il semblerait que la formation des magistrats n'insiste pas beaucoup sur cette notion de présomption d'innocence. Certes, tous les juges questionnés à ce sujet ou ayant des cas réels à trancher l'avoueront : la présomption d'innocence existe, puisqu'en langue arabe on dit pour la qualifier : «la base, c'est l'innocence», mais dans les faits, cela est un peu différent. Dans le box comparaît un jeune homme, tout maigre, l'air étonné de se retrouver dans cette salle d'audience. Il est poursuivi par le parquet, pour des I.L.S, ou infractions à la législation sur les stupéfiants : détention, consommation, cession, offre et vente de résine de cannabis. Oh! pas grand-chose, puisqu'on ne lui reproche pas d'être un baron de la drogue comme Pablo Escobar (qui a d'ailleurs mal fini) mais juste de s'adonner à un petit trafic de rue, de quoi engranger quelques centaines de dirhams...bien utiles pour quelqu'un qui peine à trouver un emploi, malgré son diplôme de comptabilité. Mais de quelles quantités parle-t-on au juste, diriez-vous avec raison ? C'est là que le bât blesse, car si l'on se réfère au procès-verbal de police, sacro-saint, puisque réputé inattaquable, il n'y a pas eu de saisie de stupéfiant lors de l'arrestation du jeune homme. Laquelle ne s'est d'ailleurs pas déroulée selon les modalités du flagrant délit, mais suite à une dénonciation anonyme. Donc, en résumé, quelqu'un a dénoncé son prochain, l'accusant d'être un trafiquant de drogue... et voilà donc ledit prochain, sans autre forme de procès, si j'ose dire, devant des juges, pour répondre d'une accusation sérieuse. C'est ici l'objet de mon propos, car à cet instant le jeune homme est réputé innocent, selon la notion juridique bien connue sous l'appellation de «présomption d'innocence». Il a beau être prévenu, poursuivi ou inculpé, il n'en demeure pas moins innocent, jusqu'à ce qu'un tribunal ait décrété le contraire. Or, chez la majorité des juges marocains, cette notion a de la peine à faire sa place. Pourtant, dans le cas présent, et à y regarder de plus près, toutes les conditions seraient réunies pour acquitter le prévenu des faits qui lui sont reprochés, ou au moins le relaxer au bénéfice du doute, ce dernier devant toujours profiter à l'accusé. Or non, car l'on constate que les jurisprudences en la matière ne comportent que très peu de relaxes au bénéfice du doute, en application de la présomption d'innocence. Car, diront les juges, tout est clair dans cette affaire: voilà un quidam qui, d'après le PV de police, s'adonnerait au trafic de drogue. Tout est dans cette phrase, car la construction entière du dossier va s'appuyer sur les énonciations comprises dans le PV rédigé par les enquêteurs qui, relève un juge en passant, sont des officiers assermentés et aguerris dans leur domaine. Donc poursuite judiciaire. Mais et si les policiers se trompaient ? Impossible. Et si leur interprétation des faits, signifiée dans le PV était incomplète? Ou tendancieuse ? Ou carrément accusatrice ? Peu probable. Et c'est ainsi que, de service en service (entre la police, le parquet, puis le tribunal), le jeune homme comparaissant se retrouve en fâcheuse posture, sa présomption d'innocence ayant été balayée par le PV de police. Du coup, à l'audience, on ne l'écoutera que fort peu. Ses dénégations compteront pour du beurre, et son avocat ne pourra lui éviter une condamnation à de la peine de prison ferme. C'est là que le bât blesse, dans notre système judiciaire, car il semblerait que la formation des magistrats n'insiste pas beaucoup sur cette notion de présomption d'innocence. Certes, tous les juges questionnés à ce sujet ou ayant des cas réels à trancher l'avoueront : la présomption d'innocence existe, puisqu'en langue arabe on dit pour la qualifier : «la base, c'est l'innocence», mais dans les faits, cela est un peu différent. Car, il est bien connu que tous les coupables se prétendent innocents, jouant sur cette disposition judiciaire ; sauf que chez les juges, c'est un autre son de cloche: eux, ils travaillent sur des faits, des procès-verbaux précis et détaillés, établis par des professionnels, lesquels se basent souvent sur des enquêtes profondes et méticuleuses, avant de rédiger leurs rapports. Et à force d'entendre des gens clamer leur innocence sur tous les tons, et dans tous les cas, ils sont devenus blasés et insensibles à ces doléances; alors c'est prison, prison et prison, avec aussi une mentalité spéciale. Ainsi à un avocat qui s'étonnait du nombre de condamnations en une seule séance, le magistrat répondit: «En matière de flagrant délit, en correctionnelle et en première instance, on n'a pas toujours le temps nécessaire pour nous attarder sur chaque cas. Alors, on entre en voie de condamnation (c'est-à-dire on condamne à tour de bras). De toutes les manières, on sait bien qu'il y aura un appel par la suite. Que l'on condamne, (le prévenu fera appel) ; ou que l'on relaxe : alors ce sera le parquet qui relèvera appel. Alors on simplifie, et on laisse finalement les Cours d'appel prendre leurs responsabilités». Il est certain que dans ces conditions, on ne va pas s'attarder sur des futilités juridiques, comme la présomption d'innocence! Circulez braves gens.