Les taux d'intérêt à long terme restent élevés alors que les rythmes d'inflation ont nettement baissé. Cette tendance contraint l'ensemble du système productif à offrir à ceux qui le financent des niveaux de rémunération conséquents : d'où une forte montée des exigences de rentabilité qui se sont traduites par l'élimination des activités les moins rentables et donc par des licenciements. Au bout du compte, la part du gà¢teau qui échoit aux salariés tend à diminuer. On croirait une étude de cas pour étudiants de quatrième année d'économie : vous avez un pays, en l'occurrence le Maroc, oà1 le train des réformes économiques et sociales est engagé depuis plus d'un quart de siècle mais oà1 l'activité stagne et le chômage se maintient au plus haut niveau. Deux diagnostics ont été établis par des autorités en la matière. D'un côté, la Banque mondiale, qui a identifié une série de freins à la croissance : impôts élevés, dirham surévalué, économie trop protégée, Code du travail trop rigide et question de gouvernance. De l'autre côté, l'avis ferme du premier ministre, selon lequel les problèmes sont autres et ont pour noms : faible niveau de la productivité, insuffisante intégration du tissu productif et contraintes logistiques. J'ai donc demandé à mes étudiants quelle explication il fallait retenir. La réponse fut surprenante. Nos dirigeants et nos bailleurs de fonds ont mis le doigt sur quelques sources du blocage de la croissance, mais ils en ont omis d'autres, à l'effet encore plus incontestable. L'explication la plus répandue auprès des diplômés en herbe est celle qui souligne l'insuffisance de la consommation : quand les débouchés ne sont pas au rendez-vous, la production marque le pas et l'investissement ne se bouscule pas. Cette explication renvoie en fait à une autre : la consommation est ramenée à une portion plus réduite en raison d'une épargne excessive. Généralement, on la lie à l'inquiétude des ménages face à un avenir incertain. Cette explication n'emporte pas totalement la conviction, même si elle comporte incontestablement une part de vrai. En poussant un peu, cette explication revient à présenter l'épargne comme une sorte de mouvement fluvial, avec des phases de crue et des phases d'étiage. Or, ce n'est pas ainsi que les choses se passent : les hauts et les bas de l'épargne sont déterminés bien plus par des changements dans la répartition des revenus que par des fluctuations dans les envies ou les angoisses des consommateurs. Or, au cours des dix dernières années, la répartition du revenu national semble avoir évolué en faveur des plus nantis. Un autre facteur, sans doute plus important, a été également évoqué : les taux d'intérêt à long terme restent élevés alors que les rythmes d'inflation ont nettement baissé. Cette tendance contraint l'ensemble du système productif à offrir à ceux qui le financent des niveaux de rémunération conséquents : d'oà1 une forte montée des exigences de rentabilité qui se sont traduites par l'élimination des activités les moins rentables et donc par des licenciements. Au bout du compte, la part du gâteau qui échoit aux salariés tend à diminuer. On voit donc que le constat d'un ralentissement des dépenses de consommation plonge ses racines beaucoup plus profondément qu'un simple mouvement psychologique. A ces explications, s'en est ajoutée une autre : celle de la paralysie des moyens de la politique économique. Traditionnellement, la politique économique s'appuie sur deux instruments de base pour parvenir à ses fins : la politique budgétaire et la politique monétaire. La première consiste à augmenter ou à diminuer les dépenses publiques ou les recettes fiscales pour ajouter ou retirer du pouvoir d'achat, selon les cas. Quant à la politique monétaire, il faut agir sur le niveau des taux d'intérêt à court terme, afin d'accroà®tre ou de réduire le volume des crédits. Bien entendu, il existe bien d'autres leviers d'action, mais aucun n'a ce caractère potentiellement massif que revêtent ces deux instruments. Or, force est de constater qu'ils sont aujourd'hui paralysés. La politique budgétaire, en raison du coût de l'endettement public, la politique monétaire, en raison de la nécessité de maintenir les parités de change de la monnaie nationale. Résultat : face à une conjoncture morose, les pouvoirs publics demeurent impuissants. Tout cela n'est pas faux, mais demeure toujours insuffisant. Car, derrière ces constats – celui d'une déformation de la répartition du revenu national qui contribue à déprimer la consommation, et celui d'une paralysie des instruments habituels d'action publique – se cache un problème beaucoup plus profond qui explique la langueur prolongée de notre économie : la lancinante question du fonctionnement des institutions, du mode d'exercice du pouvoir et de la prise de décision.