Violée et torturée, Khadija Souidi s'est donné la mort par immolation. Sous la pression des ONG et des médias, le procès de ses agresseurs a été repris. L'affaire relance le débat sur la protection des femmes dans le Code pénal. Personne ne connaissait Khadija Souidi avant qu'elle ne prenne la décision de s'immoler le 28 juillet dernier et trouve la mort deux jours plus tard à l'hôpital Ibn Toufail, des conséquences de brûlures de troisième degré. Elle avait tout juste 17 ans. C'est suite à cette tragédie que les Marocains ont découvert, avec stupeur, l'histoire de la petite Khadija, morte suite à des errements judiciaires. Native du douar Oulad Zednat, à dix kilomètres de Skhour Rhamna, Khadija est la cadette d'une famille de cinq enfants. Orpheline de son père depuis l'âge de 7 ans, elle décide de quitter la maison familiale, une petite maison en pisé, alors qu'elle n'avait que 14 ans. «Elle était en pleine crise d'adolescence. J'ai fait les mains et les pieds pour qu'elle reste à la maison. En vain. Depuis que mon mari est décédé, je fais ce que je peux pour que mes filles soient épargnées par les problèmes de la vie», soupire Fatna, la mère de Khadija. Cette dernière a tout fait pour récupérer sa fille. Elle a notamment demandé aux gendarmes de la récupérer puisqu'elle était encore mineure... Entendue sans la présence de la tutrice A Benguerir, Khadija a loué une petite pièce dans un des quartiers les plus pauvres de la ville, Ifriquia. Elle y travaille au gré des opportunités : elle assure le ménage et l'entretien dans un snack, vend du pain sur un étal... En février 2015, la vie de Khadija bascule. Un groupe de huit personnes l'ont prise de force et l'ont séquestrée dans une maison à Nzalet Laâdem, à 13 kilomètres de Benguerir. «Ils l'ont frappée et violée. Puis, elle a finalement trouvé le moyen de s'enfuir de cette maison», assure la mère. La jeune fille va enregistrer une plainte le lendemain chez les gendarmes. «Dans sa déposition, Khadija assure qu'elle a été frappée à la tête par un objet, probablement une arme blanche, qu'elle a été battue par un fouet et violée à plusieurs reprises. Elle a également indiqué aux gendarmes que les violeurs ont enregistré la scène avec leurs portables», indique Omar Arbib, membre de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) de la ville de Marrakech. La mère de Khadija a été contactée le jour même par la gendarmerie : «C'était un mercredi puisque leur appel coïncidait avec l'Arbaâ de Souk Rhamna. Comme Khadija n'avait pas de carte d'identité nationale, je suis venue pour signer sa plainte. Elle leur répétait que les assaillants avaient tout filmé», se rappelle Fatna encore. Selon Omar Arbib, les gendarmes devaient procéder à l'écoute de Khadija, fille mineure, en présence du tuteur, la mère dans ce cas bien précis, «et non la convoquer juste pour signer le procès-verbal». De plus, à aucun moment on n'a jugé utile de demander une expertise médicale qui aurait révélé le viol. Ni la saisie des téléphones portables des assaillants ! Sur les huit personnes, six vont être arrêtées et déférées devant la justice. «Je me déplaçais avec elle à Marrakech où l'on procédait à des confrontations entre ma fille et les assaillants. Ils ont tout nié. On n'avait pas les moyens d'avoir un avocat et eux étaient bien défendus. Mais, tout ce qui comptait pour Khadija, ce sont les vidéos qui n'ont pas été dévoilées», explique Fatna. Résultat : cinq ont été innocentés. Un inculpé a écopé d'une peine de huit mois de prison ferme. «Les deux assaillants en fuite ont été finalement appréhendés. Ils ont tous été jugés après la mort de Khadija. L'un a eu 8 ans de prison ferme le 10 août dernier. L'autre, 20 ans de prison ferme lors de la séance du 23 août», souligne M. Arbib. Entretemps, Khadija est victime d'harcèlement de la part des assaillants en liberté. «Une des mères d'un des violeurs me répétait que son fils était un homme même s'il devait passer de la prison et que c'était ma fille qui était définitivement souillée», raconte Fatna en pleurs. Selon elle, Khadija était constamment pourchassée et ses assaillants la menaçaient de mettre en ligne les vidéos. Elle répétait à sa mère que si les vidéos étaient publiées, elle mettrait fin à sa vie. «Ils lui mettaient la pression afin d'abuser sexuellement d'elle», ajoute M. Arbib. En plus de l'abus sexuel, l'adolescente était soumise à un terrible chantage et un fort sentiment d'humiliation. Le 28 juillet dernier, après avoir pu acheter de l'essence, via un intermédiaire, Khadija s'immole, en pleine rue. «Si elle s'est brulée, c'est qu'ils ont fini par lui montrer les vidéos. Ce sont eux qui ont tué ma fille. Si