Au Maroc comme dans les autres pays musulmans, la femme n'a droit qu'à une demi-part successorale. La règle du ''taasib'' oblige les héritières n'ayant pas de frères à partager leurs biens avec des parents masculins du défunt. De plus en plus de parents ont recours à la donation afin de sécuriser l'avenir de leurs filles. Lundi 26 mars. Asma Lamrabet rend public un communiqué où elle explique les raisons de sa démission, une semaine auparavant, de la Rabita Mohammadia des oulémas, où elle dirigeait, en son sein, le Centre des études sur les femmes en Islam. «A l'occasion d'une conférence universitaire de présentation de l'ouvrage collectif sur l'héritage, mes propos, exprimés à titre strictement personnel et rapportés par un organe de presse, ont suscité un tollé et une grande polémique lors de la 20e session du Conseil académique de la Rabita. Devant une telle pression, j'ai été contrainte à présenter ma démission en raison des divergences portant sur l'approche de l'égalité femmes/hommes au sein du référentiel religieux», explique-t-elle. Et d'ajouter : «J'ai toujours prôné une lecture progressiste, réformiste et dépolitisée pour opérer une nouvelle approche de la question des femmes dans l'Islam (…)Une étape est terminée. Mais je poursuivrai sereinement et librement mon engagement». Auteure de plusieurs publications visant à libérer et à démythifier les textes religieux, la médecin et chercheuse a déclaré à maintes reprises que «le fait d'accorder à la femme une part égale à celle de l'homme fait partie intégrante des finalités poursuivies par l'Islam. Ce n'est nullement à l'encontre de l'Islam». Le 20 mars 2018, plus de cent intellectuels marocains, des écrivains, sociologues, journalistes et politiques signaient une pétition appelant à mettre fin au taasib. Une loi qui dispose que «lorsque les héritiers sont tous de sexe féminin, les oncles paternels ont le droit de jouir d'une partie des biens. Lorsqu'il n'y a aucun oncle, ce sont les parents de sexe masculin qui disposent de ce droit». Argumentaire des signataires de la pétition : «Le taasib ne correspond plus au fonctionnement de la famille marocaine et au contexte social actuel, il précarise les femmes les plus pauvres, il oblige de nombreux parents à céder leurs biens, de leur vivant, à leurs filles». Le bricolage comme solution... L'anthropologue Mohamed Sghir Janjar fait également partie des signataires de cette pétition : «C'est une bonne chose de pouvoir aujourd'hui remettre en cause ce qui était naturellement de l'ordre de la transmission masculine. Le fait que la femme participe de plus en plus à la production des biens rend cette injustice plus visible». Et d'ajouter : «Le débat sur l'égalité dans l'héritage n'est pas nouveau. Déjà dans les années 30 du siècle dernier, Tahar Haddad, dans son ouvrage "Notre femme dans la chariaâ et dans la société" défendait une lecture égalitaire maqasidiya du Coran, ayant comme objectif une égalité entre les deux sexes. La nécessité s'impose à la société pour bricoler des solutions. Aujourd'hui, des parents procèdent à des contrats de vente ou à des donations de leur vie, afin de protéger les intérêts de leurs filles. On peut ainsi imaginer que si ces pratiques deviennent massives, le législateur passera à la réforme». Les adouls attestent d'ailleurs de ces pratiques. «Nous constatons que de plus en plus de parents utilisent la donation afin de sécuriser l'avenir de leurs filles. C'est quelque chose qui est halal et fait partie de la chariaâ. Il faut trouver une solution durant sa vie pour éviter les mauvaises surprises», explique Mohamed Khamlichi, adoul à Casablanca. C'est la société civile qui a été la première à pointer du doigt la question de l'inégalité dans l'héritage. «Nous avons lancé le plaidoyer pour l'égalité en 2006. L'année d'après, nous avons constaté que 35,19% des violences enregistrées dans nos 14 centres d'écoute étaient dues à de la discrimination en matière d'héritage, surtout par voie de taasib, avec usage de violence physique, des insultes, des expulsions de domiciles. Quand on a lancé notre campagne de plaidoyer en 2008, la réaction à notre encontre était d'une grande violence. On nous a même excommuniés», nous explique Yousra Elbarrad, membre du bureau de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF). Face à cette réaction, la FLDF inscrit dorénavant son action dans le cadre d'une coalition et s'attaque au cas d'héritage qu'elle juge le plus injuste, celui du taasib. L'ONG fait un travail de terrain énorme et compile les témoignages poignants de femmes lésées à cause de ce système. Des situations où des cousins ou des oncles viennent pour partager l'héritage laissé par le défunt, parfois de la vaisselle, du mobilier, des verres, des cuillères, des matelas... Toutes parlent de hogra, d'injustice, d'abus de pouvoir... L'apport du CNDH... En 2015, le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) vient à la rescousse et se prononce en faveur de la réforme de la loi sur l'héritage : «En matière successorale, la législation doit être conforme avec l'article 19 de la Constitution et l'article 16 de la CEDAW (Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes». Aujourd'hui, les associations des droits des femmes affichent front commun. «Nous plaidons avec les autres composantes de la société civile pour la révision globale du Code de la famille y compris le droit successoral, et ce, sur la base de l'égalité», tranche Latefa Bouchoua, présidente de la FLDF. Quid des réformes de ces dernières années, le Code de la famille, celui de la nationalité, mais surtout la Constitution de 2011 qui théoriquement consacre l'égalité entre les deux sexes? «Dès que l'on évoque les droits ou l'égalité hommes-femmes dans la Constitution, on les confronte toujours aux constantes du Royaume et de ses lois. Ce qui crée une sorte de flou concernant cette égalité», explique Abderrahmane Baniyahya, spécialiste du droit constitutionnel. Et de conclure : «Aujourd'hui, rien n'empêche les parlementaires de proposer et voter une loi établissant l'égalité entre hommes et femmes en termes d'héritage. Les politiques doivent avoir le courage d'aller à contre-courant de la société afin d'établir plus de justice dans la société».