Le nombre des opérateurs locaux a chuté de 40 en 2010 à 7 aujourd'hui. Les industriels comptent beaucoup sur le sourcing pour monter en cadence. D'ici 2020, 65% des 3 000 pièces qui composent une voiture devront être produites au Maroc. Avoir le chemin parcouru par l'industrie automobile depuis 2012, l'exploit est certain ! Autour de cette date, le secteur était au bord de la panne. L'industrie traversait une période de questionnement avec des opérateurs locaux fragilisés, des multinationales pas ancrées localement, une filière entièrement focalisée sur un seul constructeur, et, en conséquence, une plateforme marocaine non visible sur la carte internationale. «En quatre ans, le secteur a fait littéralement sa mue et a encore un potentiel énorme pour monter en cadence», déclare Hakim Abdelmoumen, invité des Grands diners-débats de La Vie éco, le 25 juillet. Avec le démarrage de l'usine Renault Tanger et le lancement du Plan d'accélération industrielle (PAI) deux ans plus tard, le secteur est arrivé à son point d'inflexion. Pour M. Abdelmoumen, la démarche des écosystèmes basée sur un partenariat public-privé constructif et ouvert n'a pas manqué de donner des fruits très rapidement. D'après les données de l'AMICA, sur l'ensemble des contrats de performance des cinq écosystèmes en activité (moteurs et transmission, câblage, métal et emboutissage, batterie et intérieur véhicule-sièges), les filières sont en avance sur toutes les rubriques (emplois, investissements, chiffre d'affaires additionnel et la profondeur supplémentaire apportée à la filière). Aujourd'hui, l'automobile est le premier secteur exportateur du pays avec 49 milliards de DH (contre 25 milliards de DH en 2012) et une évolution de 25% annuellement, et emploie 90000 personnes (contre 75000 en 2013), selon l'AMICA. Pour rendre ces performances possibles, les multinationales ont été engagées au cœur de la stratégie, avec une ouverture sur les constructeurs du bassin euro-méditerranéen (PSA, Ford, Seat, Volkswagen). Résultat : la boucle vertueuse est enclenchée notamment avec l'installation de nouveaux constructeurs de renom dont PSA, et le lancement du nouvel écosystème Renault. «L'un enrichira l'autre avec des effets d'entraînement considérables sur l'industrie. Cette étape sera le tournant du secteur pour aller vers de nouveaux paliers de croissance», relève M. Abdelmoumen. De gros contrats seront signés à la rentrée ! Pas que cela ! Les industriels comptent beaucoup sur le sourcing pour monter en cadence. L'Amica a étudié des schémas avec plusieurs constructeurs. L'idée est de fournir d'autres usines de ces constructeurs installées sur l'autre rive de la Méditerranée. De l'avis de M. Abdelmoumen, il ne faut plus parler en nombre de voitures produites localement, mais raisonner en termes de marché régional qui se chiffre en milliards d'euros. Avec PSA, le contrat de sourcing tourne autour de 1 milliard d'euros par an, celui de Renault dépasse les 2 milliards, Ford compte doubler son approvisionnement avec l'ouverture d'un bureau d'achat dans la zone franche de Tanger pour servir son usine de Valence d'une capacité de 450 000 unités, tandis que les démarches sont en cours avec Volkswagen. Ceci aidera à aller vers une intégration en profondeur, et à terme développer de nouveaux métiers dont la fabrication des moteurs et toutes les pièces moteur jusqu'à la fonderie. D'ici 2020, 65% des 3000 pièces qui composent une voiture devront être produites au Maroc, d'après les projections du président de l'AMICA. En attendant, l'Association croit dur comme fer que la stratégie déployée est gagnante. Preuve en est l'arrivée de nouveaux investisseurs ou l'extension d'unités d'opérateurs déjà installés. Lors des assises de l'industrie, Delphi a annoncé la création de7 usines (23 000 emplois d'ici 2020). Leoni, Fujikura, Lear ont également engagé de gros investissements. «Le Maroc est la prochaine plateforme intégrée dans le câblage, dans l'injection plastique mais aussi dans l'outillage et emboutissage», indique-t-on à l'AMICA. La plateforme Maroc est clairement inscrite dans la cartographie des équipementiers automobile et des grandes multinationales. Elle gagne en notoriété et en crédibilité auprès des instances à l'international. Elle est classée 17e mondial et peut monter au 15e rang grâce aux 600000 voitures annoncées après l'entrée en activité du site de Kénitra de PSA. «Les Allemands et les Coréens commencent également à faire confiance au Royaume, à l'instar de KS, Yura et autres», informe M. Abdelmoumen. Ce dernier a tenu à annoncer que de gros contrats portant sur des centaines de millions d'euros seront signés à la rentrée, dont plusieurs joint-ventures entre des groupes internationaux et des industriels locaux. Il n'a pas souhaité donner plus de détails. Difficulté à attirer des équipementiers comme les fabricants de pneumatiques ou de vitrage Néanmoins, l'industrie automobile marocaine pâtit encore de nombreuses carences. Le grand mal, estime l'AMICA, est la faible représentation des industriels locaux. «Le nombre des industries marocaines à capitaux locaux est passé de 40 à 7. Le Maroc a perdu les industries de la pneumatique, des amortisseurs, des radiateurs, du vitrage, des ceintures de sécurité... Ces