Bien que la règle générale qui prévale soit la présomption d'innocence, les substituts, eux, l'ont remplacée, dans la pratique quotidienne, par la présomption de culpabilité. Ce qui signifie que la charge de la preuve est inversée, ce n'est plus la justice qui doit prouver la culpabilité, c'est le prévenu qui doit prouver son innocence, ce qui est parfois bien ardu… On dit que les voies du Seigneur sont impénétrables, on pourrait ajouter que celles de la Justice marocaine ne le sont pas moins. On tombe ainsi parfois sur des cas qui ne peuvent que laisser songeur quant à l'application sereine de la justice. Par exemple, M. H. est un tranquille commerçant : il possède un petit café situé dans un quartier populaire très animé, et ne chôme pas vraiment. Il a cependant un petit souci qu'il n'arrive pas à résoudre malgré de nombreuses tentatives. Dans son café, certains jeunes ont pris leurs habitudes et occupent à longueur de journées une ou deux tables situées au fond de la salle. Rien d'anormal, ils consomment régulièrement et, souvent, paient leurs boissons. Mais certains d'entre eux se livrent plus ou moins discrètement à une tout autre activité, la vente de cigarettes au détail et… accessoirement de stupéfiants. Le patron les a maintes fois sommés de déguerpir, la police est même intervenue une ou deux fois, mais sans grande conviction. Elle semble tolérer les petits trafics, se concentrant sur des réseaux plus importants. Sauf que, un jour, les fins limiers débarquent en force, constatent que des clients consomment du cannabis, et, en un clin d'œil embarquent tout le monde, tenancier compris. Le groupe est déféré au parquet, lequel, fidèle à son habitude, envoie l'ensemble des prévenus en détention provisoire, encore une fois, tenancier inclus. On rappellera, au passage, que l'une des particularités de nos substituts du procureur se résume en un credo : «Incarcération générale pour toutes les personnes interpellées». Bien que la règle générale qui prévale soit la présomption d'innocence, les substituts, eux, l'ont remplacée, dans la pratique quotidienne, par la présomption de culpabilité. Ce qui signifie que la charge de la preuve est inversée, ce n'est plus la justice qui doit prouver la culpabilité, c'est le prévenu qui doit prouver son innocence. Ce qui est parfois bien ardu, en vertu d'une autre disposition (aberrante) de notre Code de procédure pénale, laquelle stipule tout bonnement que «les PV rédigés par les fonctionnaires de police assermentés font foi, sauf à les attaquer en faux». Ah bon ? Sachant que dans ce cas, c'est aussi à la police de rédiger un autre PV, on peut toujours imaginer un fonctionnaire attestant avec le plus grand sérieux que son collègue a fait un faux. Ubuesque. Et donc après les péripéties d'usage (interpellation, garde-à-vue, transfert au tribunal), voici M.H. comparaissant, en état d'arrestation, pour répondre en audience des flagrants délits de détention, consommation et offre de produits stupéfiants illicites. Ici apparaît également une autre facette de notre système judiciaire : les dossiers sont nombreux, les affaires multiples et les juges, en général, sont débordés. Pas le temps donc de s'attarder sur chaque cas : l'audience se résume donc à distribuer à tour de bras, des mois et des années d'incarcération, partant du principe, très simple, que, si abus ou erreur il y a, il existe une Cour d'appel dont le rôle, justement, consiste à rectifier les jugements de première instance. Résultat des courses : si les jeunes font l'objet d'une condamnation justifiée, le cafetier, lui, écope de deux mois de prison ferme, totalement injustifiés. Il interjette immédiatement appel, depuis la prison où il est incarcéré. Puis il purge l'intégralité des deux mois, avant que son dossier ne se retrouve devant la Cour d'appel. Ce cas est fréquent, où des personnes passent quelques mois en détention, avant de voir leur affaire traitée devant la seconde juridiction, laquelle hérite ainsi de situations alambiquées : comment acquitter quelqu'un qui vient de passer trois mois en prison ? Interrogation qui renvoie à une remarque évidente : le peu (voire le manque) de coordination entre les différents tribunaux. Ce qui ne concerne pas que l'Appel, mais également les relations des tribunaux entre eux-mêmes, histoire d'harmoniser le traitement des dossiers, raccourcir les délais d'instance et faciliter les procédures, toujours dans le but de rapprocher la Justice des citoyens. Mais ce sera probablement le chantier prioritaire du futur ministre de la justice.