Le retrait du permis pour avoir grillé un feu rouge ou omis de s'arrêter à un stop n'est légal qu'en cas de circonstances aggravantes. La loi ne fait pas obligation aux agents de police de délivrer un récépissé. Un vide juridique dangereux. Le retrait du permis est obligatoire dans le cas d'infractions inhérentes au permis lui-même. Les automobilistes ne décolèrent pas contre les services de police et de gendarmerie affectés à la circulation routière. Depuis plus d'un an, l'Etat, dans un souci manifeste d'atténuer l'hécatombe que représentent les accidents de la route en vies humaines (3 500 morts par an, des dizaines de milliers de blessés), a lancé son plan stratégique intégré d'urgence (PSIU). Entre autres mesures contenues dans ledit plan, le renforcement des contrôles. Rien que pour la région de Casablanca, 647 000 infractions au code de la route ont été enregistrées en 2005. Rassurant, disent les uns, dispropotionné jugent les autres. De fait, tout le monde reconnaît qu'il s'agit là d'une nécessité, à commencer par les automobilistes eux-mêmes. L'ire de ces derniers n'est pas dirigée contre le contrôle lui-même, mais contre les innombrables retraits de permis qu'ils subissent à la moindre incartade. La question est la même pour tous : sur quelle base juridique s'appuient les agents de la circulation pour confisquer, à tout bout de champ, le permis de conduire d'un citoyen ? L'acte devient banal. Les citoyens le ressentent comme un abus de pouvoir et s'en indignent. Les témoignages fusent. Hamid fait partie des victimes. Un matin, en allant à son travail, il grille un stop, qu'il dit n'avoir pas remarqué. Vingt mètres plus loin, un officier et un agent de la circulation sont aux aguets. On l'arrête en flagrant délit de non-respect du code de la route. On lui retire son permis. Lui a-t-on dressé un procès-verbal pour payer une amende pour contravention? Pas du tout. «La décision m'a paru très injuste. Je ne pouvais pas me passer de ma voiture, et j'avais un rendez-vous important à 9 heures.» Hamid, qui reconnaît ses torts, demande, résigné, un récépissé de retrait de permis qui lui permettrait au moins de réclamer son document au commissariat, et qu'il serait en mesure de présenter si jamais on l'arrêtait pour une nouvelle vérification de papiers. L'agent de la circulation refuse de délivrer un tel reçu. Il signifie tout simplement à l'usager «fautif» qu'il pourra se rendre au commissariat du quartier pour payer l'amende et récupérer son document. Hamid se rend d'abord à son rendez-vous. Mais son aventure de la journée ne fait que commencer, puisque sur son chemin, et comme il le craignait, il croise un autre agent de la circulation qui l'arrête et lui réclame les papiers de la voiture. Constatant que l'usager ne porte sur lui ni permis ni aucune autre pièce d'identité, il appelle le service de dépannage pour remorquer la voiture à la fourrière, et une fourgonnette de la brigade de la circulation pour l'embarquer, lui, vers le commissariat. Là, il y passe trois heures, le temps d'envoyer chercher à son domicile une pièce d'identité et de signer un PV. Commence alors un chassé-croisé entre l'arrondissement de police du quartier, où son document a été saisi, et la préfecture de police du Grand Casablanca pour récupérer ce dernier : une journée de perdue. Et 600 DH de dépenses, entre amende, frais de fourrière et service de «dépannage». Driss, lui, a connu la même mésaventure l'été dernier. Arrêté par un agent de la circulation sur le boulevard de la Gironde, il s'est fait confisquer son permis sous prétexte qu'il avait brûlé un feu rouge. «Le feu était orange, mais l'essentiel n'est pas là, puisque l'erreur est humaine, de ma part comme de celle du policier. Ce qui m'a chiffonné, c'est la façon dont s'est comporté cet agent. Comme je n'avais pas les 400 DH requis, il m'a confisqué mon permis et ne m'a pas délivré de récépissé. Il a enfourché sa moto et a filé. Je ne savais même pas où je pouvais récupérer le document». Driss commença sa recherche. D'abord auprès de la préfecture de police du bd. Zerktouni. Peine perdue: on lui indiqua un autre arrondissement, au quartier Bourgogne. Là, dans un bureau, sur une table, il aperçut quantité de permis de conduire amoncelés pêle-mêle. Le préposé a cherché, en vain. On lui désigna un troisième arrondissement