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La démocratie est–elle un bien commun dans la nouvelle Constitution marocaine ?
Publié dans Lakome le 29 - 07 - 2011

En 1863, l'un des fondateurs de la démocratie moderne proclamait un principe et un engagement qui ne peuvent être rejetés que par ceux qui cultivent les pratiques courtisanes et l'opportunisme arriviste. Il y a donc près d'un siècle et demi, Abraham Lincoln soulignait la nécessité et l'importance du “gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Et on ne peut pas dire qu'à cette date son pays était tout à fait mûr pour cette forme de gouvernement.
C'était encore l'époque américaine de l'hétérogénéité absolue, puisque les émigrés arrivaient de toutes parts, de la brutalité et des clivages entre les populations et surtout de la violence et de l'esclavage. Face à tous ces obstacles, il était tentant de dire qu'il existait trop d'inconnues et d'impondérables. Que le peuple n'est pas mûr pour construire ce type de démocratie. C'est pourtant la position inverse et combien juste qui a prévalu.
Un pari gagnant
Lincoln pariait gagnant sur le fait que c'est justement cette démocratie par le peuple qui allait élever le sens civique des citoyens, le mûrir et cimenter la cohérence du melting-pot américain. Et qu'il ne fallait surtout pas retarder sa naissance.
Face à la réussite de ce pari qui n'est d'ailleurs pas le seul au monde, la démocratie comme nécessité a acquis un statut de bien public, c'est-à-dire qu'elle appartient à tout le monde. Aux sceptiques, rappelons seulement les exemples de l'Inde qui ne tient, en tant que grande puissance mondiale et en tant que nation diverse, multiconfessionnelle et multi linguiste, que grâce à sa démocratie; ou encore l'Afrique du Sud qui, malgré ses dramatiques handicaps au départ ne réussit pas si mal son projet arc-en-ciel et n'aurait jamais émergé en dehors du modèle démocratique.
Parmi les biens publics, la démocratie figure ainsi aux premières places, au même titre que la préservation de l'environnement ou du patrimoine, que la santé et l'éducation, l'équité et la justice, la liberté ou la paix et la sécurité.
Aujourd'hui, le concept de “bien public” est pensé et tend à être appliqué à tous les niveaux : local, national ou international. Cette nouvelle conception du bien public devient même un critère de civilisation et de coexistence car il est largement reconnu que les biens communs jouent et devraient jouer un rôle fondamental pour le bien-être des populations en leur donnant les ressorts nécessaires pour devenir plus performants, libres et plus autonomes.
Chez les classiques, les Etats devaient fournir des services publics: assurer le droit de propriété, maintenir la masse monétaire, encourager la liberté du commerce et de l'industrie ou encore assurer la défense et l'administration de la justice. Plus tard, il a été question de sécurité sociale, de politique d'éducation, de transports publics…
Les réflexions actuelles poussent plus en avant et visent à appliquer ce concept de biens publics à tous les défis de l'époque et à dresser leur typologie. Ces réflexions commencent par les travaux de Paul Samuelson (1954) et de Mancur Olson (1971) et prennent leur rythme de croisière seulement au début du XXIe siècle avec l'ouvrage dirigé par Inge Kaul “Les biens publics à l'échelle mondiale” publié par l'ONU en 1999.
L'ouvrage pose la problématique suivante : comment ces biens publics matériels et immatériels, s'ils étaient bien distribués et protégés, peuvent se traduire en un plus grand nombre de choix et en un bien-être amélioré pour l'ensemble de la collectivité.
Cette problématique concerne donc sans distinction l'ensemble des peuples de la planète. La division entre pays en développement et pays développés n'a pas de sens. D'abord parce qu'un haut niveau de richesse n'est pas une garantie pour un développement durable et encore moins pour une répartition équitable ou une société juste. Des pays effectivement riches financièrement maintiennent souvent leurs peuples, sauf exception, dans des conditions de vie infrahumaines.
Dans cet ouvrage publié par l'ONU, la démocratie n'est pas nommément désignée. Il traite, en effet, de l'équité et la justice en tant que biens publics alors même qu'ils ne peuvent faire l'objet de transactions spéculatives. Mais, même s'ils ne peuvent faire l'objet d'achat ou de vente, leur existence entraîne des bienfaits pour tous ou presque. Par exemple, c'est l'équité qui détermine les actions prioritaires et lorsqu'elle pousse vers la lutte contre la pauvreté, elle ne bénéficie pas seulement aux pauvres mais également au reste de la société.
Il en est de même de la santé publique. Plus, dans le même sens la démonstration est aisée avec l'éducation et la formation, l'environnement et le patrimoine, la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre, la paix et la sécurité.
La démonstration l'est plus avec la démocratie. D'autant que son champ n'est pas limité à un seul groupe de population. Son rôle fondamental vise le bien-être, la liberté et la justice pour tous.
· L'obligation de rendre compte
Dans la démocratie comme bien public, les Gouvernants deviennent, en effet, forcément responsables devant le Peuple. Bien plus, dans cette vision, la démocratie n'est pas uniquement la responsabilisation des gouvernants, elle implique d'autres effets qui en sont les compléments et les ramifications nécessaires.
Reposant sur une véritable séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, elle suppose que les gouvernants soient tenus à l'obligation de rendre compte. Une obligation de rendre compte aux citoyens qui entraîne la concertation, la transparence et la sanction : la sanction démocratique par le vote qui consacre le libre choix pour les citoyens de choisir ceux qui les dirigent.
Au Maroc, et aux termes de la nouvelle Constitution, cette vision fait encore gravement défaut. Les gouvernants semblent plutôt se complaire, sans trop d'états d'âme, dans le culte de l'irresponsabilité. Or, l'irresponsabilité dans la gestion de la chose publique est démobilisatrice et contre- productive. Le mandant est toujours défaillant quand il est irresponsable devant son mandataire. Car comment juger la responsabilité des détenteurs du pouvoir si l'on ne dispose pas des moyens nécessaires pour juger leurs actes et leur conduite.
En tout cas, le résultat logique du manque de responsabilisation est inéluctable. Il s'annonce comme une vérité indiscutable historiquement. Aucun régime politique, a fortiori lorsqu'il n'est pas démocratique, n'a pu fonctionner efficacement, en faveur du peuple, si ses institutions et ses agents s'inscrivent en dehors de la transparence et de la reddition des comptes. Les bilans des dictatures sont là pour le prouver de mille façons. Tous ont détourné d'abord le bien public qu'est démocratie. Ils en ont détourné ensuite le fonctionnement à leur profit et dénaturé enfin sa fonction en tant que bien public.
Mais il y a plus loin que cette vérité. Si la démocratie, en tant que telle, appartient au peuple, il est légitime qu'il se l'approprie. En se l'appropriant, il ne sera plus cette masse qui attend qu'on lui donne et qui rarement reçoit. Il deviendra celui qui choisit et octroie. Il deviendra indispensable et mieux écouté parce que ce sera lui qui donne le pouvoir. C'est tout l'intérêt de la démocratie “du peuple, par le peuple, pour le peuple” dont parle Abraham Lincoln.


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