Par Dr. EL OUARDI El Abass Le Maroc est un pays où la population est en grande majorité jeune. Cependant, l'effectif des personnes âgées ne cesse d'augmenter et le problème de santé de cette catégorie de la population se posera avec acuité dans le futur. En effet, selon le recensement de la population et de l'habitat de 2004, il y a lieu de constater que sur l'effectif total de la population qui était de 29 892 000 âmes, la population du 3ème âge (60 ans et plus) s'élève à 2 421 250 personnes, soit 8,1% de la population totale. Sur la base des projections faites par le Centre de Recherche et d'Etudes Démographiques, la population âgée de 60 ans et plus connaîtrait une évolution spectaculaire durant les trois décennies à venir. Cette population va doubler à l'horizon 2024, atteignant la barre de plus de 4,8 millions, soit 13% de la population totale. Elle continuerait à croître considérablement pour se situer à plus de 6,5 millions en 2034 (17% de la population totale), soit presque 3 fois la population de 2004. Cette augmentation en rapport avec la diminution de la mortalité et avec l'augmentation de l'espérance et de la qualité de vie, conduirait sans nul doute à des demandes de plus en plus importantes en soins médicaux et paramédicaux et à des coûts de plus en plus élevés des services de santé. Ce qui placerait la question de leur couverture médicale au premier plan des préoccupations de notre pays. Les besoins et les aspirations des personnes âgées sont nombreux, il s'agit des besoins en santé, habitat, transport, alimentation, habillement… Aussi, ces différents besoins devraient-t-ils être pris en compte de manière concomitante. Sur le plan de la santé, les personnes âgées sont, plus fréquemment que les autres catégories de la population, sujettes aux maladies cardiovasculaires, aux affections respiratoires, au diabète, à la fragilisation osseuse, aux affections oculaires, au rhumatisme, à la surdité, aux maladies neurologiques, aux problèmes nutritionnels, au stress, au cancer… autant de facteurs qui entravent leur santé et auxquels ils faut apporter soulagement, soins et accompagnement en fin de vie. L'une des caractéristiques de la santé des personnes âgées est la grande fréquence de la poly pathologie, la quasi-totalité d'entre elles souffrant simultanément de plusieurs problèmes de santé chroniques. Au fil des années, les altérations physiques ou psychiques qui résultent de ces pathologies vont s'ajouter à celles directement liées à la sénescence, favorisant la survenue de déficience de différentes natures, sources d'incapacité et d'handicap. Acquis et mesures développées en matière de lutte contre les maladies chroniques Le Maroc est actuellement en période de transition épidémiologique et le grand défi de la lutte et du contrôle des maladies est de définir une politique sanitaire contre la coexistence des deux groupes «maladies transmissibles et maladies non transmissibles» et que les orientations stratégiques s'accomplissent dans un esprit de régionalisation. La création d'une structure centrale pour la lutte contre les maladies non transmissibles, l'inscription d'une ligne budgétaire supplémentaire pour les stratégies plus ou moins traduites en actions pour lutter contre les maladies dans le plan de développement économique et social en est un grand acquis. De même que l'existence de plusieurs stratégies plus ou moins traduites en actions pour lutter contre les maladies non transmissibles. Les orientations stratégiques pour la lutte contre les maladies non transmissibles consistent d'une part à développer une intervention intersectorielle pour les maladies évitables par la réduction des facteurs de risque dans la communauté et la prise en charge des personnes exposées et, d'autre part, à mettre en place une prise en charge intégrée des stratégies plus ou moins traduites en actions pour lutter contre les maladies regroupant les programmes déjà opérationnels et englobant au fur et à mesure ceux qui sont en cours d'élaboration. Les actions à développer pour la lutte contre les maladies chroniques sont de trois types : le soutien à l'accès aux services sociaux de base, le soutien aux actions d'animation sociale, culturelle et sportive et enfin, le soutien au renforcement de la gouvernance et des capacités locales et la promotion de modes de vie saines (lutte contre le tabagisme, la promotion d'un bon équilibre nutritionnel et de l'activité physique, réduction de la consommation du sel…). Acquis et mesures développées en matière de prise en charge médico-sociale des personnes âgées Les personnes âgées cumulent un ensemble d'handicaps rencontrés durant les différentes étapes de la vie, de la période périnatale à l'âge adulte. Elles sont souvent en situation de détresse solitaire et silencieuse