Nous sommes un peuple mature. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Khalid Naciri. Nous y voilà ! C'est très exactement de cela qu'il s'agit. Oui, le peuple marocain est mature, et c'est bien la raison pour laquelle il sait désormais ce qu'il veut et le clame haut et fort. Dans la récente déclaration du porte-parole du gouvernement, jusqu'à ce point tout allait bien. Mais la phrase ne s'arrêtait pas là : «La maturité des marches du 20 février, c'est la maturité du peuple marocain, de ses forces politiques et de ses institutions». Le moins qu'on puisse dire est que ça ratisse large ; est-ce convaincant pour autant ? D'abord les forces politiques. Le gouvernement les qualifie avec condescendance de matures. Faut-il y voir autre chose qu'une petite fleur jetée aux partis, en récompense de leur «sagesse», de leur retenue, voire de leur silence pendant et avant les manifestations ? Ou alors, à la place de « matures », parlons plus justement de partis politiques « mûrs », trop mûrs même, comme on dirait d'un fruit dans l'arbre qu'il est trop mûr lorsqu'il est gâté. Cette hypothèse concerne les formations traditionnelles du moins. Quant au nouvel arrivant, le PAM, dont la genèse, le programme, les méthodes et les représentants sont de plus en plus décriés, ce serait plutôt quelque chose de l'ordre du « vert », de l'« amer », en tout cas du politiquement « non comestible », pour ne pas dire tout simplement du « vénéneux ». Ensuite les institutions. C'est là que les choses, comment dire, se gâtent, c'est là que le serpent se mord la queue. En un seul élan, en effet, Naciri souligne la maturité à la fois du peuple et des institutions. Il y a un côté mal digéré dans cette affirmation. Car lorsqu'un peuple manifeste pour réclamer, précisément, la réforme des institutions, c'est que ou ce peuple, ou ces institutions, manquent de maturité. Si nos institutions étaient matures, d'abord cela se saurait, ensuite le peuple serait descendu dans la rue pour les célébrer, à l'image du « Vendredi de la victoire » égyptien, mais certainement pas pour les contester. Pour qu'un peuple se mobilise contre des institutions déjà matures, il faudrait que ce soit un peuple « drogué » ; or des peuples drogués, cela n'existe pas, enfin sauf dans l'imaginaire dément d'un Kadhafi… Gare donc à la « démagogie », tout comme à l'« improvisation ». A peuple mature, Constitution mature. Le Maroc est une monarchie ; les Marocains, chaque fois que l'occasion s'est présentée, ont prouvé leur attachement à la royauté. Mais avec ça, la revendication d'une réforme structurelle refait surface, avec acuité, et fait nouveau, par la bouche de jeunes qui réclament aujourd'hui une Constitution à la page, digne de leur époque, en phase avec leurs aspirations et leur soif de renouveau, avec leur désir de bâtir eux-mêmes leur avenir, tel qu'ils l'entendent et non comme on voudrait le leur imposer d'en haut, fut-ce avec les meilleures intentions du monde. Si j'ai fait mienne la thèse du «peuple mature», c'était surtout pour prendre au mot la déclaration gouvernementale survenue à la suite du « 20 février ». Mais loin de moi l'idée, prisée par certains, d'une démocratie lâchée au compte-goutte. La démocratie est à la base un bien du peuple, non pas un cadeau-puzzle dont on lui distribuerait les pièces avec parcimonie, en fonction de son état d'évolution ou de sa «prédisposition». Une telle mentalité politique n'est plus acceptable. Elle rappelle trop ce chantage entre l'autoritarisme et une forme annoncée de chaos, chantage dont on a vu, à la lumière des changements radicaux qui viennent de secouer le monde arabe, à quel point il a été désastreux pour ceux qui ont cru bon de le brandir. Au fond, un peuple est toujours mature pour la liberté et la dignité. Le tout est qu'il en prenne conscience à un moment donné de son histoire. C'est ce qui est en train d'advenir dans notre pays, chaque jour un peu plus…