au quartier Derb Soltane. Il s'y rendit. L'espoir de retrouver son permis commençait à s'émousser. Heureusement, l'adresse était la bonne : il y trouva son document. Ces deux automobilistes se sont vu confisquer leur permis de conduire à l'intérieur d'un centre urbain, et ont pu le récupérer le jour même, mais que dire des usagers qui ont affaire à la gendarmerie royale, à l'extérieur, sur les routes des périphéries rurales ? A Skhour R'hamna ou à Sidi Bouaâtmane, par exemple, ou dans un patelin perdu entre Fès et Oujda ? Là, impossible de le récupérer le jour même. La plupart du temps, les amendes sont de 400 DH, somme dont on ne dispose pas toujours ou dont on ne peut se délester lorsqu'on est sur la route. Si les automobilistes se plaignent en parlant d'injustice, d'abus de pouvoir, d'illégalité de l'acte…, les agents de la circulation, eux, arguent des consignes et des ordres quand ils ont affaire à des usagers avertis de leurs droits. Un haut responsable à la préfecture de police de Casablanca justifie : «Les Marocains ne respectent pas le code de la route. Nous nous trouvons, quotidiennement, devant des cas de conducteurs en état d'ébriété, de pneus dans un état lamentable, de voitures stationnées n'importe où. Quant à l'excès de vitesse, nous sommes les champions». Cela justifie-t-il le retrait du permis ? Dans quelles circonstances et sur quelle base juridique un agent de la circulation a-t-il le droit de retirer le permis de conduire à un contrevenant ? La loi est claire : ce sont les articles 12 et 12 bis de la loi du 20 février 1973 sur la conservation de la voie publique et police de la circulation et du roulage qui précisent les cas d'infraction pouvant motiver le retrait du permis de conduire. D'abord, ce retrait est du seul ressort du juge et ne peut être effectué que par un agent assermenté de la police judiciaire, dans des circonstances précises. L'article 12 bis de ladite loi énumère 12 infractions (dont l'excès de vitesse, le non-respect du panneau stop, du feu rouge, le non-respect de la priorité – voir encadré) passibles du retrait du permis de conduire, mais cela ne peut se faire que dans le cas où elles provoquent une autre infraction, pénale celle-là, prévue par les articles 432, 433 et 608-3° du code pénal. Tels l'homicide involontaire, ou blessures entraînant une incapacité physique, délits commis par maladresse, imprudence, inattention ou inobservation. Dans ce cas-là seulement, la juridiction de jugement, stipule l'article 12, peut ordonner le retrait du permis de conduire pour une durée de cinq ans au maximum. A l'expiration de ce délai, le condamné pourra, s'il le désire, solliciter la délivrance d'un nouveau permis. Il est d'autres cas où le retrait du permis est, cette fois-ci, obligatoire. Il s'agit du cas où « le conducteur se trouve en état d'ivresse constaté au moment de l'accident, ou s'il tente d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il peut encourir». A part ces cas-là, toutes les infractions au code de la route doivent être sanctionnées par un procès-verbal et des amendes qui vont de 100 à 400 DH. Ces amendes, l'agent peut les encaisser sur le champ, sinon il adresse le PV au parquet, auquel cas le conducteur fautif est dans l'obligation de payer le double. L'excès de vitesse en tête des infractions Un autre abus vient aggraver l'acte de retrait sans fondement juridique du permis: la non-délivrance d'un récépissé par l'agent qui arrête le conducteur fautif. Pourquoi? Tout simplement parce que le retrait de permis pour avoir simplement grillé un feu rouge ou omis de s'arrêter à un stop est illégal. Le conducteur dessaisi de son permis n'aura entre les mains, dans ce cas, aucun document pour le récupérer au commissariat et, le cas échéant, prouver ce retrait en cas de perte. L'erreur est humaine et l'agent d'autorité peut égarer le document; comment prouver alors le retrait ? Ce dernier n'est accompagné d'un récépissé que dans des cas bien précis, nous explique-t-on à la préfecture de police de la métropole. Il s'agit notamment des infractions inhérentes au permis de conduire lui-même (permis non lisible ou photo floue – voir encadré en page précédente), qu'une circulaire de la DGSN datant de 1988 a détaillées. Dans ce cas, le permis est remis aux responsables de l'Office national de transport (ONT), avec