Le Maroc connaît une mutation de sa démographie, marquée par un vieillissement de sa population, conséquence du fléchissement de la fécondité et de l'allongement de la durée de vie. Près du tiers des personnes âgées sont en situation de dépendance. Leur prise en charge doit être globale et assurée par un gériatre. Le Maroc comptera, à l'horizon 2030, plus de six millions de personnes âgées. Cette population de plus de 60 ans connaîtra ainsi une augmentation de 42% par rapport à 2021 et représenterait 15,4% des Marocains. En 2021, on recense près de 4,3 millions qui sont âgés de 60 ans et plus, représentant 11,7% de la population totale, alors qu'ils n'étaient que 2,4 millions en 2004, soit 8% de la population totale. En ce qui concerne la tranche d'âge de plus de 70 ans, le HCP souligne qu'elle enregistrera une croissance plus rapide, passant de 1,6 million en 2021 à près de 2,6 millions en 2030, soit une augmentation de 63%. Ainsi, leur poids démographique pourrait atteindre 6,7% en 2030 au lieu de 4,4% actuellement. Ces récentes projections, dévoilées par le Haut Commissariat au Plan (HCP) à l'occasion de la Journée mondiale des personnes âgées, s'expliquent par l'amélioration de l'espérance de vie et la chute de la fécondité. Cette évolution démographique varie, et variera encore durant les prochaines années, selon des disparités régionales, notamment entre les milieux rural et urbain (voir encadré). Mais, au-delà des statistiques, il est intéressant de s'interroger sur l'impact de cette évolution démographique sur le système de santé national. Celui-ci est-il préparé pour passer ce tournant ? Les personnes âgées représentaient 4% de la population en 1960, 10% en 2015 et passeront à 14% en 2025 et 25% en 2050. Leur population augmente de 3,3% par an contre 0,3% pour la population globale. Selon le Dr Moussayer Khadija, spécialiste en médecine interne et en gériatrie dans le secteur libéral, «la situation des personnes âgées est préoccupante, selon un rapport du Conseil économique et social de 2015, qui dévoile que les personnes âgées se caractérisent, dans l'ensemble, par de faibles capacités en termes de situation socioéconomique et de santé : la plupart ont un revenu très bas, plus de la moitié souffrent d'au moins une maladie chronique et n'ont pas accès aux soins et près du tiers d'entre elles sont en situation de dépendance. De plus, La couverture sociale et médicale ne bénéficie qu'à 1/5 des personnes âgées». Et de poursuivre que «l'espace public urbain n'est pas adapté aux personnes âgées et ne favorise ni leur mobilité, ni une vie sociale épanouie. La mobilité est en effet entravée par un système de transport et de transit inapproprié à leur âge et à leur état de santé». Partant de cet état, Dr. Moussayer estime «qu'il faut que le système de santé soit repensé pour mieux prendre en charge cette catégorie de la population. Pour bien atteindre cet objectif, il faut développer, au Maroc, la gériatrie qui désigne la médecine de la personne âgée et des maladies dues au vieillissement. Il s'agit d'une prise en charge globale pour maintenir ou, au besoin, restaurer l'autonomie fonctionnelle du patient. L'intervention d'un spécialiste en ce domaine est utile, en ce sens que la personne âgée présente des spécificités dues à son vieillissement : des maladies plus fréquentes et souvent multiples dont l'impact est plus intense sur l'ensemble de l'organisme». La prévalence des maladies chroniques de près de 64,4% chez les personnes âgées En raison de l'importance des problèmes de santé chroniques, le vieillissement entraîne souvent une augmentation du nombre de personnes à risque d'invalidité. Selon Mme Moussayer «les pathologies qui frappent les personnes âgées sont dans leur majorité identiques à celles de l'adulte plus jeune, mais certaines sont spécifiques ou plus fréquentes comme les pathologies neuro-dégénératives, notamment la maladie d'Alzheimer, Parkinson, démence, etc. les accidents vasculaires cérébraux dont les trois quarts des survivants souffrent de séquelles, les troubles nutritionnels et du sommeil et ainsi que les chutes et les traumatismes. La fracture du col est souvent source de la perte d'autonomie et même