justice n'est pas faite, je mettrai moi-même fin à mes jours. Ils ont brûlé ma fille. S'ils s'en sortent, d'autres n'hésiteront pas à commettre le même type de crimes. Et d'autres jeunes victimes s'ajouteront à Khadija», crie Fatna. Depuis la mort de Khadija Souidi, l'affaire a pris une tout autre tournure. Plusieurs associations vont se saisir de l'affaire, à l'image de l'AMDH, du Collectif «Printemps de la dignité» et de l'ONG «Touche pas à mon enfant». «Nous nous sommes portées partie civile dans l'affaire Khadija Souidi comme dans toutes les affaires d'agressions sexuelles contre les mineurs suite à la plainte de sa maman et à travers notre défense, nous représentons les intérêts de la famille. Ce qui nous a le plus choqués, c'est qu'après avoir été victime de viol, le tribunal n'a pas pu rendre justice à Khadija qui a été humiliée par ses agresseurs et comme seule alternative elle n'a trouvé que le suicide pour répondre à ses violeurs. Nous aurions souhaité qu'elle ne se suicide pas mais malheureusement la provocation de ses agresseurs a précipité les choses», avance Najat Anwar, présidente de l'association «Touche pas à mon enfant». Et d'ajouter : «La particularité de notre système judiciaire, c'est cette contradiction à laquelle nous sommes confrontés tous les jours. En effet, le durcissement des peines pour les uns et la flexibilité pour les autres rendent tout jugement imprévisible et subjectif. Cela dépend du juge, du tribunal qui statue et des éléments de l'affaire. Fort heureusement, le poids de l'opinion publique et de la presse joue en faveur de l'évolution de la manière de statuer dans de telles affaires sensibles». Le triste souvenir d'Amina Filali... La presse ainsi que les réseaux sociaux finissent par rendre le cas Khadija Souidi une affaire publique. Résultat: un premier procès débute le 29 août à Benguerir en rapport avec l'affaire de l'immolation de Khadija. Les neuf personnes sont poursuivies pour «chantage», «exploitation», «menaces envers une mineure» et «non-assistance à personne en danger». Le tribunal de Benguerir va prononcer le 8 septembre des peines de prison de un à six ans ferme. A Marrakech, c'est un autre procès qui débute. Il concerne l'affaire du viol. C'est d'ailleurs ce tribunal, compétent en matière de crimes sur mineurs, qui a prononcé la peine de 20 ans de prison ferme pour un des inculpés. Une autre audience est prévue pour le 20 septembre. «Khadija a été tout d'abord victime de la justice qui a permis aux assaillants de s'en sortir impunis. Elle a été jugée d'un point de vue moral et pas juridique. Comme si elle était responsable de son propre viol. Elle est également victime de la société et de la précarité», souligne M. Arbib. Et de conclure: «Le procès de Khadija a été entaché d'irrégularités. A aucun moment, on n'a pensé à soumettre la jeune fille à l'expertise médicale. Son cas n'est malheureusement pas unique. A l'association, nous gérons d'autres affaires de viols de mineurs où les assaillants ont été condamnés à des peines ridicules. Nous comptons d'ailleurs organiser prochainement une campagne nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants et des mineurs». L'affaire Khadija Souidi rappelle, par son issue tragique, celle d'Amina Filali. Le 10 mars 2012, cette adolescente de 16 ans s'est donné la mort en ingurgitant de la mort-aux-rats. Amina Filali a commis cet acte par désespoir, après avoir été forcée à épouser son violeur, pour sauver son honneur et l'honneur de sa famille. Un tel mariage était permis par le Code pénal marocain, qui prévoyait, dans son article 475, que «les poursuites pénales à l'encontre d'un violeur sont annulées s'il consent à épouser sa victime mineure». L'affaire fait un scandale et l'article a été depuis abrogé. Le problème réside-t-il dans les dispositions du Code pénal qui pénaliseraient les femmes victimes de viol ? Le collectif «Printemps de la dignité» qui représente plusieurs associations du mouvement féministe et des droits de l'homme avait à maintes reprises pointé du doigt la terminologie utilisée dans le Code pénal, «conservatrice et qui fait appel à des expressions aussi vagues que dégradantes et obsolètes comme la notion d'atteinte à la pudeur, de débauche ou qui réduit le viol à un acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre son gré». Ainsi que les dispositions du Code pénal marocain qui «n'accordent aucun traitement spécifique aux crimes et délits contre les femmes». Pour ces militants et militantes des droits des femmes, c'est le Code pénal qui doit être revu de fond en comble, pour éviter que d'autres drames ne s'ajoutent à ceux d'Amina Filali et de Khadija Souidi.