une note sur le type d'infraction commise par le conducteur, signée par le chef de la brigade de la circulation routière. Cette affaire des retraits de permis n'a pas laissé insensible le Parlement. Le 7 décembre dernier, Abdelkader Assouli, député de l'Alliance socialiste, a interpellé le ministre de l'Intérieur, Mostapha Sahel, sur le caractère abusif de ce retrait. Tout en rappelant dans sa réponse les articles de loi, le ministre a reconnu que des permis sont parfois retirés alors que le simple paiement d'une amende suffirait : « Si le paiement de la contravention se fait sur le champ, a noté le ministre, il n'y a pas de retrait de permis de conduire.» Or rien de tel n'est prévu par la loi. C'est dire que l'appréciation est laissée à l'agent qui verbalise. Et le récépissé ? Le ministre a reconnu qu'il y a bien un vide juridique et a promis qu'il sera comblé par le projet de loi du nouveau code de la route qui attend d'être voté par le Parlement. Lequel code ratisse large : des amendes allant de 300 à 7 000 DH, voire des peines de prison pour les infractions les plus graves. Automobilistes, il ne vous reste plus qu'à faire très attention !. Si, en ville, les automobilistes peuvent récupérer dans la journée leur permis confisqué au prix de nombreuses acrobaties, l'affaire se corse pour ceux qui ont affaire à la gendarmerie dans les zones rurales. Casa : 48 000 permis retirés et 70 000 mises en fourrière en 2005 ! Avec 300 000 véhicules roulants, la région de Casablanca est forcément celle où l'on enregistre le nombre d'infractions et d'amendes le plus élevé. En 2005, il y a eu 646 952 infractions au code de la route qui ont donné lieu au paiement de 205 478 amendes transactionnelles forfaitaires (ATF) qui ont généré pour le Trésor des recettes (42,4 MDH) réparties comme suit : – Amendes de première classe de 100 DH (ex : utilisation du portable, non-port de la ceinture de sécurité) : 127 596. – Amendes de deuxième classe de 200 DH (ex : éclairage défectueux, échappement fumeux…) : 6 731. – Amendes de troisième classe de 400 DH (ex : non-respect du signal stop, celui du feu rouge, excès de vitesse…) : 71 151. 48 071 retraits de permis ont été effectués et 70 361 voitures et motos ont été envoyés en fourrière. Les infractions les plus souvent constatées en 2005 : Dans l'ordre : excès de vitesse, inobservation du feu rouge, inobservation du panneau stop, chevauchement de la ligne médiane, inobservation de la priorité à droite, usage du GSM, non-port de la ceinture de sécurité, stationnement en 2e position. Les cas de retrait avec obligation de remise de récépissé Ils'agit notamment des infractions inhérentes au permis de conduire lui-même. Il s'agit de : – non-port par le conducteur de verres correcteurs alors que le permis en fait mention ; – absence de visite technique pour les conducteurs de camions et de cars de transport ; – conduite avec un permis d'une catégorie qui ne correspond pas à celle du véhicule (Catégorie B au lieu de la catégorie C) ; – conduite avec un permis non valable au Maroc ; – dépassement légal de la validité d'un permis (pour les conducteurs novices qui portent un permis de conduire valable pour une année) ; – permis détérioré, non lisible, portant une photo qui n'est pas claire ; – permis altéré ou ayant subi une quelconque falsification Retrait : 12 cas… conditionnés Les infractions permettant le retrait du permis, telles celles énumérées par l'article 12 bis de la loi du 20 février 1973, ne peuvent donner lieu à ce retrait que dans le cas où elles ont occasionné une autre infraction (pénale) prévue aux articles 432, 433, 608-3 du code pénal. Il s'agit de : – défaut de freins non accidentel ; – défaut d'éclairage de nuit non accidentel ; – circulation avec des pneumatiques non conformes aux dispositions réglementaires en la matière ; – stationnement non réglementaire, de nuit, sans lumière en dehors d'une agglomération ; – non-respect de la priorité ; – non-respect de l'arrêt imposé par un panneau de stop ; – non-respect de l'arrêt imposé par un feu rouge de signalisation ; – franchissement d'une ligne continue ; – dépassement défectueux ; – excès de vitesse par violation des signaux de ralentissement (sortie d'école, d'usine, de souk…) ; – non-respect de la vitesse imposée pour les conducteurs novices ; – défaut d'assurance.