Il serait difficile d'énoncer exactement le modèle adopté par le Maroc durant ces cinquante dernières années. Paradoxalement, le résultat final, l'image qu'on peut établir de notre économie reste remarquablement constante, ce qui en soi est une défaite pour ceux préconisant un certain dynamisme économique, en l'occurrence des sources productives (et si possible équitables) pour la croissance de la création de richesses. La première série de graphes s'emploie à illustrer la décomposition de l'évolution du PIB en deux grandes familles de stimulants de croissance : c'est à travers la confrontation de l'offre et de la demande que la croissance se réalise année par année, et l'on se propose de décomposer celle-ci au-delà de la simple comptabilité brute des contributions en pourcentage de PIB, mais en supposant que ces stimulants de croissance sont indépendants les uns des autres, mais surtout, en attribuant à l'offre et à la demande leurs parts respectives dans la volatilité autour de la croissance moyenne du PIB jusqu'en 2011. D'une manière générale, l'économie marocaine aura enregistré des points indéniablement positifs, notamment son détachement graduel de la consommation. L'indicateur le plus pertinent à cet égard est le déclin tendanciel de la consommation totale des ménages rapportée au PIB (encore qu'il est possible de démontrer que ce déclin est trop lent en comparaison avec les niveaux théoriques anticipés). Mais malgré tout, cette même consommation continue de constituer un pourcentage non négligeable dans la croissance du PIB. Et cette performance porte en elle deux éléments negatifs : la destruction finale de la valeur du capital accumulé, et la distribution de cette destruction. L'aspect négatif de la consommation est qu'elle transforme justement une production en utilité pour ses consommateurs, et le cycle du bien (ou service) consommé atteint son stade ultime. On peut donc observer que des niveaux élevés de consommation auront tendance à handicaper l'accumulation de richesses (sous forme monétaire ou patrimoine physique) et donc l'amélioration moyenne du patrimoine, ainsi que la consommation future potentiellement supérieure. L'autre aspect négatif est la distribution très inégalitaire de la consommation finale des ménages, laquelle sera irrémédiablement liée à une distribution des revenus analogue. Les raisons de cette dispersion dans les modes de consommation des ménages marocains sont pléthoriques, mais il y a possibilité de démontrer que l'effet combiné des choix de politique fiscale (par exemple dans les dépenses fiscales inscrites annuellement dans le Projet de Loi de Finances) et de subvention de biens ont des effets de distorsion sur les habitudes des ménages principalement bénéficiaires. A ce sujet, en décomposant la volatilité de la croissance du PIB entre composantes de demande et d'offre, on observera que le rapport est de 1 à 3 en faveur des chocs de demande, un démenti assez fort de la volonté du régulateur à vouloir protéger le pouvoir d'achat des ménages. Voici une illustration donc d'un gouvernement à priori bénévole, souhaitant protéger une certaine population au nom d'objectifs de statu quo, mais y échouant car s'y prenant mal, ou contraint dans les choix d'instruments par d'autres populations dont les perspectives d'accès privilégié à un bien public sont meilleures : la non-réforme de la caisse de compensation n'est pas un refus du gouvernement (dans sa définition générale) à faire passer la subvention aux ménages méritants, mais à sa faiblesse face à d'autres ménages et agents économiques bénéficiant du système actuel, et argumentant avec force contre toute réforme allant à l'encontre de leurs intérêts propres. Le résultat immédiat sur les composantes de demande dans la croissance du PIB est la dépendance quant aux biens de consommation finale et domestique (plutôt que la consommation du reste du monde, ou d'activités productives et/ou d'investissement). Paradoxalement, l'effet de contribution est inversé lorsqu'on considère appliquer le même exercice à l'indice des prix : il s'avère ainsi que les contributions respectives des chocs d'offre et de demande sont équitablement réparties, encore que l'inflation par l'offre est notamment plus instable, comme on peut le voir sur le graphe ci-après : L'argument expliquant ce paradoxe apparent se décompose comme suit : du fait de la très forte inégalité dans les répartitions de dépenses de consommation, la demande des ménages affluents, bien que représentant un pourcentage disproportionné de la demande agrégée, est insuffisante pour imposer une brusque variation des prix qu'on imputerait à une inflation classique par la demande. D'un autre côté, le volume de leurs dépenses est tel qu'il agit significativement sur les contributions de la consommation à la croissance du PIB. On observera d'ailleurs qu'en cinquante années de croissance en consommation et en revenus, que la croissance des deux agrégats a été largement confisquée (ou réalisée, tout dépend du point de vue de l'observateur) par une minorité favorisée de ménages. Pourtant, leur mode de consommation n'est pas inflationniste, car c'est l'offre qui est de facto subventionnée. Etant donné le mode d'attribution des subventions par la Caisse de Compensation, on peut comprendre que les tenants du statu quo ont effectivement à leur disposition un argument convaincant : lever la subvention à l'offre est susceptible de générer des chocs négatifs autrement plus importants sur le niveaux des prix (donc l'inflation) que si leur stratégie est neutralisée, et que des aides directes sont accordées aux ménages en dessous ou proches de la médiane de revenus ou de consommation. L'outil technique utilisé pour décomposer les chocs d'offre et de demande n'est pas exempt de critiques. Pourtant, ce qui est directement observable – la dépendance de la croissance de notre économie à la consommation d'une minorité de ménages, ainsi que les primes de subvention à l'offre - est difficile à discuter : nos moteurs de croissance sont destructifs à long terme, car à travers un effet pervers des mécanismes gouvernementaux incitatifs, la consommation future – liée à des activités productives – est amoindrie, en faveur d'un carpe diem généralisé, et forcément en porte-à-faux avec l'objectif avoué de faire de l'économie domestique une réelle économie émergente.