de la mort. En France par exemple, entre 15 et 20 personnes sur 100 décèdent dans l'année qui suit cet accident». Actuellement, selon le HCP, la prévalence des maladies chroniques se situe à près de 64,4%. Quelque 2,7 millions de personnes âgées sont touchées. Si ce taux de prévalence se maintient sur les huit prochaines années, on comptera environ 3,9 millions de personnes âgées dans cette situation en 2030. Un chiffre qui pourra être plus important en raison des conséquences et séquelles du Coronavirus. Ces pathologies entraînent une incapacité fonctionnelle, définie sur le plan opérationnel comme la difficulté à effectuer une ou plusieurs activités de la vie quotidienne, la part des personnes âgées dans cette situation selon l'enquête du ministère de la santé s'élève à 45,7%. On comptera alors environ 2,8 millions en 2030 contre 1,9 million actuellement. Il s'agit certes de projections, mais elles alertent sur l'impact du vieillissement sur le système de santé. Il augmentera à coup sûr les dépenses médicales et le poids de la prise en charge des soins de longue durée. Et cela est davantage valable pour les séniors de 70 ans et plus exposés à ces maladies chroniques et à un manque d'autonomie qui nécessite un développement de l'offre de soins adaptés à leurs besoins. Selon la note d'information, 1,9 million de personnes âgées de 70 ans et plus contre 1,2 million actuellement auront au moins une maladie chronique. Aussi, la part des personnes de 70 ans et vivant avec une incapacité fonctionnelle serait d'environ 1,7 million en 2030 au lieu de 1,1 million en 2021. Autant de projections qui présagent des difficultés aussi bien pour les unités de soins que pour les organismes de sécurité sociale. En effet, aujourd'hui, selon le rapport statistique de 2020 de la Caisse nationale de sécurité sociale, 64% des pensionnés consommateurs de l'Assurance Maladie Obligatoire appartiennent à la tranche d'âge des 55-74 ans. La consommation de cette tranche représente près de 65% des dépenses de l'AMO en faveur des pensionnés. Par ailleurs, la CNSS souligne que le nombre des assurés porteurs d'au moins une affections de longue durée et/ou d'une affection Lourde et coûteuse a atteint 316 207 personnes, et ce depuis le démarrage de l'AMO jusqu'à fin 2020. Pour rendre compte du poids de la prise en charge de ces maladies chroniques, le rapport de la caisse précise que la consommation annuelle moyenne a atteint 4849 DH pour un pensionné, soit 2.3 fois la consommation moyenne d'un assuré actif qui s'est établie, quant à elle, à 2 089 DH au titre de l'année 2020. Des services hospitaliers spécialisés pour éviter l'abandon et la maltraitance... Cet écart est expliqué par une fréquence annuelle élevée chez l'assuré pensionné. Celui-ci dépose 3,48 dossiers par an contre 2,23 chez l'assuré actif. Aussi, le coût moyen d'un pensionné est plus important, puisqu'il s'élève à 1 392 DH contre 937 DH pour un assuré actif. Par ailleurs, le coût moyen du dossier est plus important chez les consommateurs atteints d'ALD que chez le reste des consommateurs, soit respectivement 2 351 DH contre 550 DH en 2020. L'importance du coût des soins est donc notoire, ce qui fait dire Mme Moussayer, «que la qualité de la prise en charge des personnes âgées et de pathologies dépend de plusieurs facteurs, dont la présence ou non d'une couverture médicale, de la situation familiale et socioéconomique de la personne âgée, de la proximité ou non de centres de soins appropriés». Pour garantir une offre de soins adéquate, le gériatre estime «qu'il est urgent de généraliser la retraite et d'assurer une couverture médicale aux personnes âgées. Plus généralement et au delà des solutions médicales, il faut avoir une politique globale assurant aux personnes âgées de ne pas tomber dans la dépendance à cause de la survenue d'incapacités. L'amélioration de l'environnement physique, domestique et urbain est importante à cet égard. Il faut veiller aussi à améliorer les facteurs comportementaux, notamment l'activité physique régulière et un régime alimentaire sain... Le maintien de l'environnement social et des relations sociales est également fondamental pour éviter l'isolement». Et d'ajouter