Une liste de manuels «pirates», truffés d'aberrations, a été déclarée hors-la-loi dans les écoles, mais ils restent libres à la vente. La réforme des manuels homologués n'est pas encore achevée, mais déjà un léger mieux est perceptible. Le 16 Mai a offert une opportunité historique à un débat crucial pour la construction démocratique, celui de la place de la religion dans l'espace public en général et dans le système éducatif national en particulier. Les manuels d'éducation islamique et la vision du monde véhiculée par une certaine lecture de l'islam, de l'école à l'université, sont devenus des sujets d'actualité. Appels à l'exclusion, incitation à la haine et au racisme, images dégradantes de la femme, rejet de l'Autre qu'il soit chrétien ou juif, absence de toute information sur les autres religions, présentation de l'islam comme la solution à tous les problèmes, etc. Une refonte globale s'imposait comme passage obligé vers une insertion dans les valeurs universelles de modernité et des droits de l'homme. Ces dérives ont parfois tourné à la caricature grotesque, comme dans ce manuel d'éducation artistique et d'initiation à la technologie, destiné aux élèves de la 5e année du primaire, où l'on montrait des images distinguant deux groupes de personnes. A gauche : barbes hirsutes, hardes fripées et mines patibulaires ; à droite : cheveux couverts, barbes soignées et visages sereins… Quelle était la question posée? Il fallait distinguer les «musulmans» des «mécréants». On imagine aisément la réponse suggérée. Cette vision primaire avait choqué par son manichéisme. Où était passé l'esprit de tolérance et de coexistence entre les religions tant vanté par les discours officiels ? Pour une fois, le ministère de l'Education nationale avait fait preuve d'une remarquable réactivité. Dénoncé par la presse (voir La Vie éco datée du 18 juillet 2003), le 18 juillet, le manuel scolaire en question a été interdit d'utilisation dans le système éducatif national, mis hors la loi et retiré du marché en vertu d'une circulaire ministérielle datée du 7 août 2003. D'autres manuels devraient connaître le même sort. Nous avons ainsi fait le tour de plusieurs librairies casablancaises et acheté huit manuels d'éducation islamique. Quatre d'entre eux présentaient plus ou moins les mêmes tares dénoncées plus haut. Trois ne comportaient même aucune image de personnes du sexe féminin. Pour ces trois manuels, les petites filles et les femmes n'existent pas. Ils ont pris le parti de les éliminer. Leur univers se compose exclusivement d'hommes. Une bien curieuse manière d'enseigner la religion. Discrimination, port du voile et manuels pirates Quant au quatrième manuel: Fi Rihabi Tarbiya al Islamiya (niveau de 1ère année du fondamental), il a opté pour une autre démarche. Dans ce manuel, on ne peut pas dire que le sexe féminin n'est pas représenté. La technique a été, quel que soit l'âge de la petite fille, de l'affubler systématiquement d'un voile. La caricature grotesque est, là aussi, au rendez-vous, par exemple à la page 108. Trois images sans texte : une petite fille, voilée, qui baise la main de son père ; une autre petite fille, tout de blanc vêtue, passe l'aspirateur et, à côté, un petit garçon reçoit, lui, un livre d'un parent. Sans commentaire ! Interrogé à ce sujet, Abderrahmane Rami, directeur des Curricula au ministère de l'Education nationale, s'en explique. Une circulaire a été adressée aux directeurs des Académies régionales de l'éducation-formation, leur demandant de veiller à ne pas utiliser ces manuels. Pas moins de quinze autres manuels et trois collections sont interdits d'utilisation dans les établissements scolaires de l'Education nationale. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de manuels «pirates». Librement proposés à la vente, ces manuels ne sont pas homologués par ce département. Les parents d'élèves sont donc appelés à la vigilance. Tout manuel scolaire qui ne comporte pas la mention «Homologué par le ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse», au haut de la couverture, ainsi que le numéro et la date de cette homologation au dos du manuel (4e de couverture) est un manuel pirate. Mieux encore, tout support scriptural, magnétique ou électronique, qui n'aurait pas été validé par la Commission pédagogique du ministère (elle se compose de 63 experts et personnalités indépendantes) ne doit pas être utilisé dans les écoles, collèges et lycées du Royaume. Il ne faudrait pas, souligne M. Rami, que le 16 mai devienne un prisme déformant. L'adoption des nouveaux manuels a commencé dès l'année scolaire 2002-2003 et, aujourd'hui, quatre niveaux (la 1re, la 2e et la 4e années du primaire et la 1ère année du collège) en sont déjà pourvus. Elle se poursuivra sur les trois prochaines années. A la rentrée 2004-2005, trois niveaux seront concernés (la 3e et la 5e années du primaire et la 2e année du collège). M. Rami estime que des efforts réels ont été entrepris depuis l'adoption de la Charte nationale d'éducation-formation en octobre 2000 (voir article en page 53). «Les nouveaux manuels scolaires sont élaborés pour la première fois sur la base d'un cahier des charges très précis comportant 45 normes pédagogiques et 15 normes techniques». Pour réussir, une telle entreprise, particulièrement en matière d'enseignement religieux, doit s'accompagner, comme le souligne le chercheur Mohamed Seghir Janjar (voir interview en pages 51 et 52) de la possibilité «d'approcher le religieux hors du registre de la foi et de la conviction; en tant qu'objet de connaissance et moyen de compréhension des sociétés humaines. C'est au prix d'une articulation équilibrée du "croire" et du "savoir" qu'un enseignement de la religion est aujourd'hui possible». En ce qui concerne les institutions académiques d'enseignement de la religion (études islamiques, Qarawiyyine et Dar al Hadith al Hassania), cette articulation est plus que nécessaire. Manuels d'éducation islamique destinés aux élèves de 1re année du primaire dont l'utilisation a été interdite dans les écoles par le ministère de l'Education nationale.