Des jurisprudences constantes estiment que l'administration des douanes n'a aucun fondement légal pour se constituer partie civile, et réclamer un dédommagement pour préjudice subi…, dès lors que les stupéfiants ne sont pas en vente libre, et que donc cette vente ne cause aucun préjudice aux douanes. Revenons à notre chronique de la semaine précédente. Donc, devant un dossier vide, l'avocat s'interroge sur le bien-fondé des poursuites engagées par le parquet. D'abord il n'y a pas de flagrant délit tel que défini par la Loi (art.56 du Code de procédure pénale), qui prévoit que l'individu doit être interpellé, comme son nom l'indique, en flagrant délit de… quelque chose : vol, vente de stupéfiants, port d'armes…. Dans ce cas, s'interroge l'avocat, de quoi le prévenu a-t-il été surpris en flagrant délit ? Si ce n'est de rentrer chez lui ? Ensuite, la possession de stupéfiants est infondée : le PV de police précise que, fouillé dès son arrestation, le prévenu transportait dans sa poche gauche un téléphone portable, et c'est d'ailleurs la seule saisie opérée par les policiers. Pas la moindre trace de stupéfiants trouvée sur l'inculpé, ni chez lui d'ailleurs…Donc, le délit de possession de stupéfiants n'est pas constitué (le magistrat ouvre le dossier et consulte le PV). Enfin, poursuit le juriste : «Si vous ne transportez rien, si vous ne détenez rien, comment peut-on vous accuser de vendre ?». Vendre quoi ? Où est la marchandise prohibée ? Où est l'acheteur, puisque l'on parle de flagrant délit ? Où est la somme d'argent provenant de cette activité ? En fait, il semblerait qu'un autre individu, voisin du prévenu, interpellé en flagrant délit (effectif) de vente de stupéfiants, a cru s'en sortir en faisant porter la responsabilité de ses actes à un tiers, supposé fournisseur de stupéfiants, et a donc dénoncé l'actuel prévenu. Et l'avocat d'exhiber en appui de sa plaidoirie trois jugements récents rendus par les tribunaux du Maroc dans des affaires similaires. Le premier arrêt stipule qu'en cas de poursuites suite à une dénonciation, il est impératif que le flagrant délit de vente soit avéré, et qu'une quantité de stupéfiants saisie «sur» le prévenu. A défaut, selon la Cour d'appel, les accusations et poursuites sont infondées, et la relaxe doit être prononcée. Le second arrêt produit concerne les aveux consignés dans le PV de police. La Cour d'appel rappelle que seuls les propos tenus en salle d'audience doivent être pris en compte. Elle indique que les aveux figurant dans le PV ont été démentis par le prévenu tant devant le parquet que devant la Cour, et que, de surcroît, aucune saisie de stupéfiants n'ayant été faite sur le prévenu, il convient de l'acquitter, fût-ce au bénéfice du doute, car la présomption d'innocence doit s'appliquer, en l'absence de preuves irréfutables. Enfin, le troisième arrêt est succinct mais clair : aucune poursuite concernant des stupéfiants ne doit être engagée en l'absence de produits saisis. Ces trois arrêts s'appliquent donc exactement au dossier actuel. Puis l'avocat ironise sur les demandes formulées par l'administration des douanes. D'abord, des jurisprudences constantes estiment que cette administration n'a aucun fondement légal pour se constituer partie civile, et réclamer un dédommagement pour préjudice subi…, dès lors que les stupéfiants ne sont pas en vente libre, et que donc cette vente ne cause aucun préjudice aux douanes. Ensuite, rappelant que la seule saisie opérée consistait en un téléphone portable, il se demande par quelle opération du Saint-Esprit ce portable a été estimé «à 39 000 grammes de stupéfiants», évalués à (donc cinq fois le corps du délit) plus de deux millions de DH (oui, oui, vous avez bien lu : 2 000 000,00 de DH), réclamés par l'Honorable administration des douanes à un pauvre bougre ayant à peine de quoi subsister ! Le magistrat esquisse un sourire, et convient que, en effet, la somme est rondelette, se disant toutefois prêt à accorder un délai à l'avocat pour réunir ce montant. Car dans de pareils dossiers, le montant de l'amende repose sur la quantité de drogue saisie, et sur de laborieuses et complexes opérations de conversion. Bref, la cause semble claire : pas de flagrance, pas de saisie, pas de clients, l'avocat réclame l'acquittement pur et simple de son client… Qui sera finalement condamné à 23 mois de prison ferme, une petite amende de 5 000 DH au profit du Trésor public, et une autre toute petite amende de 2 220 000,00 DH en faveur des Douanes. La Justice est passée, circulez braves gens…. Et attendons l'interprétation de la Cour d'appel !