Pour la Mourabaha immobilière, la promesse d'achat que les banques font signer aux clients et les prélèvements sur le dépôt de garantie en cas de désistement sont jugés contestables sur le plan juridique. Les notaires craignent d'être attaqués pour détention abusive de fonds en raison des engagements imposés par les banques participatives. Restés relativement discrets jusqu'à présent au sujet de la finance participative, les notaires se font enfin entendre. Les professionnels ont effectué ces derniers jours quasiment leur première sortie publique sur la question lors d'une conférence organisée successivement à la tenue de l'assemblée générale de leur ordre. Et il en ressort que de nombreux aspects les préoccupent, touchant spécifiquement la Mourabaha immobilière, seul produit de financement participatif aujourd'hui disponible sur le marché. Selon les notaires, certaines pratiques constatées sur le terrain ne sont pas valables sur le plan juridique et pourraient être facilement contestées. Un premier point concerne la promesse unilatérale d'achat que les banques font signer d'entrée de jeu au client demandeur d'un financement Mourabaha immobilière pour s'assurer qu'il rachètera le bien dont elle se porte acquéreuse. «La promesse étant signée en tout début de processus, l'établissement n'est naturellement pas encore propriétaire du bien objet de la transaction. Or, selon la loi, l'on ne peut pas vendre un bien dont on n'est pas propriétaire. La promesse d'achat peut donc facilement être invalidée», raisonne un praticien. Une solution pourtant simple existe pour rétablir la légalité de cette pratique. Elle consiste en l'introduction d'une clause dite de porte-fort qui fait foi habituellement lorsqu'il s'agit de vendre un bien dont on n'a pas la propriété. En général, à travers cette clause, une personne s'engage au profit d'une autre à ce qu'un tiers exécute un engagement. «En l'occurrence, il s'agirait pour la banque d'apporter le consentement du propriétaire initial du bien», explicite-t-on au sein de la profession. Les praticiens trouvent ensuite à redire sur Hamish Al Jiddiya qui correspond à un dépôt de garantie que le client est appelé à fournir pour appuyer la promesse d'achat du bien que doit lui revendre sa banque. Entre le marteau et l'enclume La réglementation prévoit qu'en cas de désistement du client, l'établissement peut prélever une partie du dépôt de garantie en compensation d'éventuelles pertes subies. «Cela s'oppose avec le principe de délai de rétractation garanti par la loi sur la protection du consommateur». Ce droit accorde en effet au client un délai durant lequel il peut renoncer à sa demande sans supporter aucun frais, une donnée que les banques conventionnelles ont bien intégrée aujourd'hui puisqu'elles ne débloquent plus leur financement qu'après épuisement du délai de rétractation. «En pratique, cela peut induire qu'un client en litige avec une banque participative peut se prévaloir de son droit de rétractation pour contester tout prélèvement effectué sur son dépôt de garanti», explicite un professionnel. Ensuite, les notaires redoutent que les procédures en place pour la Mourabaha ne les exposent à des risques. Dans la pratique, les professionnels se font dans un premier temps remettre de l'argent par les banques participatives pour l'achat du bien auprès de son propriétaire initial. Ils inscrivent ensuite le bien au nom du nouveau propriétaire et paient l'ancien. Sauf que les banques participatives engagent les notaires par écrit à ne débloquer les fonds versés au titre de la première opération qu'à l'inscription d'une hypothèque au profit de l'établissement dans le cadre de la deuxième transaction. Une manière de faire qui place de fait les professionnels entre le marteau et l'enclume, à en croire leurs dires. «Dès que la première opération entre la banque et le propriétaire initial du bien se fait avec inscription à la conservation foncière et établissement du certificat de vente au nom de la banque, il n'y a plus de raison valable de retenir l'argent de la transaction», insiste un professionnel. Au lieu de cela, les fonds doivent être retenus en attendant la deuxième opération du fait de l'engagement d'inscription hypothécaire, qui prend évidemment du temps. «Une deuxième transaction qui, il faut le préciser, reste éventuelle car le client peut ne pas se présenter ou se désister, laissant le notaire avec le prix consigné sur les bras», envisage un praticien. La pression peut être encore plus grande sur les professionnels si le bien objet de la transaction est vendu par un promoteur qui a une hypothèque sur son programme, ce qui est souvent le cas. «En l'occurence, le notaire doit obtenir une mainlevée avant de valider la vente, laquelle n'est délivrée par la banque du promoteur immobilier que si le notaire prend l'engagement de lui verser les fonds de la vente», détaille un praticien. «En somme, les propriétaires initiaux comme leurs banques sont en droit d'exiger de percevoir leur paiement avant le dénouement de la deuxième transaction et si le notaire ne s'exécute pas il peut lui être reproché une détention abusive de fonds. Dans le cas contraire, c'est la banque participative qui peut l'attaquer pour non-respect de ses engagements», résume-t-on au sein de la profession. Conscientes des problématiques qui se posent pour les professionnels, certaines banques participatives ont mis en place un montage qui permet le traitement quasi simultané des actes relatifs aux deux opérations de la Mourabaha. Le logement social pose problème Certains professionnels questionnent néanmoins la validité juridique de cette procédure. Plus que d'être risquée, la Mourabaha immobilière avec son cadre actuel serait quasi inapplicable dans certains cas dont notamment le logement social (à 250 000 DH), selon des professionnels. «Cela pour la simple raison que le remboursement de TVA pour ce type d'unités est reçu par le notaire au nom du client. Seulement, la première opération d'une Mourabaha immobilière ne se fait qu'entre le propriétaire initial du bien et la banque participative», explique un notaire, spécialiste du logement social. Une parade existe bien, consistant à intégrer dans le contrat de la première opération l'identité du bénéficiaire du logement, à supposer que cela soit accepté par la Direction générale des impôts qui débloque le remboursement de TVA. Mais cela soulève un autre problème, à savoir que pour garantir la conformité de la transaction à la Charia, «l'identité du bénéficiaire ne doit pas être révélée lors du premier achat», certifie notre spécialiste. Les professionnels ne ferment pas pour autant complètement la porte et l'on concède que des montages restent bien possibles pour étendre la Mourabaha au logement social, moyennant quelques ajustements réglementaires. C'est dire si les différentes parties prenantes dans cette nouvelle industrie doivent travailler en bonne intelligence pour assurer son décollage…