en cas de rejet par leurs familles. Elles sont également fréquemment touchées à coté de l'handicap par le fléau de la mendicité. La solidarité familiale qui constitue le cœur de la société marocaine risque d'être touchée par l'urbanisation et la rigueur économique. Les mesures de protection, les mesures préventives et de réadaptation chez les personnes âgées sont à l'ordre du jour : La protection sociale: La loi 65-00 portant «Code de la couverture médicale de base» décomposé en : Un volet d'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au profit des personnes actives, des pensionnés et des étudiants ; Un volet du Régime de l'Assistance Médicale (RAMED) fondé sur la solidarité nationale au profit de la population la plus démunie. Le Code de la Famille: Le nouveau code de la famille définit les obligations croisées des enfants et des parents de subvenir à leurs besoins matériels respectifs (art 197). Les institutions de bienfaisance: Suite à la visite royale à la maison d'Ain Chok, le gouvernement élabore une nouvelle loi dite 14.05. Elle va donner un cadre régissant le statut juridique, les normes et la gestion des «Etablissements d'accueil des populations fragiles.» Les fonds de retraite: L'encadrement législatif, des fonds de réserves des caisses de retraite est défini dans la loi du 3 octobre 2002, modifié le 2 novembre 2004, relatif aux entreprises d'assurances et de réassurances. Les régimes de retraite: Le secteur des Retraites se compose essentiellement de 6 régimes, 4 généraux: la CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale), la CMR (Caisse Marocaine de Retraite), le RCAR (régime collectif d'Allocation Retraite), la CIMR (Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraites) et 2 internes à des établissements publics (CIR-OCP, CCR-ONE). Les grandes réformes sociales : Le Maroc a lancé plusieurs grandes réformes et initiatives sociales qui influent directement sur les conditions de vie des personnes âgées: l'AMO (Assurance Maladie Obligatoire) et le RAMED (Régime d'Assurance pour les Economiquement Démunis). Dans la perspective d'améliorer la prise en charge des soins de santé pour cette catégorie de la population, soins devenus une véritable spécialité, le Ministère de la Santé a mis en place un service de la Réhabilitation et de la Gériatrie, chargé de développer les programmes de Gériatrie, de synchroniser les actions avec celle des partenaires gouvernementaux et acteurs du monde associatif. Plusieurs actions ont été développées: Jusqu'à nos jours, une seule unité de gériatrie existe à l'hôpital Mohamed Sekkat à Casablanca. La réalisation d'un nouveau service exclusivement consacré à la gériatrie est en projet. Les hôpitaux Ibn Sina à Rabat et El Farabi à Oujda réfléchissent également à une organisation plus adaptée à l'accueil des personnes âgées. Les médecins internistes marocains reçoivent depuis 2003 une formation en gériatrie en France à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris dans le cadre d'une attestation de formation spécialisée Approfondie. Seize médecins sont déjà formés. L'objectif étant de disposer d'au moins un médecin gériatre par province dans les prochaines années à venir. L'enseignement dans les facultés de médecine est en train d'être érigé en spécialité à la faculté de médecine de Rabat, des enseignants ont été formés en France dans ce sens. Le personnel paramédical reçoit, depuis 2002, un enseignement de gériatrie par un module de 18 heures en 2ème année. Malheureusement, l'absence de terrain de stage limite cette formation à la simple théorie. L'entraide nationale assure la tutelle de 1800 institutions gérées par 599 associations accueillant 50000 résidents. Les personnes âgées sont accueillies au niveau des maisons de bienfaisance au même titre que les enfants, les mères célibataires, les personnes en situation de handicap et parfois les malades mentaux. Le personnel est en nombre insuffisant et souvent les personnes âgées en bonne santé prêtent assistance aux malades. Il manque du personnel spécialisé à tous les niveaux : médecins gériatres, infirmières, aides-soignants, psychologues, psychiatres, kinésithérapeutes, assistantes sociales, animateurs socioculturels. A part la télévision, il y a très peu d'animation et de loisirs dans ces centres. Depuis la visite royale du 30 avril 2005, dans la Maison de Bienfaisance de Aïn Chok, la remise à niveau des Maisons de Bienfaisance est engagée. Le plan d'action 2006 / 2008 de l'Entraide Nationale présenté lors d'un séminaire national en juin 2005, prévoit plusieurs grands axes de travail dont la mise à niveau des maisons de bienfaisance, la mise à niveau du management, la mise à niveau juridique, la formation des ressources humaines, le renforcement socioculturel et