Le Plan d'accélération industriel a enclenché une belle dynamique pour le secteur textile avec plus de 168 conventions signées à fin février 2019 et un triplement des investissements engagés. L'AMITH souhaite des compensations fiscales et/ou budgétaires pour faire face aux effets néfastes des importations informelles et de marques low cost. A la veille de la fin de son mandat, Karim Tazi, président de l'AMITH, livre à La Vie éco le bilan de ses trois ans à la tête de l'association. Il parle également de l'informel, de l'invasion des marques low cost et de la contrebande… Pouvez-vous nous dresser le bilan de 3 ans de présidence de l'AMITH ? Dans le cadre du Plan d'accélération industrielle (PAI), nous avons réalisé de grandes avancées en matière de création d'emplois, d'investissement, de croissance de chiffre d'affaires à l'export et de création de nouveaux projets ou de projets de développement. Selon la CNSS et les chiffres retraités par l'administration de tutelle, depuis 2014, le textile et l'habillement ont créé 79 300 nouveaux emplois. Selon le HCP, le secteur du textile a créé 11 000 emplois nets en 2018. Il se positionne comme étant le premier créateur d'emplois nets. En 2018, nous avons franchi pour la première fois la barre des 38 milliards de dirhams d'exportation. Quelles sont les conventions d'investissement signées ? On dénombre plus de 168 conventions signées à fin février 2019 et un triplement des investissements engagés alors qu'il n'y avait pratiquement pas d'investissements avant le PAI. Par type, plus de 138 conventions Imtiaz ont été signées, ajouté à cela une vingtaine de conventions locomotive et une dizaine de projets innovation. Les projets sont implantés en grande partie sur l'axe Casa-Rabat et Tanger mais on dénombre également des projets répartis sur tout le territoire à Oujda, Al Hoceima, Fès et Meknès. Dans les conditions actuelles de concurrence déloyale sur les marchés local et étranger, ces projets représentent une petite victoire. Mais il faudrait soutenir encore plus les projets du PAI en y mettant des éléments de coordination, un meilleur environnement des affaires avec un focus sur la digitalisation et l'industrie 4.0. Comment comptez-vous réaliser ces objectifs ? Nous avons identifié trois piliers clés. Le premier concerne les hommes et l'expertise. Le but est de renforcer tous les dispositifs de formation et d'accompagnement des entrepreneurs, par le biais d'actions concrètes. Celles-ci se déclinent à travers la signature d'un partenariat avec un centre technique portugais, le CITEVE. L'engagement du ministère de tutelle est ferme sur la réalisation de ce projet. On arrive aux dernières étapes de montage de ce projet avec le département des finances. Le CITEVE portera pour sa part l'ingénierie et la mise à niveau des instituts de formation classiques l'Esith et Casa Moda ainsi que les compléments en matière de formation professionnelle. L'objectif est de mettre en place des ingénieries de formation avec les nouveaux enjeux de la digitalisation et du textile 4.0. Nous aspirons surtout à accompagner les entreprises du secteur. Le profil du cadre, de l'ouvrier et du technicien textile ne cessera pas d'évoluer. Il s'accélérera à une vitesse inimaginable tous secteurs confondus. Dans ce cadre, un changement du mindset des chefs d'entreprise est plus que nécessaire. L'expérience portugaise a d'ailleurs réussi à transformer les chefs d'entreprises en apporteurs de solutions, en allant au-delà des attentes de leurs clients, en les coachant pour qu'ils aient l'état d'esprit de conquérants, afin de développer de nouveaux marchés. Le deuxième pilier concerne le financement. L'AMITH a réalisé l'inventaire des dispositifs de financement. Il existe énormément de dispositifs de financement pour la TPE-PME mais beaucoup moins pour le passage de la PME à la grande entreprise. On peut en citer les dispositifs de Maroc PME, la Caisse centrale de garantie, les conventions et les nouveaux produits bancaires. L'ensemble de ces dispositifs permet à des TPE et PME, dès lors qu'elles veulent être transparentes, de financer tout leur cycle de développement (investissement et exploitation). D'ailleurs, il faut saluer le travail de Maroc PME, des banques, de la CCG et de Bank Al-Maghrib qui impose désormais un quota de financement important vers les PME et les TPE. Des dispositifs manquants ont été incorporés dans le cadre de conventions avec les banques. Au regard de la promotion, une convention élargie a été signée avec l'AMDIE (Agence marocaine de développement des investissements et des exportations) qui répond désormais à tous les besoins des acteurs, quelle que soit leur typologie allant de la prise en charge d'un salon collectif ou individuel à celle d'une représentation commerciale. Des procédés nouveaux soutiennent cette dynamique. En outre, un ensemble d'actions sur la compétitivité des acteurs couvrant les programmes de Lean Confection, l'amélioration de la productivité des financements de Maroc PME pour l'innovation et l'assistance technique ont été enclenchés. Le troisième pilier est relatif à l'amélioration de l'environnement des affaires. Les attentes de nos industriels portent sur la lutte contre toute forme de concurrence déloyale à la fois sur le marché local et à l'export pour améliorer la compétitivité. Sur le marché