Le conseil national souhaite avoir plus de poids et plus d'emprise sur la direction du parti. Une commission permanente créée pour préparer les communales de 2009 et le prochain congrès, en juillet 2008. Projet politique, alliances, action sur le terrain, de grandes questions posées lors du dernier conseil national du 28 décembre. Déçu par la tournure des évènements au lendemain des élections législatives du 7 septembre, le Parti de la justice et du développement (PJD) affûte déjà ses armes pour le prochain combat : celui des élections communales de 2009. Réuni du 28 au 30 décembre dernier au Centre d'accueil Moulay Rachid à Bouznika, le conseil national du parti, dirigé par Saâd-Dine Elotmani, ne s'est pas contenté de fixer la date de son prochain congrès ordinaire (19 et 20 juillet 2008) et d'élire les trente membres du comité chargé de le préparer sous la direction de Abdellah Baha, son secrétaire général adjoint. Le conseil a aussi créé la surprise avec la mise en place d'une commission ad hoc pour les élections, à plus d'un an de la prochaine échéance électorale, attendue pour l'été 2009. Deux millions de dirhams et des communales à effets multiples Prenant au dépourvu la direction du parti puisqu'elle ne figurait pas au programme des discussions de la journée, la nouvelle structure, de nature permanente, est dirigée par Abdessamad Sekkane, membre du conseil national du parti, qui avait chapeauté la commission similaire destinée à la préparation des élections législatives de septembre 2007. «Selon la procédure, je dois faire une proposition au secrétariat général qui doit trancher. J'ai donc remis à ce dernier une liste de 11 noms et j'en attends l'approbation», explique le président de la commission qui projette de travailler avec d'anciens directeurs de campagne, des parlementaires, des membres de collectivités locales, des juristes et des spécialistes de la communication. Ainsi constitué, cet organe aura pour mission d'aider le PJD, parti urbain par excellence, à réaliser son ambition ouvertement affichée de se présenter dans un maximum de circonscriptions aux prochaines élections communales, y compris dans le monde rural. La commission électorale devra, entre autres, travailler à déterminer le mode de sélection des candidats, la stratégie électorale du parti, et même la manière dont ce dernier devrait sceller ses alliances, à l'échelle nationale ou locale. Prévu dans un contexte oà1 l'impact des résultats en demi-teinte aux élections du 7 septembre ne s'est pas encore estompé, le sixième congrès du PJD devrait permettre de se faire une idée précise de la manière dont le parti se prépare à remonter la pente. Un événement qui devrait lui coûter la coquette somme de deux millions de dirhams, soit plus de 20% des ressources réservées à l'exercice 2008. Un événement qui devrait également s'accompagner de changements plus profonds. Cruciales, les élections communales de 2009 le sont doublement pour le parti islamiste. Premières échéances du genre depuis le 12 septembre 2003, oà1 le parti avait été pénalisé par les attentats du 16- Mai, ces dernières constituent non seulement une porte ouverte vers une plus grande influence locale, mais aussi un ticket indispensable pour la Chambre des conseillers. En effet, malgré son influence dans les conseils de ville, notamment à Meknès, Témara, ou Casablanca, le parti islamiste n'a joué depuis septembre 2003 qu'un rôle marginal à l'échelle locale, avec seulement 593 élus à travers le pays contre… 5 160 pour le Mouvement populaire unifié et 3 890 pour le Parti de l'Istiqlal. Une situation qui, bien logiquement, s'est reflétée dans les résultats, lors du renouvellement des membres de la deuxième Chambre oà1 le parti est resté quasi absent, même après le renouvellement du tiers de la Chambre en septembre 2006. L'année 2007 n'a pas été faste non plus pour le parti islamiste. Classé premier à l'échelle nationale en terme de nombre de voix (10,9% contre 10,7% pour le parti de l'Istiqlal), le PJD n'a obtenu que 46 sièges contre 52 pour l'Istiqlal au niveau de la Chambre des députés. Une performance légèrement moins bonne que prévu, qui, au vu du raz-de-marée annoncé mais non survenu et de l'échec du parti à entrer au gouvernement, a mené à l'éclatement de la bulle médiatique qui en avait fait la coqueluche des médias depuis 2002. Mais ce n'est pas tout. Resté à l'opposition, le parti de Saâd-Dine Elotmani n'y est plus aussi à l'aise que par le passé, gêné qu'il est par la présence de deux poids lourds qui lui font de l'ombre, l'USFP et le Mouvement populaire. Le premier a, en effet, redonné un tonus oublié à son groupe parlementaire via son soutien critique au gouvernement et le second prévoyant de passer à la vitesse supérieure dès le mois de