l'intégration à l'Initiative Nationale de Développement Humain. Le Ministère des Habous et des Affaires Islamiques gère aussi, dans l'ensemble du Royaume, un certain nombre de maisons où sont accueillies quelques personnes déshéritées, en particulier des personnes âgées. Organisation des filières de soins et stratégies de prise en charge De nombreux pays confrontés à ce phénomène de vieillissement démographique ont développé des stratégies et élaboré des politiques de prise en charge globales de la population âgée qui font intervenir tous les acteurs sociaux, sanitaires et économiques. Dans le domaine sanitaire, les filières gériatriques sont depuis quelques années au cœur de la réflexion. Elles permettraient la construction d'une offre de soins susceptible d'assurer aux patients âgés un parcours de soins sans rupture et sans risque d'aggravation de la dépendance. Elles peuvent, en outre, participer à la structuration de la prise en charge des patients âgés grâce à une logique de mise en réseau des professionnels. En effet, la filière de soins gériatriques vise à permettre à chaque personne âgée, quel que soit son lieu de résidence, d'accéder à une prise en charge médico-sociale graduée. Sur son territoire d'implantation, la filière propose les dispositifs de soins couvrant l'intégralité des parcours possibles du patient âgé quel que soit son motif d'entrée dans la filière. Ses filières s'organisent en réseau autour d'un établissement «support», disposant d'un service de court séjour, d'une équipe mobile et d'un pôle ambulatoire gériatrique, adossés sur site ou par convention, à une structure d'urgences. La filière de soins gériatriques comprend également des soins de suite à orientation gériatrique et des soins de longue durée. Il est cependant nécessaire d'adapter cette offre de soins aux spécificités nationales, régionales et locales. En France, la prise en charge des problèmes de santé des patients gériatriques est faite dans le cadre d'une filière de soins intégrée. Cette intégration est réglementée par une circulaire ministérielle qui institue le travail en réseau, l'intégration de la problématique dans le cadre du Schéma Régional de l'Offre des Soins (SROS) et des projets des établissements. L'infrastructure et les intervenants qui composent cette filière se présentent comme suit : le médecin généraliste, garant de l'approche de proximité et de l'intégration, les consultations et pôles d'évaluation gériatriques développés par les hôpitaux, l'hôpital local (en tant que premier maillon de soins hospitaliers de proximité), les services de médecine gériatrique existant dans les hôpitaux, les équipes mobiles gériatriques rattachées aux CHU, les services de soins de suite et de réadaptation gériatriques implantés au sein d'établissements de santé publics et privés, l'hospitalisation et les services de soins infirmiers à domicile et le Programme national de développement des soins palliatifs. L'impact du vieillissement de la population sur le coût des soins La question de l'impact du vieillissement de la population sur le coût des soins fait l'objet d'opinions contrastées. Selon certains économistes de la santé, les évolutions démographiques des prochaines décennies seront insupportables pour les finances publiques et mettront inévitablement à mal le système de santé et les systèmes d'assurance maladie. Pour d'autres au contraire, le vieillissement n'aura finalement qu'un impact limité et très supportable sur les dépenses de santé. L'impact du vieillissement sur la dépense médicale dépend en fait de l'évolution future de la morbidité par âge. Si l'allongement de la vie s'accompagne d'une amélioration de l'état de santé, l'accroissement de la proportion de personnes âgées conduira à une augmentation moindre de la dépense par tête. Réciproquement, si l'amélioration de l'état de santé par âge est accompagnée par un accroissement de l'intensité des soins, l'augmentation de la proportion de personnes âgées pourrait se traduire par une augmentation forte de la dépense par tête. En tout état de cause, le vieillissement n'augmente pas fatalement la dépense, par un processus inéluctable, mais est largement l'affaire de choix et de politiques sociales. Le vieillissement démographique au Maroc La «révolution silencieuse» que connaît la pyramide des âges de la population marocaine prend place dans le cadre des changements politiques, économiques, sociaux, environnementaux et culturels que vit le pays. L'espérance de vie à la naissance qui ne cesse de croître, alliée à la baisse de fécondité, font que le processus de vieillissement de la population s'engage progressivement et va en s'amplifiant. En effet, la proportion des personnes âgées dans la population est passée respectivement de 4% en 1960 à 6,4% en 1980 et à 