D'abord ce furent les conservateurs du Parti Populaire (PP) de Ceuta et Melilla qui sortirent en trombe pour crier haut et fort que les immigrés marocains, au nombre de 9.000 dans les deux villes, ne devraient pouvoir voter aux prochaines élections municipales en 2015. Ils vont sans tarder interpeller le gouvernement socialiste. Le PP, qui y gouverne, craignait-il d'y perdre sa majorité absolue ? Puis ce furent les socialistes de Melilla qui dirent, à leur tour, qu'il ne fallait pas trop prendre au sérieux les propos de leur ministre des Affaires Etrangères, Trinidad Jiménez. Celle-ci avait annoncé, le 5 juillet à Barcelone, que l'Espagne allait se dépêcher se signer un accord avec le Maroc permettant aux ressortissants marocains de participer aux municipales comme le font les immigrés de Colombie, d'Equateur, du Pérou, du Chili ou du Cap Vert. Certains intellectuels espagnols, comme le professeur Bernabé López, avaient encouragé les membres de la commission présidée par Abdellatif Mennouni, qui rédigea le brouillon de la nouvelle Constitution, à y inclure un article qui permette le vote aux élections locales des étrangers résidant au Maroc pour qu'a leur tour les marocains installés en Espagne puissent se rendre aux urnes. La commission tint compte de leurs suggestions. Mais cette perspective du vote marocain à réveillé de vieux démons en Espagne et pas seulement dans les deux villes que le Maroc revendique. Josep Antoni Duran i Lleida, chrétien démocrate et porte parole des nationalistes catalans au Congrès des Députés, est l'homme politique le plus respecté d'Espagne à en juger par les sondages qui se publient régulièrement. Les espagnols apprécient sa modération, sa manière de tendre des ponts pour arriver à des accords avec ses adversaires, son esprit consensuel. Et voilà que Duran i Lleida s'en est pris, vendredi, sur son blog, à la « frivolité » de la ministre des Affaires Etrangères. « Octroyer le droit de vote à ceux qui ne l'ont pas n'a aucun sens », écrit-il. « (…) je pense que c'est une imprudence ». Le porte parole n'avait pourtant pas fait de telles réflexions quand ce droit avait été concédé aux immigrés colombiens ou équatoriens. Les propos de Duran i Lleida sont cependant modérés comparés à certaines tribunes publiées par la presse de Catalogne, la région ou il y a le plus d'immigrés marocains. « Quelle sottise ! », affirme Pilar Rahola, ancienne députée gauchiste et nationaliste catalane mais qui a retourné casaque. « (…) nous sommes si sympas que nous serons ravis de mettre le destin de nos peuples entre les mains des derniers arrivés », ironise-t-elle. Duran i Lleida ne donne aucun argument pour refuser le vote aux marocains dans l'ensemble de l'Espagne. Le Parti Populaire, lui, en donne quelques uns tous aussi saugrenus les uns que les autres. On ne peut, selon le PP, permettre à des citoyens d'un pays qui revendique Ceuta et Melilla d'y exercer le droit de vote. Même s'ils s'en défendent cela revient à reconnaître le caractère exceptionnel de cette portion du territoire espagnol et à donner un peu raison aux thèses marocaines. La sénatrice Luz Elena Sanín, du Parti Populaire, a, quant à elle, expliqué qu'il ne peut y avoir de réciprocité entre nos deux pays car il y a peu d'espagnols résidant au Maroc (environ 6.000) alors qu'en Espagne il y a 800.000 marocains dont 550.00 adultes en âge de voter. Pourquoi n'a-t-elle pas tenu le même raisonnement quand les équatoriens ou les colombiens ont obtenu le droit de vote en Espagne? Pour ne pas discriminer les marocains le maire de Ceuta, Juan Vivas, du Parti Populaire, est allé jusqu'à proposer d'introduire une disposition dans la loi électorale pour exclure tous les étrangers des municipales dans sa ville et aussi à Melilla. Toutes ces arguties d'une partie de la classe politique espagnole cachent, au fond, cette méfiance viscérale vis-à-vis du « moro » perçu encore trop souvent comme un musulman radical voire même comme un apprenti terroriste quand il ne fait pas partie d'une cinquième colonne aux ordres d'une puissance étrangère hostile aux intérêts de l'Espagne. Dans ce concert de propos à la lisière de la xénophobie il n'y a eu qu'une seule voix dissonante, celle de la secrétaire d'Etat à l'Immigration, Anna Terrón, elle aussi catalane mais socialiste. « Empêcher ou restreindre le vote des marocains », a-t-elle prévenu dimanche, « est une discrimination en fonction des origines des personnes que la Constitution [espagnole] interdit ». A cette allégation juridique j'en ajouterais d'autres plus politiques. Que valent les discours qu'on nous rassasie sur l'indispensable intégration quand on refuse aux marocains de voter ? Leur permettre de participer au jeu politique local est sans doute l'une des meilleures façons de les intégrer dans leur pays d'accueil. Ne souhaite-t-on pas aussi que le Maroc devienne une démocratie à l'européenne ? Pourquoi, alors, ne pas leur permettre de s'initier en Espagne aux rudiments de la démocratie locale ? Les discours discriminatoires ne tiennent d'ailleurs pas compte des réalités politiques. Le nombre d'immigrés qui votent est malheureusement infime aux élections locales en Espagne et ailleurs en Europe. Les suffrages des marocains à Ceuta et Melilla, ou cas ou ils seraient autorisés à voter, ne mettraient certainement pas en péril la souveraineté espagnole sur ces deux villes. Les musulmans espagnols, nombre d'entre eux d'origine marocaine, n'y ont jamais soutenu les partis minuscules qui ont jadis prôné le rattachement au Maroc. Pourquoi alors les immigrés marocains, qui espèrent à la longue devenir espagnols, le feraient-ils ? Cette poussée soudaine de fièvre anti marocaine en Espagne, non pas anti makhzen mais bien anti immigrés, m'inquiète et m'indigne. J'espère qu'elle n'est qu'éphémère dans un pays durement frappé par la crise et à la veille des élections générales et après des élections locales ou le Parti Populaire a triomphé. Si elle devait durer, si le marocains que l'Espagne accueille ne vont pas pouvoir participer, en mai 2015, à cette fête de la démocratie que sont les élections, je ne reconnaitrais plus mon pays d'où tant d'émigrés sont partis au siècle dernier d'abord vers l'Amérique Latine et ensuite vers l'Europe. Je ne reconnaitrais pas non plus une Espagne qui a subi, le 11 mars 2004, le plus gros attentat terroriste de l'histoire de l'Europe continentale (191 morts), commis en majorité par des marocains, mais ou les incidents racistes ou islamophobes ont pu se compter, dans les mois qui sont suivi cette tragédie, sur les doigts d'une main.