Le débat revient au devant de la scène. La Fédération de la ligue des droits de la Femme (FLDDF) remet sur la table des discussions sa revendication de révision de la règle de l'héritage par voie de «Taâsib» dans la situation d'absence d'héritier frère. Cette règle prive les filles qui n'ont pas de frère d'une partie de l'héritage de leurs parents, au profit de frères, sœurs ou cousins du parent décédé, oncles, tantes ou cousins. «Lorsque nous avions ouvert ce débat le 9 octobre 2008, nous avions été assaillies de réactions négatives. Nous avons juste attendu le temps que ça se calme un peu avant d'en reparler», confie au Soir échos la présidente de la FLDDF, Fouzia Assouli. Deux ans après, cette dernière retente sa chance en organisant, samedi dernier à Casablanca, une table ronde sur le thème: «Pour protéger les droits économiques de la famille : Reconnaître à la fille héritière le droit d'évincer les héritiers âsaba». La rencontre a réuni près de 140 personnes, dont des représentants des partis politiques. «Nous allons bientôt lancer un plaidoyer auprès des partis politiques, surtout les femmes qui en sont membres, pour nous soutenir dans la concrétisation de cette revendication. On ne peut pas prendre en otage les droits de la Femme pour une instrumentalisation politique», souligne-t-elle. Et de se réjouir de l'unanimité à laquelle ont abouti les différents experts ayant participé à la table ronde ayant tous convergé vers la nécessité de réformer la loi, d'assurer une équité dans le droit à l'héritage. «Rien ne l'empêche sur le plan théologique puisque nous avons Al Ijtihad pour pouvoir évoluer et s'adapter aux conditions économiques et sociales», affirme Fouzia Assouli, qui a présidé la table ronde dont elle qualifie l'aboutissement de «très satisfaisant». Pour elle, le chemin vers le changement est bien parti. «D'autres pays l'ont fait. A titre d'exemple, la Tunisie et l'Irak l'ont abolie par le recours à la technique du Radd, reconnaissant ainsi aux filles le droit de bénéficier de la totalité du patrimoine de leurs parents décédés. Rien ne peut s'opposer à l'égalité entre homme et femme», justifie-t-elle. Et afin d'argumenter cette nécessité de la réforme, la FLDDF affirme que le Maroc compte, actuellement, 75% de familles nucléaires et que 12,25% sont monoparentales. «La Tunisie qui ne compte que 35% de familles nucléaires a d'ores et déjà adopté la réforme», cite à titre de comparaison Fouzia Assouli. «J'espère que les Islamistes ne nous poseront pas problème. Nous cherchons simplement à ce que justice soit rendue». La FLDDF estime que le Maroc présente, aujourd'hui, un terrain plus favorable à ce genre de changement d'autant qu'il est lié à sa volonté de garantir à la femme ses pleins droits. Dans un communiqué, l'association rappelle que le Maroc s'est engagé depuis la fin des années 1990 dans une transition politique et démocratique dictant de nombreuses réformes. Toutes s'articulent autour d'un même souci : affirmer la primauté du droit, la défense des droits de la personne et particulièrement ceux des femmes en tendant vers une institutionalisation du principe d'égalité dorénavant proclamé dans l'article 400 du code de la famille. Avec la lettre royale de décembre 2008, rappelle toujours la FLDDF, annonçant l'intention du Maroc de lever ses réserves sur la Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, l'Etat marocain confirme son engagement pour les droits des femmes et ouvre la voie à de nouvelles réformes pour concrétiser le principe d'égalité hommes-femmes. C'est dans ce contexte national que la FLDDF inscrit son initiative d'ouvrir le débat sur la règle de l'héritage par voie de Taâsib. Pourtant, malgré la grande confiance des militantes, leur revendication a soulevé un tollé et a même été considérée par certains comme une atteinte à l'Islam. «J'espère que les Islamistes ne nous poseront pas problème. Nous cherchons simplement à ce que justice soit rendue», martèle Fouzia Assouli. La FLDDF se cherche, à présent, des voix auprès non seulement des politiques mais aussi auprès du grand public. «Nous voulons élargir le débat à toutes les composantes de la société et commencer à sensibiliser l'opinion publique», indique-t-elle. Le parcours du combattant commence à peine pour la FLDDF qui veut garantir à la fille héritière le droit d'évincer les héritiers âsaba. Une revendication pour laquelle la Fédération se dit déterminée à militer jusqu'au bout. L'association ne peut plus rester inerte face aux nombreuses plaintes reçues par le réseau des centres d'écoute, du conseil juridique et de soutien psycholigique LDDF-INJAD dans différentes régions. Que dit la moudawana ? Taâsib Dans son article 349, la moudawana stipule que les héritiers Aâssaba par eux-mêmes sont classés dans l'ordre de priorité suivant : 1) les descendants mâles de père en fils à l'infini ; 2) le père ; 3) l'aïeul paternel et les frères germains et consanguins ; 4) les descendants mâles des frères germains et consanguins à l'infini ; 5) les oncles paternels germains ou consanguins du de cujus, les oncles paternels germains ou consanguins du père du de cujus, les oncles paternels germains ou consanguins de l'aïeul paternel du de cujus, de même que les descendants mâles par les mâles des personnes précitées à l'infini ; 6) Le trésor public, à défaut d'héritier. Dans ce cas, l'autorité chargée des domaines de l'Etat recueille l'héritage. Toutefois, s'il existe un seul héritier à Fardh, le reste de la succession lui revient ; en cas de pluralité d'héritiers à Fardh et que leurs parts n'épuisent pas l'ensemble de la succession, le reste leur revient selon la part de chacun dans la succession. Et dans son article 350, la moudawana précise que : 1) lorsque, dans une même catégorie, se trouvent plusieurs héritiers âsaba par eux–mêmes, la succession appartient à celui qui est du degré de parenté le plus proche du de cujus ; 2) Lorsque, dans la catégorie, il y a plusieurs héritiers au même degré, la priorité est fondée sur la force du lien de parenté : le parent germain du de cujus est prioritaire par rapport à celui qui est parent consanguin. 3) En cas d'existence d'héritiers de la même catégorie, du même degré et unis au de cujus par le même lien de parenté, la succession est partagée entre eux à égalité.