, d'autre part, de pouvoir travailler et faire de la sensibilisation des jeunes en ligne». Les résultats de cette étude révèlent donc que la société marocaine change et qu'il faut accompagner ce changement par une ouverture sur les préoccupations des jeunes, notamment sur leurs droits à la santé sexuelle et reproductive. Il est clair, à travers les réponses des sondés, que l'accès à l'information est insuffisant, que la connaissance des risques encourus et des conséquences négatives sur la santé reproductive reste limitée. On retiendra également qu'il y une prévalence de la violence sexuelle élevée (8,7%) tout comme la connaissance et l'accès à la contraception d'urgence reste faible. Partant de ces conclusions, l'étude retient qu'il est «primordial de donner aux jeunes les moyens d'assumer leur part de participation et de responsabilité dans la société et de leur garantir le droit à participer de manière égale à tous les aspects de la société reflété dans la Constitution marocaine». Pour cela, plusieurs recommandations ont été émises dont principalement la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation sur l'existence des services de santé sexuelle et reproductive, d'accentuer la présence de services dans les zones rurales pour qu'ils soient plus connus par la population jeune, de limiter les barrières aux échanges sur les sujets de santé sexuelle et reproductive entre les jeunes et leurs camarades ou entre eux et leurs parents afin que les problèmes en SSR soient plus débattus, de mettre en place des cadres d'échanges formels entre les agents de santé, les enseignants et les jeunes, entre les enseignants et les parents de jeunes, sur la santé sexuelle et reproductive à travers des plateformes reconnues et crédibles hébergées par des institutions crédibles. Il est également suggéré de renforcer les capacités des enseignants et des leaders communautaires sur la SSR en milieu rural en particulier et d'intégrer dans les leçons de santé sexuelle et de la reproduction dispensées par les enseignants à leurs jeunes des modules sur la prévention en IST-SIDA depuis le primaire. L'étude recommande aussi des actions de sensibilisation au mariage précoce et ses conséquences sur la santé des mineurs. Cela peut se faire, selon les propositions de l'étude, au moyen d'animations communautaires (sketchs par exemple) sur les mariages précoces et leurs conséquences, de sensibiliser à l'intérêt des moyens de contraception et le préservatif, en particulier, afin d'éviter les infections sexuellement transmissibles ainsi que les grossesses non désirées et précoces. Ces actions s'imposent dans la mesure où les mariages des mineures persistent (12%) malgré le Code de la famille. Estimé à 32‰, le taux de fécondité chez les adolescentes âgées de 15 à 19 ans est élevé au Maroc, principalement à cause du mariage précoce, mais aussi de la violence sexuelle et de l'accès insuffisant à l'information et aux services de la Santé sexuelle reproductive. Au-delà de ces recommandations, l'AMPF, dans le cadre de ce projet RHRN2, a lancé des actions de plaidoyer sur les violences basées sur le genre, sur l'avortement et les IVG, sur les mariages précoces et sur l'accélération de la mise en œuvre de l'éducation sexuelle dans le curricula des élèves. Concrètement, l'AMPF a avancé sur les mariages précoces puisque, précise M.Maamri, qui poursuit : «Nous travaillons actuellement avec les adouls qui sont un maillon important dans la sensibilisation des parents et des jeunes aux conséquences des unions précoces». Et toujours concernant ce sujet, l'association a saisi des groupes parlementaires afin de les sensibiliser à la nécessité d'amender les articles 20 et 21 du code de la famille accordant un pouvoir discrétionnaire au juge pour l'autorisation des mariages précoces. Avec les parlementaires, l'association discute également de l'activation du projet de loi sur l'avortement. Un texte qui est, depuis plusieurs années maintenant, dans le pipe. L'association dit également avoir bien avancé, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, sur le plaidoyer sur l'intégration de l'éducation sexuelle dans le cursus académique des jeunes.