que «même si le maintien des personnes âgées au sein de la famille doit être privilégié, il paraît aussi nécessaire de développer des maisons de retraites médicalisées et des services hospitaliers spécialisés, pour leur épargner l'abandon et la maltraitance». Plus important aussi, souligne Mme Moussayer, «il faut que le système de santé soit repensé pour mieux prendre en charge cette catégorie de la population. Pour bien atteindre cet objectif, il faut développer, au Maroc, la gériatrie qui désigne la médecine de la personnes âgée et des maladies dues au vieillissement». Il s'agit d'une prise en charge globale pour maintenir ou, au besoin, restaurer l'autonomie fonctionnelle du patient. L'intervention d'une personne spécialisée en ce domaine est utile, en ce sens que la personne âgée présente des spécificités dues à son vieillissement. En effet, elle présente des maladies plus fréquentes et souvent multiples dont l'impact est plus intense sur l'ensemble de l'organisme. D'où l'intérêt de consulter ce spécialiste en gériatrie qui va pouvoir faire la synthèse de tous les problèmes de santé. La gériatrie n'est encore qu'à ses débuts au Maroc, avec la décision du ministère de la santé, dans les années 2000, d'envoyer en France une quinzaine de spécialistes en médecine interne pour une formation en seconde sous-spécialité en gériatrie. Mme Moussayer déplore l'insuffisance du nombre de gériatres qui prive ainsi les personnes âgées d'une prise en charge multidisciplinaire adéquate prodiguée par un seul médecin référent à compétence globale et transversale qui centralise les informations et coordonne les soins. Un chantier important, selon le milieu médical, que le prochain ministre de la santé devrait lancer.... L'impact du Coronavirus... L'épidémie du Coronavirus a eu, selon Mme Moussayer, un impact considérable sur les personnes âgées. Elle a été source de stress, du fait du climat général anxiogène et du fait que ces personnes âgées sont conscientes qu'elles risuent de contracter le virus et d'en mourir. Par ailleurs, le confinement préconisé au début de l'épidémie a été un facteur de développement de nouvelles maladies. En effet, il a augmenté la sédentarité qui a en effet un impact direct sur les muscles, en induisant une perte de la masse musculaire et une plus grande fatigabilité musculaire. Ainsi, notre source explique que «cette perte de la masse musculaire a des conséquences majeures chez les personnes âgées, à l'origine de chutes et de fractures avec un risque de perte d'autonomie. Enfin, dans la période de confinement, le risque de délaisser les soins chroniques a été important, d'où des conséquences néfastes sur le bon équilibre à long terme des maladies sous jacentes. Elles représentent moins de 7,5% à Lâayoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab L'effectif des personnes âgées va s'accroître plus rapidement en milieu urbain qu'en milieu rural. Une évolution due à l'exode rural. Ainsi, si les personnes âgées en milieu urbain verront leur effectif se multiplier par 1,5 fois entre 2021 et 2030, passant de 2,8 millions en 2021 à près de 4,2 millions vers 2030, en milieu rural, la population âgée sera multipliée par 1,2, en passant de 1,5 million à environ 1,8 million au cours de la même période. Selon le HCP, on notera également des disparités démographiques régionales qui resteront importantes. Ainsi, les régions sont classées en trois groupes: celles enregistrant une population âgée importante notamment l'Oriental, Béni Mellal-Khénifra, Casablanca-Settat et Fès-Meknès avec une part de 13% de la population globale. Dans les régions du Sud, Laayoune-Sakia El Hamra, Dakhla-Oued Eddahab, on compte moins de personnes âgées, soit moins 7,5%, et les régions recensant une proportion de personnes âgées au voisinage de la moyenne nationale : Souss-Massa et Guelmim-Oued Noun, Rabat-Salé-Kénitra, Drâa-Tafilalet, Marrakech-Safi, et Tanger-Tétouan-Al Hoceima. La classification par sexe démontre qu'actuellement un peu plus de la moitié des personnes âgées, soit 51%, sont des femmes. Un taux qui devrait atteindre 52,2% à l'horizon 2030 en raison de l'amélioration de l'espérance de vie à la naissance chez le sexe féminin.