janvier courant. La conférence de presse, prévue à la mi-janvier au sujet des activités du parti au Parlement, entraà®nera-t-elle une réaction ? Une chose est sûre, cette situation est d'autant plus difficile à vivre pour le parti islamiste que, malgré une coopération ponctuelle sur des points précis, il ne peut toujours pas se vanter de disposer d'un accord formel avec ses colocataires dans l'opposition, qui lui permettrait au moins de quitter le statut de paria politique. Ironie du sort, il ne peut même plus s'offrir le luxe de mettre en avant son alliance avec Forces citoyennes depuis que l'unique député du parti de Abderrahim Lahjouji s'en est allé rejoindre le groupe de Fouad Ali El Himma… Passer de la démocratie de consensus à celle de la concurrence des projets Cette situation aussi complexe qu'inattendue n'a pas manqué de susciter le mécontentement de la base à l'égard de l'équipe dirigeante du parti. Toutefois, interrogés, plusieurs cadres du PJD nient qu'elle ait eu un impact sur l'équilibre existant entre les forces en présence au sein du PJD (voir encadré). Une situation que confirme Lahcen Daoudi, vice-secrétaire général adjoint du parti, qui se dit toutefois inquiet de l'impact d'une éventuelle nouvelle «exclusion» du parti sur le moral des troupes. «Si, en 2009, nous avons droit à la même mascarade qu'en 2007, ce n'est pas un durcissement [du parti] que je crains, mais le fait que les gens puissent penser qu'il ne sert plus à rien de faire des élections. Il ne faut pas que le pessimisme gagne le PJD, cela serait grave, et il s'agit là d'un avertissement que j'envoie à tout le monde», explique-t-il. Et de souligner : «Il y en a qui ne veulent plus se présenter au Parlement». Et voilà le PJD qui ressort encore une fois sa théorie de la victoire spoliée. Cela dit, la réunion du conseil national semble avoir été l'occasion pour le parti de lancer une amorce de débat sur son avenir. «Beaucoup de questions ont été posées durant ce conseil national, sur des aspects comme la réforme politique, la démocratisation, les droits de l'homme, ou encore notre projet politique, lequel est déterminant pour notre discours, nos alliances, notre action sur le terrain», explique Aziz Rebbah, patron de la jeunesse du PJD (voir encadré ci-dessus). Un débat profond, aux implications aussi bien politiques qu'organisationnelles pour la formation de Abdelkrim Khatib. «Il est vrai que notre parti est considéré comme l'une des formations les plus démocratiques, qui respecte ses institutions, ses règlements internes, etc.», explique Aziz Rebbah, qui déplore que depuis la transformation de l'ex-MPDC en 1996 le parti se soit distingué par une «démocratie de consensus», qui consistait essentiellement à choisir le secrétaire général du parti et son équipe, et à leur abandonner le choix du programme national. Des courants sur le long terme ? Désormais, le conseil national du PJD se prend à rêver d'un système qui lui permettrait de peser davantage dans le processus de décision du parti, et jouer concrètement le rôle de Parlement du PJD. Un rôle qui, en principe, lui revient de droit, mais difficile à appliquer sans quelques changements au niveau des statuts du parti. Certains proposent l'activation du bureau du conseil national présidé par Abdelilah Benkirane, d'autres des réunions plus fréquentes du conseil, autant de réglages qui ne pourront prendre forme qu'à l'occasion du prochain congrès. Avec un processus de décision moins centralisé, le futur PJD ira-t-il jusqu'à mettre en place un système de courants politiques ? L'idée a déjà été proposée par Mustapha Ramid, l'actuel chef du groupe parlementaire du parti. Ce dernier, lui-même à la tête d'un courant qui ne dit pas son nom, souligne l'existence de visions différentes» au sein du parti, notamment sur le plan de la révision constitutionnelle ou encore de la participation au gouvernement. Au niveau du parti dans son ensemble, la tentation n'est pas loin, certains proposant de donner la possibilité aux gens de proposer leur projet politique, leur façon de voir le parti, et que le congrès national soit l'instance finale de sélection de l'équipe et de son projet de gestion du parti, explique Aziz Rebbah. Ce dernier se défend toutefois d'aller jusqu'à soutenir l'idée de courants politiques au sein du parti islamiste car, selon lui, des courants politiques impliqueraient l'existence de divergences sur les grandes orientations du parti, ce qui n'est pas le cas (voir encadré). Et de mettre en avant la notion de contrat pour le choix de l'équipe dirigeante, et d'évaluation de celle-ci par le conseil national. Encore faudrait-il arriver à implanter un tel système, un fait d'armes qu'aucun des poids lourds de la scène politique marocaine n'a encore tenté.