Une jeune fille de 16 ans s'est donné la mort en mai dernier après que ses violeurs ont été innocentés par une justice laxiste et permissive, estiment certains acteurs des droits de l'homme au Maroc. Au suicide médiatisé d'Amina El Filali, le 10 mars 2012, et à celui de Khadija Souidi, le 30 juillet 2016, s'en ajoute désormais un troisième : le 23 mai dernier, Nassima A. s'est donné la mort par pendaison. Toutes sont mortes à la fleur de l'âge, pas même sorties de l'adolescence, violées, humiliées dans leur chair et leur dignité. Toutes ont vu leurs violeurs relâchés, libérés après un procès expédié, protégés par des connaissances biens installées dans l'appareil administratif, ou par la loi qui, jusqu'en 2014, autorisait un violeur à épouser sa victime pour que ce dernier échappe à la justice. Nassima, 16 ans, a été violée le 21 janvier 2016 par quatre jeunes hommes, d'après Médias 24. Les faits se sont déroulés dans une maison à Sidi Moussa, près de la route d'Ourika, dans la région de Marrakech, a raconté sa mère à l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH). «Nous avons reçu le dossier dernièrement. Ses violeurs, âgés d'une vingtaine d'années (nés entre 1994 et 1996, ndlr), ont été innocentés par la Chambre des crimes pénaux de la cour d'appel de Marrakech. Ils étaient poursuivis pour viol collectif, détournement de mineur et agression (physique)», explique à Yabiladi Omar Arbib, responsable de l'AMDH à Marrakech. «Celui qui est atteint mentalement, c'est un fou» Suite à ce viol, la jeune fille a perdu sa virginité. Lourdement affectée psychologiquement et physiquement, d'après le certificat médical accompagnant la plainte, Nassima a tenté de se suicider à deux reprises : dans la nuit du 22 juin 2016, elle a essayé de se jeter du toit du centre social «La Maison des enfants», où elle avait été admise pour recevoir une prise en charge psychologique. Quelques mois plus tard, elle a ingurgité de l'eau de javel pour «protester contre son sort, son refus de la hogra et la destruction de sa dignité», lit-on dans une lettre de l'AMDH adressée récemment au ministre d'Etat chargé des droits de l'homme, au ministre de la Justice et au procureur général du roi près la cour de cassation. «Après sa première tentative, elle avait été présentée à un psychiatre de l'hôpital Ibn Nafis qui avait vivement recommandé un traitement, mais sa famille, très pauvre, ne pouvait pas assurer financièrement un suivi. D'ailleurs, il est rare que les parents fassent suivre leur enfant après un tel traumatisme. C'est une culture ici au Maroc… Pour eux, celui qui est atteint mentalement, c'est un fou», lâche Omar Arbib. L'histoire n'est pas sans lui rappeler celle de Khadija Souidi : comme cette adolescente, Nassima n'a pas pu être assistée par un avocat. Faute de moyens financiers là encore. En contact avec la famille, Abderrahmane Ait Yahya, psychologue à l'hôpital universitaire de Marrakech, confirme sa précarité économique. Il évoque également une jeune fille d'une grande fragilité : «Avant son viol, elle était atteinte d'une maladie psychique, notamment des troubles du comportement. Elle était suivie par une pédopsychiatre de l'hôpital militaire de Marrakech. Ses violeurs ont exploité sa vulnérabilité, qui a ensuite été aggravée par la décision du juge. C'est le stress post-traumatique qui l'a menée au suicide.» L'Association marocaine des droits de l'homme se dit prête à «soutenir la famille [de Nassima], mobiliser des avocats et se porter partie civile». Dans sa lettre, l'association réclame la réouverture du dossier et le déclenchement d'une enquête pour définir les responsabilités, le traitement sérieux et transparent de cette affaire, conformément au droit international, le durcissement des sanctions dans toutes les affaires liées au viol, le suivi psychologique et social des victimes et, surtout, le respect de la loi et le traitement de ces cas d'un point de vue judiciaire et non pas social, «la société faisant porter sur elles le poids de la culpabilité». «Jugée par le prisme de la sexualité» Ce drame, à l'instar de celui qui a frappé Amina El Filali et Khadija Souidi, est à mettre sur le compte de la culture de l'impunité et d'une société rompue au patriarcat, estime Saida Idrissi, présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). «Cette politique de l'impunité ne fait qu'encourager les agresseurs à commettre des actes de violence envers les femmes et les filles. Dans ces cas-là, il faut des procédures spéciales, plus rapides, urgentes mêmes, et accessibles aux familles modestes notamment, facilement intimidées par les commissariats de police», recommande avec fermeté cette militante féministe. «Il faut des mécanismes concrets de protection des femmes et une volonté politique pour harmoniser les lois avec la Constitution ; voter des textes comme ça, ça ne suffit pas !» «On est véritablement dans une politique d'impunité qui permet aux agresseurs d'échapper à la justice par tous les moyens», déplore-t-elle. Un vide juridique qui ouvre la porte à tous les excès, conjugué à une culpabilisation des victimes. «Les rôles sont inversés : la victime devient coupable et le coupable est libéré parce que c'est un homme, de surcroît dans une société machiste qui défend les intérêts du système patriarcal, et ne fait qu'user et abuser de son pouvoir», s'indigne la présidente de l'ADFM. A cet égard, Saida Idrissi reprend d'ailleurs un refrain fréquemment entendu : «Tout ce qu'on voit de modernité dans notre société, ce ne sont que des apparences. La honte est toujours très présente. La femme est jugée à travers le prisme de la sexualité.» Article modifié le 09/08/2017 à 11h45