7,7% en 2004. Dans le futur, la population âgée connaîtrait une évolution spectaculaire car elle serait multipliée par 2 aux environs de 2024 et par près de 3 fois en 2034. (Source protections du CERED) Le phénomène de vieillissement présente de grandes disparités entre milieu urbain et rural et entre les régions. Il existe en effet des régions plus vieillissantes que d'autres du fait non seulement de la fécondité différentielle mais également de la migration entre les régions. Le vieillissement semble toucher plus les régions à faibles fécondités telle que Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, l'Oriental et le Grand Casablanca Situation sanitaire des personnes âgées au Maroc On note l'absence d'études épidémiologiques spécifiques sur les morbidités et les pathologies des personnes âgées au Maroc. Quelques études faites sur certaines villes décrivent la prédominance des pathologies chroniques surtout cardiovasculaires, les pathologies rhumatismales, le diabète, certaines maladies mentales surtout la dépression. L'enquête nationale sur la santé et la réactivité du système de santé-Maroc 2003 montre qu'à partir de 60 ans, presque une personne enquêtée sur deux (46%) déclare souffrir d'au moins une maladie chronique. Le taux de handicap retrouvé dans cette enquête augmente également de manière très nette au fur et à mesure que l'âge s'accroît. Il est de 33- à 60-69 ans et 73- à 70 ans et plus. Politiques et actions de prise en charge des personnes âgées Depuis la fin des années 90, plusieurs actions ont été entreprises ; un comité national pour les soins aux personnes âgées a été mis en place et une politique nationale a été rédigée. Le Service de Réhabilitation et de Gériatrie a été crée au niveau de la direction de la population pour assurer le développement, le suivi et la coordination des actions en faveur des personnes âgées. Actuellement de nombreuses réformes de protection sociale (systèmes de retraite, assurance maladie obligatoire…) sont en cours et devraient faciliter à terme la prise en charge des personnes âgées. Il persiste cependant de nombreux problèmes liés à : * Absence d'infrastructure sanitaire spécialisée: Au niveau hospitalier, il n'y a à ce jour aucun service hospitalier formel ni aucune structure sanitaire prenant en charge spécifiquement les patients âgées. Une seule unité de gériatrie (de 3 lits) existe au niveau de l'hôpital Mohamed Sekkat à Casablanca. La réalisation d'un nouveau service exclusivement consacré à la gériatrie est en projet. Quelques gériatres exercent la médecine gériatrique dans des services de médecine interne dans de nombreux hôpitaux du Royaume. Les hôpitaux IBN SINA, à Rabat et El FARABI à Oujda réfléchissent également à une organisation plus adaptée à l'accueil des personnes âgées. Concernant la prise en charge sanitaire, des problèmes persistent en se qui concerne l'accès aux soins, surtout en milieu rural, ainsi que l'accès aux médicaments et le manque d'adaptation de la prise en charge des personnes âgées répondant à leurs particularités physiques, psychologiques et sociales. * Rareté des ressources humaines spécialisées : L'insuffisance des ressources humaines spécialisées en géronto-gériatrie est également flagrante. Le personnel paramédical reçoit depuis 2002 un module d'enseignement de gériatrie, malheureusement le manque de terrain de stage limite la portée de cet enseignement. Il n'y a toujours pas d'enseignement de la gériatrie au cours des études de médecine. On souffre également d'un manque de formation continue en matière de gériatrie pour les médecins généralistes ainsi que pour le personnel paramédical et les auxiliaires de santé. Actuellement plusieurs médecins sont formés en gériatrie en France. L'objectif étant de disposer d'au moins un médecin gériatre par province dans les années à venir. * Prise en charge sociale inadaptée et insuffisante : Sur le plan social, une quarantaine de foyers hébergent environ 2200 personnes âgées sur tout le Maroc. Les problèmes majeurs de ces structures sont d'ordre sanitaire avec de gros problèmes de suivit et de formation de personnel. Le mélange de populations différentes (orphelins, enfants de populations défavorisées, patients psychiatriques, filles mères…) avec des patients âgés rend la prise en charge de ces derniers et la définition d'objectifs particuliers de prise en charge difficiles. Une mise à niveau de ces institutions est entreprise sous la responsabilité de l'Entraide Nationale. L'orientation principale reste la solidarité familiale et la prise en charge des patients âgés dans leurs familles. Cependant l'urbanisation rapide de la société marocaine et la structure de plus en plus nucléaire des familles font que de plus en plus de personnes âgées vivront seuls dans l'avenir.