local, elle se traduit par la lutte contre l'informel d'importation ainsi que l'invasion des marques à bas-prix destructeurs de valeurs et d'emplois industriels. Nous sommes soutenus en cela par les ministères, la Douane et l'administration fiscale qui déploient des efforts inédits dans ce sens. A l'export, nous réalisons un travail sur la simplification des règles d'origine avec l'Union Européenne et les Etats-Unis pour permettre à nos acteurs de bénéficier d'un meilleur accès sur ces marchés, quelle que soit l'origine des matières composant leurs produits, à l'instar de certains de nos concurrents asiatiques ou européens telle que la Turquie. Ces grandes manœuvres clés permettent de donner au PAI le plus de performance possible. Le PAI est un excellent dispositif qui répond à l'ensemble de nos doléances en termes de soutien. Nous souhaitons que l'ensemble des ministères, des administrations, des partenaires institutionnels appuient sa dynamique de développement. Quelles sont aujourd'hui les menaces pour le secteur, notamment sur le marché local ? La concurrence déloyale de produits défiscalisés d'importation informelle tire vers le bas tous les acteurs. Il faut réaliser que si on fiscalise la production informelle marocaine, on augmentera mécaniquement les prix de 25 à 30%. Le marché n'est pas en mesure d'accepter cette augmentation de prix. Pour les industriels, la valeur ajoutée par emploi textile est située entre 36 000 et 40 000 dirhams par an. Soit un peu plus que le Smig annuel. Aujourd'hui, la taille du marché local est de près de 46 milliards de DH, captée aujourd'hui à plus des deux tiers par l'importation formelle mais surtout informelle qui a ses propres logiques. En maintenant une concurrence déloyale, en ayant une formation défaillante, une absence de structure d'accompagnement technique de qualité, un manque de coordination entre départements, notamment dans le financement des projets où la multitude de dispositifs vertueux souffrent d'un manque de coordination, on ne peut améliorer cette valeur ajoutée. Du montage du projet à la réalisation effective, un industriel peut passer deux ans sans garantie de succès de son projet. Une gouvernance économique forte de l'industrialisation est plus que nécessaire. Dans un pays où chaque année près de 300 000 demandeurs d'emploi arrivent sur le marché du travail, on ne peut faire l'économie de rationalité. Si on capte ne serait-ce que 20% additionnel du marché local, imaginez ce que serait la situation du tissu économique national et de la dynamique sur l'emploi. Qu'en est-il des effets de cette concurrence sur le tissu économique marocain ? La production formelle de textile au Maroc est de 11 milliards de DH sur une consommation locale estimée de 45 milliards. Elle baisse de 5% par an depuis 2010 alors que l'import informel croît de 29% sur la même période. Il est passé de 4 milliards de DH en 2010 à 14 milliards en 2016. L'essentiel de la croissance du marché, +3 à 5% en moyenne annuelle, est capté par l'importation déloyale. Même la production informelle souffre de cette situation. Elle était de 14 milliards de DH en 2010 et est passée à 12 milliards en 2016. Aucun business model industriel au Maroc ne peut être compétitif face à la concurrence déloyale. Que préconisez-vous face à cela ? Face à la concurrence déloyale, l'Etat doit, pour arrêter l'hémorragie que subit la production nationale, mettre en place des compensations fiscales et/ou budgétaires. A la veille des Assises du commerce et de la fiscalité, les demandes de l'AMITH sont axées sur l'amélioration de la compétitivité et surtout la protection au maximum du produit fini qui se place à la base de la création d'emplois et de richesses. Il est aussi capital de créer un statut fiscal, juridique et social adapté aux unités de production informelles (d'une taille à définir) inspiré de l'auto-entrepreneur afin de leur permettre la migration progressive vers le formel. Quels sont vos objectifs pour la prochaine mandature si vous êtes réélu ? Des élections seront organisées. En attendant, mon souhait est de renforcer tous les fondamentaux du secteur productif, continuer à les mettre en œuvre et soutenir un PAI 2.0, mais aussi d'apporter des avancées à l'amélioration de l'environnement des affaires qui reste encore compliqué malgré les avancées et mettre les bouchées doubles sur la digitalisation et l'industrie 4.0. La sustainability ou mise en conformité aux normes sociales et environnementales est tout aussi importante. C'est une marche universelle forcée demandée par les consommateurs du monde entier et surtout des millénials qui aspirent de plus en plus à consommer de manière responsable et éthique, condamnent les produits réalisés par des mineurs ou dans des conditions ne respectant pas les normes de production internationales en matières sociale, d'hygiène et de sécurité au travail ou dont les process industriels contribuent à la pollution ou à la détérioration de l'environnement. Nous avons déjà proposé des solutions via Maroc PME avec un dispositif pour le traitement des eaux usées. Avec le ministre Moulay Hafid El Alamy, on est convaincu que le PAI 2.0 doit répondre à toutes ces problématiques et être beaucoup plus inclusif et orienté TPE-PME. On est complètement aligné sur cette dimension. A Lire aussi : Amith : Karim Tazi veut rempiler