entreprises étaient actives aussi bien à l'export que sur le marché local, et produisaient selon les normes et standards internationaux», se désole M. Abdelmoumen. Plusieurs de ces industries ont disparu à cause, entre autres, des importations de produits défectueux de façon généralisée et des importateurs qui contournent systématiquement les normes. Sur 150 entreprises du secteur automobile au Maroc, seulement 7 sont à capitaux marocains. «Ceci est dangereux pour la pérennité du secteur et son ancrage local», s'alarme le président de l'AMICA. Par exemple, en Turquie, 70% des groupes sont à capitaux nationaux ou en partenariat avec des Turcs. Au Maroc, les capitaux nationaux représentent moins de 4% en nombre d'entreprises et moins de 1% du chiffre d'affaires du secteur. Il semble qu'une évolution favorable est amorcée. Des opérateurs locaux commencent peu à peu à fournir les constructeurs automobiles installés et ceux intéressés par le sourcing. Comme cet industriel des batteries et radiateurs à Berrechid ou cet autre spécialisé dans les tuyaux d'échappement avec deux unités à Casablanca et Tanger. Un autre opérateur spécialisé dans les chemises de cylindre de moteur et pistons est en train de réaliser sa première commande. «Notre objectif est d'entraîner un maximum d'acteurs locaux avec cette vague. Le développement actuel du secteur automobile est une opportunité pour que les industries marocaines y trouvent leur compte», confie le président de l'Amica. Une autre difficulté du tissu industriel est son incapacité à drainer des industries intimement liées à l'automobile, notamment les pneumatiques, le vitrage ou autre. Les opérateurs continuent à importer pour des montants colossaux ces produits alors qu'ils peuvent venir améliorer la valeur ajoutée locale. Pour justifier cette configuration, l'AMICA invoque des difficultés économiques, notamment en rapport avec la disponibilité des matières premières. Pour dépasser ces freins, les industriels d'autres pays s'en remettent aux subventions étatiques, alors que le rendement n'est souvent obtenu que sur le long terme. Selon M. Abdelmoumen, les subventions à l'investissement sont déjà très généreuses au Maroc. Il rappelle que l'Etat apporte 30% de l'investissement, soit parfois plus que l'actionnaire, et le reste est fourni par les banques. «Cette situation peut se révéler dangereuse du moment que la mise de l'actionnaire n'est pas prépondérante dans le montant du projet (Ndlr : ce qui peut affaiblir son engagement et implication)», prévient-il. Reste l'augmentation des possibilités de financement, notamment à travers les solutions de garantie. M.Abdelmoumen informe à ce titre que l'Amica est en pourparlers avec la CCG pour élargir le périmètre de ses garanties aux opérateurs installés en zones franches. Le président de l'AMICA juge prioritaire la poursuite de la mise en place des normes techniques Dans le même registre, les banques publiques ou semi-publiques pourraient fournir une alternative très judicieuse pour accompagner l'investissement industriel structurant pour le pays, et notamment les matières premières. «Certains pays, notamment la France à travers la BPI, investissent par le secteur public pour soutenir leur tissu productif», note M. Abdelmoumen. La BPI a d'ailleurs sauvé un grand nombre de groupes dans l'industrie automobile dont certains se sont bien restructurés et ont même annoncé des investissements au Maroc lors des assises de l'industrie. De plus, le président de l'AMICA juge prioritaire de poursuivre la mise en place des normes et leur application de manière transparente sans céder aux lobbys des importateurs. A cet égard, le Centre technique pour l'industrie de l'équipement véhicule (Cetiev), cofondé par le ministère du commerce et de l'industrie et l'AMICA a pour objectif d'accompagner techniquement les industriels du secteur, concevoir les normes et les rendre obligatoires et applicables et assurer le contrôle normatif à l'importation à la demande du ministère de l'industrie. «Dès la mise en place récente des contrôles, les industriels locaux vont mieux et il y en a même qui investissent», informe M. Abdelmoumen. Autre grande carence du secteur : la distribution. L'exemple de la Turquie est inspirant dans ce sens. Ce pays est en train de réussir une conquête totale du marché marocain à travers le déploiement pensé de ses enseignes : ceci représentera à terme un marché important et pérenne pour leurs industries, notamment automobile. «Il est donc crucial pour le secteur de penser à développer des réseaux de distribution qui s'appuient sur la production marocaine et qui pourront se déployer à l'avenir à l'étranger pour ne pas rester à jamais dans des schémas de sous-traitance passive», recommande le patron de l'AMICA. Mais pour lui, le vrai changement est celui de l'esprit et des mentalités ! Il recommande de commencer à croire que le Maroc sera un pays industriel à l'avenir. Pour cela, industrialiser une économie est un projet de société : institutions publiques, semi-publiques, banques, opinion publique et consommateurs doivent y contribuer. «On peut faire 10 à 15% de croissance industrielle chaque année avec les atouts dont dispose le Maroc aujourd'hui», projette M. Abdelmoumen.