A un an des élections communales, il accélère la cadence pour présenter une nouvelle mouture de la charte In-tercommunalité, création de nouveaux groupements d'agglomérations et renforcement de l'exécutif communal seraient les principales innovations. Après avoir prêté l'oreille aux remarques des partis et des experts, l'Intérieur les prendra-t-il en compte ? Jeudi 12 juin, à l'occasion d'une journée d'étude sur le sujet organisée par le groupe PJD à la Chambre des représentants, le ministère de l'intérieur levait le voile sur la nouvelle Charte communale, dont le texte sera soumis incessamment à l'appréciation des parlementaires. Initiée à la suite d'une longue série de rencontres nationales et régionales lancées au lendemain de la Rencontre nationale des collectivités locales d'Agadir les 12 et 13 décembre 2006, cette journée d'études devrait être suivie par des rencontres régionales à Settat, Meknès, Fès, Oujda, Laâyoune, Agadir, Casablanca et Rabat. Objectif : faire le point sur les principales recommandations relatives à la réforme du système juridique communal. «C'est la première fois que le ministère de l'intérieur engage des discussions sur le terrain, dans 8 régions du Maroc, avec des responsables et élus locaux et les associe au travail de réforme de la Charte communale» note avec satisfaction Hassan Ouazzani Chahdi, professeur de droit à la Faculté de Aïn-Chock. Les travaux de ces rencontres régionales ont permis d'établir un diagnostic préliminaire qui dégage les principaux dysfonctionnements dont souffre la gestion communale : risque d'abus de position par le président du Conseil de ville, non collégialité des décisions et manque de transparence entre l'opposition et la majorité, poids excessif de la masse salariale et des charges d'exploitation, émiettement de la ressource publique, absence de planification stratégique, chevauchement des fonctions communales et communautaires, imprécision de certaines dispositions de la loi 78.00, mais surtout une tutelle étouffante des autorités. La gestion du patrimoine communal souffre également d'un certain nombre de dysfonctionnements dus en majorité à la vétusté du cadre juridique qui date du Protectorat. Autre point particulier : l'unité de la ville et les problèmes qui s'en suivent, notamment le chevauchement des attributions des maires et des chefs d'arrondissements. A l'origine de ces multiples dysfonctionnements, Omar Jazouli, maire UC de Marrakech, souligne le fait que «la Charte communale de 2002 ait été faite dans la précipitation. Elle a été votée vers la fin de la législature par un nombre très réduit de députés». Censée remédier aux multiples insuffisances de celle de 1976, la Charte communale amendée de 2002 aurait été «élaborée initialement en français. Sa traduction en arabe a été imparfaite, ce qui a laissé plusieurs zones d'ombre à propos de certains articles relatifs à la répartition des attributions», ajoute le maire de Marrakech. Toutefois, ces problèmes justifient-ils vraiment une refonte de la charte après seulement cinq ans d'existence, et à la veille d'une nouvelle consultation électorale ? La charte de 2002 avait d'abord été écrite en français avant d'être traduite en arabe Il semble que oui, et le problème de traduction n'est qu'un parmi d'autres. Pour lutter contre les dysfonctionnements, partis politiques, spécialistes et académiciens ont émis une série de propositions qui toucheraient autant au cadre institutionnel et organisationnel, qu'aux mécanismes de gestion des services publics locaux et au système de gestion des biens communaux. Côté opposition, le PJD insiste ainsi sur deux points essentiels. «D'abord, le renforcement de la démocratie locale et l'assouplissement de la tutelle qui doit intervenir a posteriori ainsi que le renforcement du rôle des cours régionales des comptes», affirme Habib Choubani, député PJD d'Errachidia et président de la Commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme à la Chambre des représentants. Le deuxième point important, étant, selon lui, de «la refonte du mode d'élection du président du conseil et son corollaire : la collégialité des décisions». «Le choix du président du Conseil doit prendre en compte sa popularité mais surtout les résultats des urnes quitte à prévoir une élection à deux tours. Il est inconcevable que les citoyens accordent majoritairement leur confiance à un parti politique pour se retrouver à la fin avec un président issu d'une minorité» tranche M. Choubani. Des propositions d'amendement multiples de la part des partis Côté majorité, les propositions du RNI et de l'Istiqlal portent sur l'allègement de la tutelle sur les conseils régionaux, préfectoraux et provinciaux et l'octroi d'une plus grande marge de manœuvre à ces collectivités. L'USFP, quant à lui, propose, conjointement avec l'Istiqlal, l'abolition des tribunaux communaux et d'arrondissement, dont l'existence porterait, selon eux, atteinte à l'égalité des justiciables devant la justice. Mohamed El Halaissi, vice- président USFP de la Commune urbaine d'Agadir, propose également des mesures pratiques qui favoriseraient une meilleure gestion des affaires communales. Il préconise, entre autres, de «supprimer le contrôle a priori et renforcer le contrôle a posteriori pour responsabiliser les gestionnaires, exiger un niveau universitaire pour présider le Conseil Communal des moyennes et grandes villes et autoriser les présidents de ces villes à désigner un cabinet, interdire le cumul des fonctions politiques aux présidents des Conseils communaux, réduire le nombre des élus des Conseils communaux, réviser l'article 21 relatif aux sanctions à l'encontre des membres des Conseils communaux reconnus responsables d'actes ou de fautes graves, imposer la déclaration annuelle du patrimoine familial des présidents et adjoints, mettre à la disposition directe du président du conseil une brigade de forces auxiliaires pour intervenir rapidement en cas de nécessité, imposer après chaque élection communale la formation des élus locaux pour l'assimilation des dispositions de la Charte communale et faciliter l'administration électronique». On le comprend, par le biais de ces propositions, les partis politiques essaient de se doter de prérogatives supplémentaires, mais surtout de s'affranchir de la tutelle du ministère de l'intérieur. La copie qui sera rendue par le ministère de l'intérieur risque toutefois de ne pas prendre en compte ces propositions. Une source proche du dossier affirme ainsi que «le département de Chakib Benmoussa a multiplié les rencontres régionales avec les élus locaux et les spécialistes dans le but de sonder les partis politiques, avant de rendre officiel le texte de la future Charte communale, qui ne devrait pas forcément prendre en compte les conclusions et recommandations issues de ces rencontres». Mais que propose justement l'Intérieur ? Les quatre axes de la réforme Selon Abdelouahed Ourzik, directeur des affaires juridiques à l'intérieur qui représentait le département lors de la journée d'études du 12 juin, les principaux amendements de la charte actuelle s'articuleront autour de quatre grands axes : renforcement de la gouvernance locale, création de nouveaux groupements d'agglomérations, facilitation des procédures financières et fiscales des communes, renforcement et élargissement du concept de l'Unité de la ville. Le représentant du ministère de l'intérieur n'a pas soufflé mot à propos du poids de la tutelle, jugé trop contraignant par la majorité des partis politiques ni encore moins concernant le découpage électoral au grand dam des élus du PJD. En fait, tout le monde s'accorde à dire que la tutelle et la mauvaise gouvernance grèvent lourdement la gestion communale. En outre, si la charte a permis aux citoyens de gérer par eux-mêmes leurs affaires locales, elle n'en a pas moins prévu un contrôle a priori des instances élues. Et c'est toujours au ministère de l'intérieur que revient ce pouvoir de contrôle appelé «Tutelle» et qu'il partage à certaines occasions avec le ministère des finances et les cours régionales des comptes. Ce triple contrôle pèse lourdement sur la gestion communale. Selon M. Ouazzani Chahdi, lors des rencontres régionales, «la direction des collectivités locales a demandé l'avis des participants au sujet de quatre points essentiels qui correspondent aux quatre domaines de réforme prévus». Concernant la gouvernance locale, M. Ourzik a annoncé que le projet vise à renforcer l'exécutif communal (au détriment du Conseil communal) afin de garantir au président un climat stable et propice pour exécuter son mandat. Cette mesure irait à contre-sens des desiderata des partis, notamment l'USFP et le PJD. M. Choubani critique le fait que «la charte donne beaucoup d'attributions au président du conseil au détriment des autres membres sans pour autant prévoir des mécanismes pour l'obliger à en déléguer certaines ou à en partager l'exercice avec eux». En réalité, le statut et les prérogatives du président de la commune sont très problématiques, même si Abdelouahed Ourzik affirme que le nouveau projet délimitera les attributions des maires, présidents et chefs d'arrondissements, et fixera les modalités de délégation des attributions du président au profit des vice-présidents. Ces derniers ne devraient pas se voir déléguer plus d'une mission chacun. Le ministère de l'intérieur essaie tant bien que mal de proposer une formule qui renforcerait les pouvoirs du président de la commune tout en préservant -mala-droitement- la collégialité des décisions au sein du conseil. Sur le même registre, le projet prévoit également, selon Abdelouahed Ourzik, le renforcement du rôle du secrétaire général qui, engagé sur une base contractuelle, aurait désormais pour mission de décharger le président de la commune de toutes les tâches administratives (gestion des ressources humaines, finances, administration quotidienne…) afin de renforcer et d'améliorer les prestations et services de l'administration locale. Un renforcement qui devrait également contribuer à pallier l'absence de planification stratégique. L'intercommunalité pour gérer conjointement les services publics Autre point visé par le projet d'amendement : les problèmes posés par les partenariats public/privé. Le ministère de l'intérieur compte ainsi encourager les communes à s'organiser de manière volontaire au sein de groupements d'agglomérations urbains. En effet, le projet d'amendement prévoirait la création d'entités privées, qui ne sont ni des régies et encore moins des gestions déléguées, pour gérer des services publics locaux. Cela imposerait l'application du principe d'intercommunalité, un con-cept nouveau qui permet à deux, trois ou plusieurs communes de coopérer entre elles, soit en signant une convention pour la réalisation de projets d'intérêt commun, soit en s'organisant dans le cadre d'un groupement qui prendrait la forme d'un établissement public, selon M. Chahdi. Ces nouveaux groupements disposeraient de plusieurs attributions, contrairement aux anciens qui ne pouvaient en avoir qu'une seule, et s'appelleraient désormais «sociétés locales de développement» pour les différencier des sociétés d'économie mixtes. Autre nouveauté, le texte garantirait à ces groupements l'exercice exclusif de ces attributions. L'intérêt de l'intercommunalité et des groupements d'agglomérations étant de permettre aux communes de mieux gérer certains services publics locaux, comme les transports, l'assainissement, l'électricité, au lieu d'en déléguer la gestion. Par exemple, des villes comme Rabat, Salé, Témara et Skhirat peuvent constituer un groupement d'agglomérations pour gérer les transports publics. Toutefois, pour être réussie, la réforme de la Charte communale doit nécessairement s'inscrire dans le cadre d'une vision globale, qui prévoit également la révision des listes électorales, du mode de scrutin, la mise en place d'un nouveau découpage communal, ainsi que la révision à la hausse ou à la baisse du nombre des membres des Conseils des communes urbaines et rurales qui ont connu une importante évolution démographique. De tels objectifs pourront-ils être atteints sans que partis et experts ne mettent la main à la pâte ? .